Chapitre 25. L'investiture

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Postés devant la baie vitrée, au petit matin, une tasse de café à la main, Luiz et moi admirons la ville qui s’étend à perte de vue. Pour la dernière fois. Ma main posée sur l’épaule de mon beau brésilien, pas encore tout à fait réveillé, et donc, à mon humble avis, au summum de sa beauté, avec sa crinière brune ébouriffée, sa barbe de trois jours qui lui noircit le menton, et ses yeux d’ambres empreints de sommeil qui, sous l’effet des premières lueurs du jour, se parent de reflets dorés. L’iris brillant d’un millier de paillettes de métal précieux. Un spectacle plus époustouflant encore que celui qui s’offre à nous, au dehors, qui, pourtant, ne démérite pas par sa beauté.

São Paulo. Une forêt de gratte-ciels aux couleurs pastel, mises en valeur par la lumière crue de l’aube. Comme de grosses briques posées à la verticale et sans ordre apparent sur un épais tapis verdoyant, formé par la frondaison des arbres fruitiers qui en bordent les rues, tantôt animées, tantôt désertes, en fonction de l’heure et du degré de sécurité du quartier. Le ciel est chargé de lourds nuages d’orage, d’un gris menaçant. Mais, par de rares trouées, les rayons impitoyables d’un soleil brûlant percent miraculeusement l’épaisse chappe de grisaille ouateuse pour donner à cette matinée à peine née la moiteur étouffante d’un été tropical. Comme souvent, en ce mois de janvier, l’un des plus insoutenable, dans la cité pauliste.

Une journée comme les autres, donc. En apparence du moins... Nous sommes le 1er janvier. L’aube d’une nouvelle ère démocratique, après un cycle électoral épuisant, dont nous sommes sortis vainqueurs. Une fois la pression de la campagne retombée, Luiz et moi nous sommes effondrés et avons dormi vingt-quatre heures d’affilée, au bas mot. Personnellement, il m’a bien fallu plusieurs semaines pour me remettre, alors que je ne suis pas le plus à plaindre. Luiz a l’air de mieux tenir le coup, ce qui est plutôt de bonne augure. Après tout, c’est lui, le nouveau président... Car, en effet – revenons-en à mon propos initial – cette journée n’a rien de banal. Le mandat de Luiz commence officiellement aujourd’hui. Nous nous apprêtons donc à quitter São Paulo, une bonne fois pour toute. Demain, nous nous réveillerons à Brasilia, capitale fédérale du Brésil, dans le bien-nommé Palácio da Alvorada, le « palais de l’aube », ou, plus simple et moins poétique, la résidence officielle du chef de l’Etat brésilien.

Notre appartement est pourtant loin d’être vide. Les meubles sont toujours à leur place. Les cadres aussi. Les étagères sont encore remplies de livres. Il doit même rester quelques boîtes de conserve et un ou deux paquets de pâtes dans les placards de la cuisine. Seuls quelques effets personnels facilement transportables ont été empaquetés, placés dans des cartons frappés du sceau présidentiel. Ils arriveront à Brasilia après nous. Les hommes priment sur les objets. Et on ne s’installe pas dans la résidence officielle du président avec son canapé Ikea, son linge de lit, ses serviettes de bain et son oreiller cervical. Le décor est déjà planté, immuable, ou presque, indémodable car hors du temps, sa permanence n’étant en fin de compte qu’une vulgaire métaphore matérielle de celle de l’Etat lui-même. Il va falloir s’y habituer, à vivre dans un monde de codes et de symboles. A ça, et à tant d’autres choses encore...

Je pousse un léger soupir, déjà nostalgique de l’existence paisible que nous avons mené, Luiz et moi, dans cet appartement que j’ai le sentiment d’abandonner dans la précipitation, sans avoir le temps d’y faire mes adieux. Quelques mèches brunes virevoltant dans la légère brise matinale qui caresse son beau visage, Luiz me jette un regard plein d’empathie. Il semble être dans le même état d’esprit. Avec, en ce qui le concerne, un détail supplémentaire, et pas des moindres. Il ne s’apprête pas simplement à quitter le confort familier de notre foyer, mais aussi à endosser un costume plus grand que l’homme qui le porte, bardé de décorations, paré d’une aura quasi-mystique, dans un une démocratie pieuse où le président concentre l’essentiel du pouvoir, et où le pouvoir s’exerce au nom de Dieu autant que celui du peuple. Luiz incarnera l’Etat, lui donnera un visage familier, un prénom, si bien que, d’ici quelques semaines, quelques jours, peut-être même quelques heures, deux-cent-dix millions de brésiliens le désigneront par la formule suivante, à la simplicité désarmante : « O presidente Luiz ».

Une fois douchés, nous passons tous les deux une tenue à mi-chemin entre le formel et le décontracté. Je ne suis pas un parangon d’impartialité à ce sujet, mais il faut bien dire ce qui est : je le trouve beau comme un Dieu, moi, mon Luiz. Son épaisse chevelure brune presque domptée. Le teint légèrement halé qui contraste à merveille avec la blancheur immaculée de sa chemise. Il a rasé sa barbe pour l’occasion. Dommage. Moi, je le préfère avec. Mais je comprends. Il fallait marquer le coup. Ce n’est pas tous les jours que l’on devient président de la république.

Une petite heure plus tard, on vient nous chercher. « On », c’est une manière impersonnelle de désigner la petite dizaine de membres du protocole qui débarque dans l’appartement, accompagnés d’un nombre au moins égal de gardes du corps, censés nous escorter jusqu’à l’aéroport. Le moment est venu... Luiz et moi échangeons un regard, grave d’abord, puis, à mesure que l’excitation prend le dessus sur le trac, presque amusé. Nous traversons alors la ville à vive allure, dans un SUV blindé aux vitres teintées, encadré de plusieurs exemplaires du même modèle et d’un escadron de motos, qui, gyrophares allumés, se chargent de disperser le trafic sur notre chemin, nous permettant ainsi de rejoindre le tarmac de l’aérodrome en quelques minutes à peine. Un jet banalisé nous y attend, et, une fois toute la fine équipe à bord, nous décollons sans plus attendre. Le programme est chronométré, il ne s’agit pas de traîner en chemin. L’avion s’élance en vrombissant dans le ciel d’orage bourré de trous d’air. Les turbulences, amplifiées par la petite taille de l’appareil, sont plus impressionnantes encore que dans un vol commercial. Je serre la main de Luiz. Je sais qu’il n’est pas toujours rassuré en avion. Il est pourtant parfaitement calme, maître de lui-même. Le visage sérieux, mais serein. Sans doute plus préoccupé par ce qui l’attend à Brasilia que par le voyage en tant que tel.

*

Une fois atterri, l’avion roule vers un hangar où nous sommes accueillis à l’abri des regards indiscrets par une flopée d’officiels, tous en uniforme, militaire ou d’apparat, ainsi que par Mauricio Nunes et sa femme Laila, arrivés la veille au soir. Nous commençons par revêtir les tenues recommandées par le protocole, parfaitement ajustées et assorties, choisies pour ne laisser aucun doute sur le rôle de chacun. Le costume trois-pièces gris anthracite, classique et sérieux pour Luiz et Mauricio, et un peu plus de fantaisie pour les conjoints, costume vert d’eau et chemise blanche sans cravate pour moi, et robe pourpre pour la plantureuse Laila, élégante tout en étant suffisamment moulante pour mettre en valeur ses formes voluptueuses, conforme aux standards brésiliens.

Puis, vient le temps du briefing, donné par un type au visage fade et lugubre. S’il fallait le décrire, il serait impossible d’indiquer le moindre signe distinctif. Il doit appartenir aux services secrets. Le ton professionnel, sans émotion, il explique le déroulé de la journée dans les moindres détails, avant de faire le point sur la sécurité :

- Monsieur le président, nos équipes sont chargées d’assurer votre sécurité et celle de votre conjoint lors de la cérémonie d’investiture. Nous avons un objectif et un seul : faire que cette journée soit un succès, une vitrine de la démocratie brésilienne à l’international, à la hauteur de la réputation de notre pays. Les pelouses de l’Eixo Monumental sont noires de monde, des supporters venus des quatre-coins du pays. C’est évidemment une bonne nouvelle pour vous. Pour nous un peu moins, ça rend notre travail plus compliqué. Et je préfère vous prévenir : le risque est bien réel, et même élevé. Un coup de couteau, un balle de petit calibre, un dispositif explosif artisanal… Monsieur le président, vous êtes le premier… hum… homosexuel… de l’histoire à diriger notre pays, et, vous n’êtes pas sans le savoir, ça ne plait pas à tout le monde… Vous êtes la cible principale de la journée. Vous serez donc entouré de gardes du corps à chaque instant, spécialement lors de vos déplacements en extérieur. Nous avons également placé des snipers à des endroits stratégiques, afin de pouvoir neutraliser le moindre élément hostile. Soyez-en assuré : nous savons faire notre travail, et, si vous respectez les consignes, vous serez en parfaite sécurité. Donc, je vous en supplie, monsieur le président, et les autres, pas de dérogation au protocole, pas de bain de foule spontané. Ou ne serions plus en mesure de vous protéger…

Un léger frisson me parcoure le corps. Le ton est donné. Les dés sont jetés. Impossible de faire marche arrière.

*

Nous quittons le hangar en voiture, une rutilante Rolls Royce décapotable qui, une fois lancée sur l’Eixo Monumental, la grande avenue de Brasilia qui relie le siège des différentes institutions du pouvoir, rétracte son toit de toile pour laisser le public découvrir pour la première fois son nouveau président. Et son petit-ami. Moi, en l’occurrence. Le spectacle est impressionnant. Electrisant. Les bas-côtés sont noirs de monde. Une foule compacte et bariolée, qui agite le drapeau brésilien et celui du parti vert, et pousse des cris de joie sur notre passage. « Bravo ! », « Par ici, monsieur le président ! », « Luiz, on t’aime ! ». Sur les conseils du protocole, Luiz et moi nous tenons debout, une main agrippée à la barre prévue à cet effet, et l’autre flottant dans les airs, pour saluer les fidèles supporters. Je ne peux m’empêcher de sourire. Je ne sais pas pourquoi. Est-ce l’énergie positive de la foule en liesse ? Ou bien le côté désuet et un peu kitsch de la Rolls Royce, poursuivie par la garde montée, arborant fièrement l’étendard blanc et rouge, symbole de l’exécutif ? On se croirait à un mariage princier ! Un héritage colonial, sans doute... Toujours est-il que, bien qu’il prête à sourire, le film qui défile sous mes yeux et dont je suis l’un des protagonistes, restera gravé dans ma mémoire pour le restant de mes jours. Comment pourrait-il en être autrement ?

Une fois arrivés devant le siège du Congrès, nous débarquons de la Rolls Royce. Le bâtiment est immense, surréaliste, avec ses deux larges vasques inversées qui accueillent chacune l’une des chambres du parlement brésilien. Lentement, laissant le temps aux photographes d’immortaliser la scène, Luiz et moi remontons la passerelle monumentale qui mène à l’entrée du bâtiment. Main dans la main. Un contact pourtant habituel mais qui, par son absence totale d’intimité, alors que je nous sais scrutés par des millions de paires d’yeux, me fait un drôle d’effet. Ce n’est pas vraiment de la gêne, ni de la timidité. Ça, j’ai appris à passer outre pendant la campagne. Au contraire, j’ai même le torse bombé et le cœur débordant de fierté à pouvoir m’afficher ainsi au bras de Luiz, l’homme choisi par tout un peuple, et dont je suis éperdument amoureux. Et lui de moi. Je crois... Mais j’ai comme l’impression que ce public qui l’adule me relègue au second plan dans l’esprit de mon beau brésilien…

Non pas qu’il soit distant envers moi, loin de là. Je croise son regard incrédule quasiment tous les quarts de seconde. Il semble dire « je n’arrive pas à y croire, tout ça pour moi… ». Et je soupçonne que, quelque part, c’est ce « moi » supposé, même silencieux, qui me dérange... Comme si nous n’étions pas en train de vivre ce moment tous les deux. J’ai l’impression d’être accessoire. D’être un accessoire, même. Là pour la forme, parce qu’il faut bien que le président soit accompagné. Mais insignifiant. Je ne suis pas idiot, je sais bien que ce qu’on attend du conjoint d’un homme d’Etat, ce qu’il soit beau, qu’il sourie, et surtout, qu’il se taise, appuyant son bien-aimé avec discrétion et dignité. Et je suis prêt à endosser ce rôle. Mais à la seule et unique condition que Luiz ne me traite pas de la même manière. Et que, pour lui, je reste sa moitié, son co-équipier, son compagnon d’infortune. Nous en discuterons plus tard...

Parvenus au sommet de la passerelle, surplombant la ville plate et la foule monstre, Luiz met un terme à ma fuite en avant mentale, en me décrochant un baiser volé sur la joue, qui me prend par surprise. Et me met le feu aux joues. Il ne m’a pas complètement oublié. Pas encore… Rassuré, je lui adresse un sourire tendre, et, retrouvant l’espace d’un instant l’homme que j’aime, en profite pour me perdre dans son regard ambré. Les flashs des photographes crépitent, les battements de mon cœur s’emballent.

Dans l’enceinte du Congrès, nous sommes séparés, Luiz et moi. Lui se dirige vers l’hémicycle, accompagné de son vice-président, où les attendent les députés pour la prestation de serment. Moi et Laila sommes conduits dans une petite salle où nous pourrons assister à la cérémonie en coulisses. J’y retrouve Emerson, l’ancien directeur de campagne de Luiz, et futur conseiller principal du président. Il me salue avec chaleur, un large sourire aux lèvres, incapable de contenir la joie qui illumine son visage séduisant d’une lumière inédite, lui que je n’ai connu qu’en éternel soucieux pendant les longs mois de la campagne.

- C’est un grand jour, Loïc, me dit-il d’un ton ému, un trémolo dans la voix. Un très grand jour pour le Brésil…

La formule me paraît un peu galvaudée, même si je partage l’enthousiasme d’Emerson. J’acquiesce d’un simple hochement de la tête, sans trop savoir quoi répondre.

La cérémonie de prestation de serment débute. Je vois Luiz monter à la tribune présidentielle, le pas assuré. Sa beauté crève l’écran. Le visage ténébreux. La silhouette svelte et élancée, dans son impeccable costume. Le sourire confiant qu’il adresse aux députés me fait l’effet d’une flèche en plein cœur. En dépit de la piètre qualité de l’image, je peux voir son regard ambré pétiller. Et, d’une voix claire, quelque peu déformée par le micro mais toujours aussi éloquente, il prête serment sur la constitution :

« Prometo manter, defender e cumprir a Constituição, observar as leis, promover o bem geral do povo brasileiro, sustentar a união, a integridade e a independência do Brasil ».

Ou, pour les non-lusophones :

« Je promets de maintenir, de défendre et de respecter la constitution, d’observer la loi, de promouvoir l’intérêt général du peuple brésilien, de soutenir l’union, l’intégrité et l’indépendance du Brésil ».

Visiblement, je ne suis pas le seul à être hypnotisé par la performance de Luiz. Emerson, qui se tient à mes côtés, boit littéralement ses paroles. Le regard éperdu d’admiration. Ses lèvres brunes bougent en même temps que celles de Luiz, comme s’il prononçait le discours à sa place. Il a dû répéter cette scène des milliers de fois dans sa tête. La voir en rêve. Pour un animal politique dans son genre, il n’y a pas plus beau cadeau que de voir son poulain victorieux monter sur le podium après avoir fini la course en tête. C’est la consécration ultime. D’ailleurs, alors qu’à l’écran, on dépose sur l’épaule de Luiz la célèbre écharpe vert et jaune ornée de l’étoile présidentielle, Emerson fond en larmes, et tombe dans mes bras. Le grand gaillard, que d’ordinaire rien ne fait plier, terrassé par l’émotion.

*

Le reste de l’après-midi a été consacré à une série de rituels symboliques incontournables lors d’une passation de pouvoir, auxquels je n’ai pas été convié. La revue des troupes militaires. La cérémonie au palais du Planalto, lors de laquelle Luiz a annoncé la composition de son gouvernement. Le premier gouvernement paritaire de l’histoire brésilienne, avec un indigène amazonien en charge du portefeuille de l’environnement. Autant dire que le lobby agro-industriel du pays, friand de terres fraîchement déboisées pour y faire de l’élevage ou y cultiver du soja ou du colza, grince des dents.

Pendant ce temps-là, mon programme à moi, c’est la visite de la résidence officielle, le palais de l’Aurore, dont on m’a remis les clés. Une immense bâtisse aux lignes horizontales, construite sur les plans d’Oscar Niemeyer, véritable navire amiral de béton blanchi à la chaux, dont l’interminable enfilade de colonnes évasées qui se reflète dans le miroir d’eau évoque autant de mats de voiliers, une régate futuriste dans les eaux turquoise d’une mer tropicale. L’intérieur est impressionnant. Intimidant, même. Les murs, et il n’y en a pas beaucoup, sont soit nus, soit vitrés, et les plafonds si hauts que l’écho y est terrible. Les matières nobles s’entrechoquent dans un chaos épuré, somptueux et délirant, entre la moquette pourpre satinée qui calfeutre les passerelle entre les pièces de réception et les appartements privés du président, la marqueterie de bois exotiques qui recouvre tout un pan de mur dans le salon d’Etat, le marbre bleu de la salle de bain, ou la mosaïque dorée à la feuille d’or qui orne le hall d’entrée. Perdus au milieu de salles gigantesques, quelques meubles de designer, et des œuvres de maître. Quelque part à mi-chemin entre la maison d’architecte et le musée d’art contemporain.

Promené d’un bout à l’autre du palais par un majordome aux mains gantées et au visage buriné, je découvre chaque nouvelle pièce avec émerveillement et, parfois, une pointe de malaise. En proie au doute… Non pas sur l’intérêt architectural de l’édifice, ça non, je n’oserais pas. Mais plutôt sur mon propre goût. Serais-je trop banal, trop provincial, ou trop européen peut-être, pour apprécier à sa juste valeur ce bijou de l’art contemporain brésilien ? Possible... Toujours est-il qu’il va falloir m’y habituer, puisque c’est désormais dans ce monstre de verre et de béton que Luiz et moi élirons domicile.

Puis vient le temps de la réception du soir, au palais d’Itamaraty, le siège du ministère des affaires étrangères. L’occasion pour le président brésilien tout juste investi de faire son début diplomatique, devant une foule d’invités de marque. Pour cette ultime étape de la passation de pouvoir, plus informelle, voire mondaine, le « first gentleman » que je suis est bien évidemment invité. Avant de quitter le palais pour rejoindre Luiz, sur les ordres du protocole, je me change pour enfiler un smoking noir, un peu ridicule mais apparemment indispensable pour ne pas froisser l’œil délicat de nos convives. On m’offre même les services d’une coiffeuse et maquilleuse, qui, visiblement habituée à s’occuper d’une première dame, ne sait pas trop quoi me proposer si ce n’est un rapide coup de peigne. Je sens bien que le personnel du palais n’est pas habitué à s’adresser à un homme. Tous marchent sur des œufs en permanence, tremblant à l’idée de faire le moindre faux pas. Qu’ils se rassurent, je ne suis pas du genre à me vexer ou à douter de ma virilité si on me propose un soin du visage. Au contraire. Je prends volontiers !

J’arrive à Itamaraty dans un véhicule officiel qui me dépose à l’entrée du bâtiment. Luiz m’y attend. Il m’accueille à la sortie de la voiture, dont je n’ai pas le droit d’ouvrir la portière par moi-même. Le visage fatigué, mais souriant. Il porte un smoking, lui aussi, orné de l’écharpe présidentielle. Un coiffeur bourré de talent est parvenu à dompter sa tignasse brune, élégamment rabattue en arrière. On dirait vraiment un prince charmant, il n’y a pas d’autre image qui me vienne à l’esprit. C’est un peu vieux jeu, un peu « too much », aussi, mais soit, nous aurons le temps de bousculer les codes en temps voulu. De retrouver son beau visage et sa présence pleine de chaleur me fait déjà un bien fou.

- Tout s’est bien passé ? me demande-t-il avec un sourire resplendissant.

- Oh, tu sais, rien de bien excitant… L’inspection du palais, les présentations officielles avec les employés de maison, le choix de la tenue pour le gala du soir… La routine, quoi ! Et de ton côté ?

- Pareil, j’ai fait une petite adresse aux forces armées, serré la main de quelques hauts gradés pas commodes, puis j’ai eu un rapide briefing avec les services de renseignement où on a discuté menace terroriste et secrets d’Etat…

- Tu leur as demandé s’ils étaient contents de te retrouver ? Tu as dû leur manquer terriblement depuis la fin de la mission de surveillance, après la publication de ton article...

- Je n’y ai même pas pensé, m’avoue Luiz en esquissant un léger sourire amusé.

- C’était pourtant l’occasion rêvée… Bon, en tout cas, tout ça est d’un ennui… A ce rythme-là, on n’aura bientôt plus rien à se raconter !

- C’est fort probable, en effet…

On s’esclaffe, tous les deux, puis, prenant le soin d’adresser un dernier geste à l’attention des photographes, on quitte le tapis rouge pour se jeter dans la fosse aux lions.

Nous sommes accueillis sous les applaudissements polis des convives, auquel nous sommes contraints de répondre par une salve de sourires convenus, balancés un peu au hasard de la foule, sans être réellement destinés à personne. Luiz est obligé de porter un toast pour lancer les festivités, ce qu’il fait avec brio, et en anglais, s’assurant ainsi la sympathie immédiate de l’assistance cosmopolite. Débute alors une suite interminable de présentations, qui, très vite me dépassent complètement. Au bout du dixième dignitaire venu spécialement de son pays obscur pour témoigner de son soutien à la démocratie brésilienne, je perds définitivement le fil. Je n’arrive plus à savoir qui est qui entre le premier ministre guatémaltèque et le ministre des affaires étrangères du Nicaragua. Et je bute à trois reprises sur le nom imprononçable du consul islandais. On croirait entendre Ewelina, je sais. J’ai un léger sourire en pensant à ma brave collègue des Nations Unies, à la mémoire sélective et aux connaissances géographiques pour le moins limitées.

Finalement, nous sommes séparés, Luiz et moi. Par la force des choses. Ou, pour être plus exact, par l’irrépressible attraction que j’éprouve pour le buffet, moi qui suis affamé après une journée entière sans repas digne de ce nom. Je me retrouve donc seul quelques instants, la bouche pleine de petits fours, observant Luiz du coin de l’œil. Il est en train de s’entretenir avec la secrétaire d’Etat américaine, qui, vu le visage de mon pauvre amoureux, perdu entre la contrariété et la confusion, doit encore dire des énormités sans nom, fidèle à elle-même.

Soudain, un type d’une cinquantaine d’année m’accoste. Il a de l’embonpoint, le visage avenant et la démarche bonhomme, porte la moustache avec insolence, et s’exprime dans un français parfait, avec même une pointe d’accent du sud-ouest, qui renforce son côté débonnaire :

- Bonsoir monsieur Pennec. Et toutes mes félicitations pour cette magnifique cérémonie d’investiture : un véritable succès !

- Je vous remercie, monsieur…

- Romain Vidal, répond-il d’un ton poli, ambassadeur de France au Brésil.

Je note une pointe de déception dans sa voix. Il est vrai que j’aurais probablement dû savoir à qui je m’adressais. Je m’efforce alors de réparer mon impair, n’hésitant pas à mentir comme un arracheur de dents :

- Oh, bien sûr ! Monsieur Vidal ! Je vous prie de m’excuser, je ne suis pas encore rodé à l’exercice, et j’ai toujours été très mauvais pour mettre un nom sur un visage familier...

- Je vous en prie, c’est naturel. Et rassurez-vous : ça viendra avec le temps et la pratique, j’en suis certain. Je tenais simplement à vous transmettre les meilleurs vœux de succès de la part de l’Elysée. Le président Lepage a été très impressionné par la campagne menée par votre compagnon.

- Oh, euh… Merci. C’est… très aimable de sa part.

- C’est vous qui êtes trop aimable, rétorque-t-il d’un ton presque obséquieux. Il y a des convergences évidentes entre le programme du président de Silva et celui de monsieur Lepage. En tout cas, sachez que vous êtes les bienvenus à Paris, pour en discuter, à votre convenance, bien sûr...

- Encore une fois, je vous remercie, monsieur Vidal.

- Appelez-moi Romain, je vous en prie. L’invitation officielle vous parviendra dans les jours à venir, soyez-en assuré !

*

Il est presque deux heures du matin. Et, pour la première fois depuis le début de cette journée hors normes, Luiz et moi nous retrouvons seuls. Dans notre immense chambre du palais de l’Aurore. Assis sur un tabouret dans le dressing, Luiz s’évertue à dénouer les lacets de ses chaussures, après avoir retiré sa cravate et défait quelques boutons de sa chemise. Moi, je suis déjà dans mon « habit de nuit », c’est-à-dire en caleçon, allongé sur le gigantesque lit qui est désormais le nôtre. Je contemple le plafond, songeur. Et me repasse le film de la journée. Encore et encore. Sans parvenir à y croire.

Soudain, mon téléphone sonne. « Maman ». Déjà ? Il est pourtant à peine six heures du matin, en France. Je la soupçonne d’avoir mis un réveil exprès. Je décroche malgré tout, pour une fois que j’ai quelque chose à raconter, je ne vais pas l’en priver, la pauvre ! S’en suit alors une conversation qui me semble interminable, même si elle ne doit pas durer plus d’un quart d’heure, en tout et pour tout :

« Oui, maman, je sais que je tu m’as vu à la télé... »

« Ça c’est sûr, ça ne fait pas pareil de le vivre en en vrai ! »

« Non, je n’avais pas trop chaud, pourquoi ? Ah, j’avais le front luisant... Bon, je demanderai un peu plus de poudre matifiante, la prochaine fois, alors »

« Evidemment qu’il y a une chambre pour toi au palais ! C’est immense, maman, il y a une chambre pour tout le monde... Mais oui, il y en a une spécialement pour toi, bien sûr, tu m’as pris pour un fils indigne ? La suite de la reine mère, comme ils l’appellent, ici... Si je me moque de toi ? Mais pas du tout... »

Quand je raccroche enfin, je cherche Luiz du regard. Il est sur le balcon, en train de prendre l’air, encore trop moite à mon goût, malgré la nuit noire. La chemise largement ouverte, sans pantalon. L’entrejambe joliment moulé dans son caleçon gris. Il me regarde depuis l’extérieur. Je lui fais signe, pour qu’il sache que mon appel est terminé.

Le visage rayonnant, un large sourire aux lèvres, Luiz revient dans la chambre, et ferme la porte-fenêtre derrière lui. Laissant la climatisation rafraîchir le fond de l’air. Pourtant, la température de la pièce est sur le point de grimper de quelques degrés... Lentement, Luiz se rapproche du bord du lit, où je l’attends, sagement assis. Il arrive enfin à ma portée. Sublime. Félin. Le teint hâlé, la crinière brune et décoiffée, le menton rasé de près, et le regard plus foncé que d’ordinaire, assombri par la lumière tamisée de la lampe de chevet. Il se baisse vers mon visage. Capture mon regard dans le sien, hypnotique. Et, enfin, après une journée passée sous le feu des projecteurs, sans une seconde d’intimité, il m’offre un long baiser dont la tendresse et la sensualité n’ont rien à voir avec ce que le public ne pourra jamais voir. Je me régale. Retrouve la caresse de ses lèvres fines et tièdes qui emprisonnent les miennes. La douceur de sa peau. Le parfum de son cou. Je passe ma main dans sa chevelure épaisse pour l’ébouriffer un peu plus encore. Subjugué par la beauté de mon beau brésilien.

Mais, trop vite à mon goût, Luiz décide de passer aux choses sérieuses. Mutin, il quitte mes lèvres pour fondre sur mes tétons, qu’il titille de la pointe de la langue. M’arrachant quelques gémissements aigus, que je ne parviens pas à retenir. Puis, après s’être amusé quelques temps sur ma poitrine, il descend un peu plus bas encore, vers mon entrejambe, qui enfle lentement à l’idée de se retrouver à la merci de mon petit-ami. D’un geste impatient, Luiz abaisse mon caleçon pour exhiber mon sexe, qui s’élève rapidement vers lui, à mesure que l’excitation monte dans mon esprit et mon corps tout entier. Enfin, du bout des lèvres, il vient happer mon gland, et l’enroule de sa langue brûlante. Sensation familière, mais divine. Luiz débute alors un lent mouvement de va-et-vient qui, très vite – trop vite, même – me fait complètement perdre la raison. Emporté par un tourbillon de plaisir dont il est le maître absolu. Ma main pend mollement sur le sommet de son crâne, perdue dans sa tignasse brune, dénuée de volonté. Finalement, je dois ordonner à Luiz de cesser son œuvre, pour pouvoir respirer un instant. Et ne pas jouir au bout de cinq minutes la nuit de son investiture.

Je ne sais pas quelle mouche le pique, mais Luiz décide alors de prendre les choses en main. Lui qui d’habitude se satisfait bien assez de me laisser diriger le rythme de nos ébats nourrit ce soir des ambitions plus grandes, sans doute liées à son nouveau rôle de chef d’Etat. Le pouvoir lui monterait-il déjà à la tête ? Peut-être, et même si c’est le cas, je ne suis pas contre l’idée de découvrir ce Luiz alpha, bien au contraire. D’un geste précis, étonnant d’assurance, le beau brésilien me fait basculer sur le dos, et soulève mes jambes pour s’arroger un accès à mon derrière. Puis, du bout de la langue, il vient lécher mon trou, qui s’ouvre légèrement sous l’effet de la surprise et du désir. Très vite, je suis assez détendu pour accueillir son joli sexe, désormais entièrement bandé dans son petit caleçon gris et moulant. Luiz se relève alors, et retire son sous-vêtement, déjà tâché par les prémices de sa jouissance. En revanche, il conserve sa chemise, entièrement ouverte sur son torse finement musclé, au poil court et brun, recouvert de petites taches de rousseur. Sa jolie queue dressée dans la semi-obscurité. Une vision enchanteresse.

Plein d’aplomb et de tendresse, Luiz s’avance vers moi, et, après l’avoir copieusement enduit de salive, place l’extrémité de son membre contre mon trou qui palpite d’excitation. Peu habitué à l’exercice, il n’ose pas me pénétrer tout de suite, ni trop vite. Je dois donc le guider jusqu’à ce qu’il entre tout entier en moi, sans me provoquer la moindre douleur. Il faut bien le dire : Luiz n’est pas aussi généreusement doté que Tobias le photographe, ou que nombre de mes anciens amants. Mais ça suffit amplement à me combler de bonheur, décuplé par le spectacle magique de son magnifique visage déformé par le masque du plaisir. Prenant mille-et-une précaution, Luiz débute alors une série de saillies tendres, qui se terminent chacune par de longs baisers, de plus en plus torrides à mesure que le désir nous emporte. Le beau brésilien prend son temps, s’applique, mais ne rechigne pas à imposer une cadence plus élevée lorsqu’il comprends que je peux encaisser bien plus. Notre étreinte change alors de registre. Se fait plus animale. Nos souffles s’accélèrent, calqués l’un sur l’autre, et sur le rythmes des à-coups que Luiz imprime sur mon derrière. Chaque va-et-vient déclenche en moi une profonde vague de plaisir, qui s’exprime par un soupir fiévreux.

Malgré qu’il soit relativement nouveau dans ce rôle, Luiz le remplit à merveille. Il ne faiblit pas, et fait preuve d’une endurance redoutable. Il ondule ainsi entre mes cuisses pendant de longues minutes, jusqu’à ce que la sueur perle sur son front plissé par l’effort. Il ne néglige pas mon plaisir pour autant, et s’efforce de me branler la queue au rythme de ses saillies. Je suis aux anges. Encore sous le coup de la surprise de voir mon beau brésilien aussi à l’aise dans sa nouvelle fonction de capitaine de nos ébats. Seul à la barre, une fois n’est pas coutume. Et je dois avouer que j’apprécie plutôt de pouvoir me laisser porter par ses désirs. D’ailleurs, je sens une puissante vague de plaisir monter en moi, lente, mais irrépressible. Depuis mon bas-ventre, jusqu’au bout de mes doigts, de mes orteils. Une sensation de plénitude absolue. Et, enfin, alors que Luiz me décroche un dernier coup de rein, je jouis à grands jets contre mon ventre, et celui de mon bien-aimé. Lequel me rejoint quelques secondes plus tard, déversant en moi sa précieuse semence en poussant un long cri de délivrance.

Mon beau brésilien s’effondre sur moi quelques secondes plus tard, trempé de sueur et intégralement vidé du peu d’énergie qui lui restait après cette journée marathon. Il s’endort en quelques minutes à peine, la chemise ouverte et les fesses à l’air. Heureusement, nous ne sommes plus au temps des rois, et nous ne serons donc pas réveillés le lendemain par une armée de domestiques débarquant dans la chambre tambour battant, au petit jour, en s’enquérant de savoir si la nuit a été bonne.

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