Epilogue
Cela fait presque un mois que Luiz et moi vivons dans l’élégante villa que le gouvernement français a mis à notre disposition, un peu en marge du centre-ville de Montevideo. Comme lors du dernier putsch militaire de l’histoire brésilienne, en 1964, c’est en Uruguay, voisin stable et neutre du turbulent Brésil, que le président en exil élit résidence. Temporairement, du moins... En attendant de savoir ce que le destin nous réserve. Rentrer au Brésil, si la situation s’améliore ? Ou accepter l’offre de la France d’accorder l’asile politique à Luiz ? Moi, je n’en ai pas besoin pour retourner au pays, citoyen français de plein droit. Pour l’instant, nous sommes encore dans l’expectative. Luiz n’a pas complètement abandonné l’idée de retourner à Brasilia en cas d’échec du coup d’état. Ce qui semble toujours envisageable. Le pays est profondément divisé, coupé en deux, entre les pros et les antis junte militaire. En dépit du couvre-feu imposé dans toutes les villes du pays, les heurts entre les forces de l’ordre et les manifestants sont un fait quotidien, et font la une des journaux du monde entier. D’ailleurs, aujourd’hui, Luiz donne une interview à un journaliste politique de la BBC, dans un hôtel du centre-ville, pour commenter la situation actuelle au Brésil. Me laissant donc à ma solitude dans cette immense demeure silencieuse, chose à laquelle je me suis habitué, après ces longs mois d’exercice du pouvoir par mon bien-aimé.
J’en profite pour écrire. J’ai toujours rêvé d’écrire, mais, jusqu’à présent, ma vie était trop banale pour justifier de la coucher sur le papier. Plus maintenant, je crois qu’on peut se mettre d’accord là-dessus... En revanche, je ne sais pas trop par où commencer. Par le début, peut-être ? Ce jour de tempête printanière où j’ai passé mon entretien d’entrée dans la fonction publique internationale ? Ça me semble être une bon point de départ. Soudain, alors que je suis en train de mettre quelques idées au brouillon sur l’ordinateur, le majordome de la villa vient me déranger. Dans un espagnol auquel j’aurais toujours du mal à m’habituer, il m’explique qu’il y a quelqu’un à la porte pour moi.
« Un monsieur ».
Intrigué, je prends le temps de mettre un peu d’ordre dans mes cheveux et d’enfiler une chemise, au cas où il s’agirait d’un représentant de l’ambassade française. Ils ont la prévenance de venir aux nouvelles tous les trois-quatre jours, principalement pour savoir si Luiz a l’intention d’accepter l’asile politique proposé par Paris. Une occasion en or de redorer le blason du pays. Je n’ai rien de nouveau à leur annoncer, mais par politesse pour ceux qui me payent le loyer, je me dois de les recevoir convenablement.
Mais ce n’est pas un énième diplomate français qui m’attend à la porte d’entrée. C’est un bel homme ténébreux, frisant la quarantaine. Le torse bombé, la carrure impressionnante. Vêtu d’un costume de bureau bleu sombre. Les cheveux grisonnant sur les tempes, et, pour le reste, d’un noir de jais. Le regarde brûlant. La barbe taillée et les lèvres pleines, rouge brique, dessinant un léger sourire. Je le reconnais immédiatement, malgré les années. Alvaro.
Je n’en reviens pas. Et, oubliant de l’inviter à entrer, me jette dans ses bras puissants pour l’embrasser. Il me serre contre lui. Penche sa tête contre la mienne. Et l’odeur virile qui émane de son cou m’emplit de nouveau les narines, un peu plus de cinq ans après notre dernière rencontre... Après quelques politesses d’usage, je finis par poser la question qui me brûle langue :
- Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
- Je te rappelle que c’est ma ville, « ici », comme tu dis, me répond-il d’un ton amusé. Je suis toujours ici, moi, contrairement à toi !
- Je sais, mais je veux dire chez moi, enfin... chez nous... Comment tu nous as trouvé ?
- Un ancien collègue des Nations Unies m’a dit que la France vous logeait dans le quartier des ambassades. C’est une petite ville, Montevideo, et les expats, un plus petit monde encore. Tout le monde se connait, tout le monde sait quelque chose, et tout le monde à la langue bien pendue. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour savoir où vous logiez, toi et ton mari !
- Nous ne sommes pas mariés, Luiz et moi...
- Toi et ton mec, donc... En tout cas, je suis désolé si je te prends au dépourvu... Je sais que ça fait longtemps qu’on n’a pas parlé, tous les deux, mais je me suis dit que ce serait quand même stupide de ne pas passer te voir, même après toutes ces années...
- Tu as eu raison, je suis vraiment ravi de te voir. Entre-donc !
Je l’invite au salon, où je lui propose un verre de vin. Alvaro refuse poliment. C’est vrai qu’il n’est que quinze heures. Je suis un peu déphasé, moi, à force de ne pas avoir d’horaires... Je lui sers donc un verre d’eau, par bienséance, et nous échangeons quelques banalités, histoire de savoir ce qu’il s’est passé dans nos vies respectives depuis notre dernière rencontre. Il travaille toujours pour le ministère du climat de l’Uruguay. Il est devenu chef du service en charge des relations avec les Nations Unies – pas vraiment une promotion, à l’écouter, puis que l’institution, privées du soutien des Etats les plus puissants, se transforme petit à petit en une coquille vide. Détail important, Alvaro est toujours célibataire, et n’est visiblement toujours pas intéressé par l’idée de se poser. Bon à savoir... La conversation est asymétrique, bien entendu, puisque ma vie n’a de secret pour personne, étant devenu un personne publique depuis l’élection de Luiz.
- D’ailleurs, en parlant de Luiz, demande Alvaro d’un ton faussement innocent, il n’est pas là, ton mec ?
- Non, réponds-je avec un demi-sourire, il a une interview avec la BBC. Il ne lâche pas le morceau, le bougre, au cas où les militaires perdent leur bras de fer avec les manifestants...
- Il revient quand ?
- Je ne sais pas, il en a pour un moment, je pense...
Alvaro prend un air légèrement amusé. Et balaye la pièce du regard. A cet instant, lui et moi savons déjà comment les choses vont se terminer, entre lui et moi. J’ignore seulement combien de temps cela va prendre pour que nous succombions à la tentation.
*
La réponse : un petit quart d’heure. Il aura suffi que je lui propose une visite guidée de la villa pour que nous nous retrouvions seuls dans une chambre inoccupée. A l’abri du regard indiscret du majordome. Retrouvant les gestes d’autrefois, je me suis approché pour me blottir contre son torse puissant. Il m’a enveloppé de ses bras, et serré contre lui, avec une tendresse que je ne lui connaissais pas. Ou plus. Ça fait si longtemps... Son odeur n’a pas changé. Elle me transporte quelques années en arrière, vers des jours plus simples, plus heureux. Je m’en enivre, avant de retrouver la douceur de ses lèvres pleines, que j’embrasse en frémissant, subjugué par le désir. La piqûre de sa barbe brune me chatouille le visage, à mesure que sa langue se frotte à la mienne. Ses mains parcourent mon torse, dessinent mes hanches, agrippent mes fesses. Il y dépose une petite tape, en souvenir du bon vieux temps. J’ai un petit rire, plus amusé qu’excité. J’ai l’impression de retrouver un vieil ami.
Pourtant, il n’a rien perdu de sa fougue. Notre baiser se fait plus intense, et s’accompagne de caresses qui provoque de petits gémissements. Chez moi, chez lui. Nous gémissons en chœur. Et très vite, nous ne tenons plus. Et nous nous déshabillons précipitamment, lui retire sa veste, moi déboutonne ma chemise. Il découvre enfin son torse, large et recouvert d’un toison brune, qui n’a rien perdu de sa splendeur. Il plonge son regard noir dans le mien, et, d’un léger geste de la tête, m’autorise à faire ce que je meurs d’envie de faire. Enfouir mon visage contre sa poitrine. Comme avant. Comme toujours. Et respirer l’odeur suave de sa peau, y déposer de tendres baisers, la lécher, un peu, aussi, pour en retrouver le goût salé. Redécouvrir un téton, sombre et durci par l’excitation, que je titille de la pointe de ma langue. Alvaro grogne un peu, pas méchamment, mais quand même, toujours aussi sensible à ce petit jeu que j’aime tant. Pour le calmer, j’embrasse ses lèvres rouge brique qui m’ont tellement manqué, pendant ces quelques secondes où elles ont été séparés des miennes. Patient, je laisse sa langue s’enrouler lentement autour de la mienne. Je guette ses gestes, suspendu à ses désirs.
Enfin, Alvaro capte mon attente. Et, d’un geste lent, accompagné d’un regard évocateur, il défait la fermeture éclair de son pantalon, et baisse son caleçon pour découvrir sa queue. Sa jolie queue, courte et épaisse, que je n’ai pas vue depuis des années. Elle n’a pas changé. Pourquoi aurait-elle changé, d’ailleurs. Je m’empresse de la retrouver, et m’agenouille devant le bel uruguayen, qui me caresse la joue du revers de la main. J’embrasse son pubis, dont le poil dru coupé à ras me picote les lèvres. Puis, lentement, je remonte le long de sa queue, et passe ma langue sur son gland rond. Il soupire. Je souris. Et happe le bout de son sexe, avant de commencer un va-et-vient lascif, par lequel j’avale la totalité de sa verge, qui enfle en moi de quelque centimètre encore.
Quand il est entièrement bandé, j’accélère le rythme sur le membre viril d’Alvaro. Dont le souffle est de plus en plus saccadé. Il se laisse emporter par le désir, et posant sa main sur le sommet de mon crâne, accompagne mes mouvements pour me faire avaler un peu plus de sa chair brûlante. Je me plie à sa volonté sans rechigner. Bercé par le mouvement de balancier de ses couilles lourdes et brunes, qui s’entrechoquent avec mon menton alors que j’atteins la base de sa queue. Le nez dans le pubis du bel uruguayen.
Et puis, immanquablement, vient le moment où, en dépit de mon dévouement le plus total, le simple plaisir de se faire sucer ne suffit plus à Alvaro, l’insatiable. Je prends alors soin de me relever, et me défait à mon tour de mon pantalon. Et de mon caleçon. Ma queue se dresse fièrement vers le bel uruguayen qui, à ma grande surprise, se met immédiatement à genoux pour me rendre l’appareil, avec un peu de maladresse, certes, mais un tel entrain que je ne peux résister bien longtemps. Le souffle court, crispé comme jamais pour ne pas exulter trop vite, j’implore Alvaro d’arrêter, et de passer à une autre étape du programme. Celle que j’attends depuis le début. Depuis que nos lèvres se sont frôlées. Sans doute même depuis que j’ai reconnu son imposante silhouette sur le perron de la villa.
Alvaro se redresse, et me fait face, de toute sa carrure. Je prends sa main, la porte à ma bouche, et lèche le bout de ses doigts. Pour les humidifier, un peu. Et pour le provoquer, beaucoup. Et ça marche. Le sang d’Alvaro ne fait qu’un tour. Et sa main passe entre mes cuisses pour retrouver le chemin de mon derrière. D’un geste précis, il détend mon trou, qui n’a pas besoin d’une grande aide, vu le désir irrépressible, violent même, que j’éprouve pour le bel uruguayen. Un désir qui me ronge, m’accapare l’esprit et me possède le corps tout entier. La simple sensation de ses doigts pénétrant mon intimité me fait perdre la raison. Je l’embrasse sans retenue, complètement ivre d’envie pour le bel Alvaro, dont j’admire les traits virils, le torse large et musclé, et le sexe en rut, écrasé sur mon ventre.
Tout à coup, Alvaro me soulève, et me porte vers le mur le plus proche, contre lequel il me plaque. Dos au mur, face à lui. Je sais à quoi m’en tenir. J’enroule mes jambes autour de sa taille, et mes bras autour de ses puissantes épaules. Et frotte mon derrière contre sa queue brûlante. Un peu de sa salive en guise de lubrifiant – elle est toujours humide de la mienne – et Alvaro me pénètre enfin. D’un coup sec. Et, comme par miracle, nous sommes toujours parfaitement compatible. Je n’éprouve pas la moindre douleur. Pas la moindre brûlure. Uniquement le plaisir le plus pur qui soit, celui de me retrouver à la merci de son désir sauvage. Son regard de braise me transperce, m’intimide presque. Je dois baisser les yeux pour ne pas rougir en retrouvant la chaleur de sa bouche qui s’écrase sur la mienne. Et, alors qu’il commence à m’infliger de légers coups de rein, je sombre dans un état de transe auquel je n’étais plus habitué. Ne prenant pas la peine de gémir, de crier ou de hurler de plaisir. Je me contente de le ressentir. De le vivre. Calquant le rythme de ma respiration sur le sien, pour qu’entre chaque baiser, il puisse me donner son souffle, et lui aspirer le mien. Pour que nous partagions tout, jusqu’à l’air dans nos poumons. Pour que nous ne formions plus qu’un. Une bête à deux têtes, l’une blonde, l’autre brune, mais dont chaque visage porte le masque du plaisir absolu.
Je me laisse porter par la cadence imprimé par Alvaro pendant de longues minutes. Pendant lesquelles j’alterne entre la joie d’admirer sa figure magnifique, plus mûre qu’autrefois, mais plus séduisante encore, et le bonheur de fermer les yeux, et de m’oublier complètement, pour ne plus ressentir que les mouvements de sa queue en mon for intérieur. Et puis, trop tôt, car c’est toujours trop tôt, je sens Alvaro se crisper. Ses saillies se font plus rapides, plus sèches. Et, après une dernière salve particulièrement délicieuse, il jouit en moi en de longs jets, chauds et puissants, qui me viennent se répandre dans mes entrailles les plus profondes. Sans un bruit. Mais avec un baiser plein de fougue et de tendresse qui me fend le cœur en deux. Quand il se retire enfin, j’ai presque les larmes aux yeux. Pas de douleur, mais de tristesse, de le savoir si loin de moi, déjà.
Heureusement, Alvaro ne me quitte pas tout de suite. Loin de là. S’agenouillant à mes pieds, il prend ma queue dure comme l’acier entre ses lèvres pleines, et y applique un rapide mouvement de va-et-vient qui ne met pas longtemps à porter ses fruits. Epuisé, j’exulte dans la bouche du bel uruguayen, qui, beau joueur, avale ma semence sans rechigner. De voir un si bel homme, l’œil noir, la tempe grisonnante et le corps parfaitement musclé, se délecter de mon précieux liquide avec autant de joie, me fait chavirer le cœur. Il faut se rendre à l’évidence, je n’ai pas été aussi comblé depuis un sacré bout de temps. Encore étourdi par l’orgasme, je rejoins Alvaro sur le parquet de la chambre, et embrasse ses lèvres brillantes, dont le goût amer provoque en moi une nouvelle vague de désir. Inassouvie, celle-là, je le crains.
*
Quelques jours plus tard, vers une heure du matin, alors que Luiz dort profondément, je me remémore la scène de mes retrouvailles avec Alvaro. Et, pour ne rien vous cacher, en profite pour m’auto-satisfaire dans l’obscurité. Je ne peux m’en empêcher, le souvenir de cette après-midi torride me hante. Et me hantera encore pendant un certain temps. Avec de telles images en tête, il ne devrait pas être difficile pour moi de conclure dans les meilleurs délais. Pourtant, je suis perturbé par le clignotement d’un voyant sur le téléphone de Luiz. Il y a peu de choses qui m’agacent autant... Il a dû recevoir un message après s’être endormi. Ne parvenant pas à passer outre, je décide de prendre les choses en main – enfin, le cas échant, de lâcher ma queue l’espace d’un instant, pour saisir le téléphone de Luiz, sur sa table de chevet. Je n’ai pas d’autre intention que de faire disparaitre la notification, une bonne fois pour toute, de sorte que le clignotement infernal du voyant cesse enfin. Mais, lorsque je vois le nom du contact s’afficher sur l’écran, je ne peux pas m’empêcher d’ouvrir le message.
« Tu me manques, Luiz. J’ai hâte de te retrouver. Emerson ».
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