Chapitre 30. Les nations réunies
La cérémonie a lieu au sommet d’une colline, un rocher découpé surplombant le port de Castro Urdiales. La vue sur la baie est à couper le souffle. Une estrade et quelques rangées de chaises ont été disposées sur un petit carré d’herbe, à quelques mètres à peine d’une magnifique église gothique en pierre dorée. Pied-de-nez ultime de Maria à la religion catholique, qui profite ainsi de la beauté de l’édifice sans avoir à subir le poids de la tradition pour ce qui est censé être le plus beau jour de sa vie. Et celui de son fiancé, Javier. Le temps est idéal. Un doux soleil de septembre berce le promontoire d’une lumière tendre, sans faire transpirer les invités. Et ça vaut mieux, car je suis exposé à au regard de tous. Sur l’estrade, aux côtés de mon amie, fort du rôle de témoin dont elle m’a fait l’honneur.
Vu d’ici, les convives ont le visage bienveillant, mais j’en soupçonne plusieurs d’observer la scène d’un œil sévère. Au premier rang, la famille des futurs époux, vêtus de tenues extravagantes. Il va sans dire que ni Maria, ni Javi ne sont issus du petit peuple d’Espagne. Madrilène de toujours, Maria est la descendante d’une longue lignée de hauts-fonctionnaires de l’Etat espagnol. Ses parents, un retraité du ministère de l’intérieur et une diplomate en fin de carrière, sont empreints d’une solennité propre aux dignitaires publics. Maria compte même quelques militaires parmi ses aïeux, comme en témoigne la présence de plusieurs vieillards en costume d’apparat dans l’assistance. Du côté de Javier, l’impression est différente, de tendance bourgeois-bohême. La mère, une cantatrice de renom, est pendue au bras du père, professeur de philosophie dans une des universités les plus réputées du pays. Le cliché est parfait : un tel couple ne pouvait accoucher que d’un écrivain à succès comme Javier. Sans doute plus fortunés que la famille de Maria, composée d’humbles serviteurs de l’Etat, les parents de Javier semblent pourtant plus accessibles, visiblement émus par la cérémonie. La mère a les yeux embués. Le père le torse bombé, empli de fierté. Il y a plus de monde du côté de Javier que de celui de Maria, mais le fait que le mariage se déroule en Cantabrie, la région d’origine de ce dernier, compte sans doute pour beaucoup.
Maria est resplendissante et accapare tous les regards. Elle a opté pour une combinaison ivoire qui lui sied à merveille, refusant de se plier à l’obligation de la robe de mariée classique, ce qui donne un touche moderne à la cérémonie. Ses longs cheveux noirs, spécialement détachés pour l’occasion, tombent sur ses épaules en de lourdes mèches lisses et soyeuses. Elle se tient droite, le visage rayonnant, les yeux plongés dans ceux de son fiancé. Javier. Javi, pour les intimes. Un bel hidalgo a la peau claire et au regard noir, le visage mangé par une barbe sombre faussement négligée, dont les mèches brunes virevoltent sous l’effet de la brise marine. Lui aussi est à son avantage, dans un costume bleu roi taillé sur mesure qui, vu la facture de l’étoffe, a dû coûter plusieurs milliers d’euros.
Les futurs époux ont l’air profondément épris l’un de l’autre, et submergés par une émotion contagieuse. Difficile, donc, de contenir la mienne. L’échange des vœux est un moment particulièrement éprouvant. La voix tremblante, Maria et Javi se promettent un soutien mutuel et infaillible, jusqu’à ce que la mort les sépare. De ce ton à la fois grave et enflammé dont les espagnols ont le secret. J’ai un pincement au cœur, et, comme souvent depuis mon arrivée en Espagne, une pensée pour Luiz. Il aurait dû être là, aujourd’hui, à mes côtés... Il faisait même partie de la liste des invités, dressée il y a plusieurs mois, quand notre rupture n’était pas encore actée. Evidemment, la vie en a décidé autrement. C’est peut-être mieux comme ça.
Je dois me ressaisir lorsque le maître de cérémonie m’invite à apposer ma signature dans le livret de mariage. Juste en dessous de celle des nouveaux époux, qui scellent ainsi leur union. Certes, pas devant Dieu, au grand dam d’une ou deux grands-mères qui s’empressent d’effectuer un signe de croix lorsque Maria et Javi enfilent leurs alliances, mais devant la loi espagnole, ce qui n’est pas rien non plus. Enfin, le moment est venu pour les jeunes mariés d’échanger un premier baiser. Une musique faite pour vous arracher les larmes des yeux retentit alors avec force sur la colline, et Maria et Javi s’embrassent sans retenue, sous un tonnerre d’applaudissements et de « viva ! ». Je ravale un sanglot ému, aussi discrètement que possible, tenant à conserver un peu de dignité devant un parterre de convives qui compte quand même quelques connaissances et amis.
*
La suite des festivités a lieu dans un restaurant de poisson situé en contrebas de la colline, donnant directement sur le port de pêche de Castro Urdiales. Le décor est chic, sobre mais raffiné. Les nappes en coton épaisses et immaculées. Les verres en cristal, et les assiettes en porcelaine de Sargadelos. Le plafond de l’immense salle de réception, dans laquelle les trois-cents convives s’installent à leur aise, a été réalisé par des charpentiers de marine. Il est déjà quinze heures quand nous arrivons à table, horaire espagnol oblige. Inutile de préciser, donc, que je meurs de faim. Le plan de table, pour le moins épicé, n’aide pas à calmer mon appétit. Je soupçonne Maria d’avoir souhaité me faire un petit clin d’œil, me plaçant délibérément entre Alvaro et Ulysse, lui-même accompagné de son petit-ami depuis maintenant plusieurs années, Samir, que je rencontre pour la première fois. Il faut dire que je n’ai pas revu Ulysse depuis un sacré bout de temps... Pas depuis mon départ de Bruxelles.
Le temps n’a pas épargné le belge. Une calvitie précoce l’a obligé à couper sa longue chevelure d’ange. Le visage fatigué, les traits creusés, Ulysse a complètement perdu son côté félin qui me faisait un certain effet, fut un temps. Il a l’air épuisé. Ce dont il ne se cache pas, d’ailleurs, expliquant être soumis à une pression terrible au travail, ayant récemment gravi un échelon supplémentaire au sein du service environnement de la Commission européenne. Drainé de son énergie par les soucis professionnels, il semble éteint à côté de Samir, plus jeune de quelques années, et dont le regard sombre et plein de malice pétille encore. Le belgo-marocain est d’ailleurs plutôt séduisant. Les lèvres pleines, de grands yeux noirs et d’épaisses boucles brunes qu’ils rabat en arrière toutes les cinq minutes pour éviter qu’elles ne lui obstruent la vue. Il dit travailler pour le parlement fédéral belge, sans préciser ce qu’il y fait, exactement. Le costume noir qu’il porte ne parvient pas à cacher sa carrure, très respectable, qui, une fois de plus, contraste avec celle d’Ulysse, autrefois grand et fin, qui s’est considérablement épaissi.
Quant à Alvaro, le bel uruguayen n’a rien perdu de sa superbe. Les tempes un peu plus grisonnantes, peut-être. Mais pour le reste, il n’a pas vieilli d’un poil, depuis notre dernière rencontre, dans un restaurant du front de mer de Montevideo. Le torse large, et bombé, le regard brûlant, la peau hâlée et les lèvres rouge brique. Il a retiré sa veste de costume pendant le repas, et sa chemise cintrée laisse deviner la puissante musculature de ses épaules, de ses bras et de sa poitrine. Même si j’ai fini par tirer une croix sur le bel uruguayen, souhaitant le conserver comme ami, je dois avouer que je ne suis pas encore totalement immunisé contre sa beauté.
Alvaro et Ulysse ne se connaissent pas, du moins, pas directement. Je suis donc chargé de trouver un sujet de conversation sur lequel tout le monde aura forcément quelque chose à dire. Et, de préférence, qui ne concerne pas mes performances au lit ! Je décide donc d’opter pour une actualité qui ne manquera pas d’intéresser les anciens employés et/ou stagiaires des Nations Unies que nous sommes tous, à l’exception de Samir :
- Et donc, qu’est-ce que vous en pensez, de ce nouveau Fonds mondial, censé remplacer les Nations Unies ?
- Moi je trouve ça dommage, commence Ulysse d’un ton assuré. On jette à la poubelle tout l’effort de construction d’un système de droit et de valeurs universels, et on se rabat sur l’agent...
- Je ne suis pas du tout d’accord avec toi, Ulysse ! rétorque Samir, tout aussi catégorique.
- Comme d’habitude...
- Non, mais écoute-moi ! Les droits et valeurs universels en question, c’était toujours ceux de l’Occident... On n’était pas du tout dans un effort de construction, mais plutôt d’imposition ! Et puis, les architectes du fameux système, ils ressemblaient plus à toi qu’à moi, si je peux me permettre...
Je devine quelques tensions, idéologiques du moins, entre Ulysse et Samir. Le jeune homme ne semble pas partager la haute opinion que son petit-ami porte à l’institution pour laquelle il a été stagiaire, lors d’un lointain été. Ce n’est pas plus mal, ça pimente les échanges au sein du couple ! D’ailleurs, Samir n’en a pas fini avec sa tirade anti-Nations Unies :
- Et puis, de toute manière, ça ne marchait plus, leur affaire... Il fallait bien qu’on trouve une alternative. Moi, tant qu’on peut faire avancer les choses sur le climat, je suis pour ! C’est une question de vie ou de mort, non ? On n’est pas encore en 2030, et on a déjà des catastrophes climatiques qu’on n’attendait pas avant 2050... Regarde le cyclone Amalia qu’on est sur le point de se prendre sur le coin de la gueule en Belgique, par exemple !
- En Bretagne, aussi... osé-je alors, à demi-mots, de peur de froisser Ulysse en prenant partie pour son petit-ami.
- C’est même par-là que le cyclone va arriver, non ? s’interroge Samir.
- Oui, cette nuit, je pense. J’ai eu mes parents au téléphone il y a quelques jours, apparemment c’est la panique totale, sur place... Pourtant, on est habitués aux tempêtes... Mais là, les gens se préparent pour Amalia comme on se prépare à un ouragan en Floride, avec des planches de bois clouées aux fenêtres et de quoi tenir quinze jours en eau potable et boîtes de conserve dans les placards !
L’assistance marque une courte pause, prenant quelques secondes pour réfléchir aux conséquences désastreuses du réchauffement climatique entre deux bouchées de homard.
- Personnellement, je ne sais pas si le Fonds mondial fera mieux que l’ONU, s’aventure Alvaro, mais je suis plutôt intéressé par le projet. Je ne serais pas contre l’idée de m’y joindre...
- Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
- Bah, ça fait presque dix ans que je travaille pour le ministère, en Uruguay. Je tourne un peu en rond...
- Déjà dix ans ?
- Huit, pour être exact. Mais bon, je ne serais pas contre un peu de nouveauté, donc le Fonds mondial, ça me tente ! En plus, ce serait l’occasion de revenir en Europe. Montevideo aussi, je commence à avoir fait le tour...
- La question du siège a déjà été décidée ? demandé-je, soudainement conscient de ne plus avoir accès à l’information de la plus grande primeur depuis que je suis confiné au monde académique.
- Ça a l’air d’être bien parti pour Vienne, d’après les bruits de couloir à la Commission, explique Ulysse. Il faut dire qu’on a mis les bouchées doubles pour éviter l’échec de la relocalisation du siège Nations Unies... L’UE met un sacré paquet sur la table...
- D’ailleurs, renchérit Samir, Ulysse m’a dit que c’était un peu ton idée, à la base, Loïc, ce Fonds mondial.
- Comment ça ? réponds-je, interloqué.
- Ce n’est pas toi qui a travaillé sur le méga-fonds européen pour les énergies renouvelables ?
Soudain, coupant court à notre conversation, Maria et Javier surgissent de nulle part. Tous les deux sourient à s’en décrocher la mâchoire. Depuis quelques minutes, ils vont de table en table pour saluer leurs invités, et récoltent une pluie de compliments. Notre tour est donc enfin arrivé, ce qui semble ravir Maria, dont le visage s’illumine alors qu’elle arrive à notre hauteur :
- Les amis ! s’écrie la belle espagnole. Je suis tellement contente que vous soyez tous là ! Tout se passe bien ?
- Tout est parfait Maria, répond Alvaro, du tac-au-tac. La cérémonie, le repas... Il n’y a rien à dire, c’est vraiment un sans-fautes.
- C’est clair, félicitations ! renchérit Ulysse, d’un ton jovial. La cérémonie était tellement émouvante, et le décor sublime.. Ça met la barre très haut, mais ça donne quelques idées, aussi...
- Attends Ulysse... demande Maria, qui, visiblement, n’en revient pas. Qu’est-ce que tu es en train de nous dire, là ? Vous allez bientôt sauter le pas, toi et Samir ?
- Peut-être... répond Ulysse, interdit.
A entendre son petit-ami évoquer une hypothétique union future, Samir semble légèrement embarrassé. Son visage prend une teinte cramoisie, il baisse les yeux vers le sol et affiche un sourire de convenance, un peu gêné. Je ne suis pas capable de dire s’il est timide, pudique ou tout simplement hostile à l’idée. Dans tous les cas, je décide de mettre un terme au moment à ce moment de flottement, reprenant la salve de compliments à l’égard de la cérémonie :
- Vous étiez vraiment sublimes... Maria, cette coiffure te va à merveille. On dirait une star de cinéma ! Et toi, Javi, tu es super élégant, et puis, quel charisme ! Non, franchement, je pense qu’on va tous s’en souvenir longtemps, de votre mariage... C’est tellement beau de vous voir aussi amoureux l’un de l’autre... J’étais à deux doigts de fondre en larmes pendant l’échange des vœux..
Ma voix tremble légèrement lorsque je prononce cette dernière phrase. Maria, l’esprit toujours aussi vif, comprend tout de suite. Je la connais par cœur. Et vice-versa. Je peux lire sur visage qu’elle y voit clair dans mes pensées : Luiz, notre rupture, son absence, rendue plus insupportable encore par l’amour et le bonheur des autres. Pas besoin de s’étaler plus sur le sujet.
Javi, lui, ne semble pas avoir fait le rapprochement, et on ne peut lui en vouloir. En revanche, mon compliment sur l’élégance du bel hidalgo semble avoir fait mouche. En retour, il m’adresse un large sourire, quelque peu appuyé, voire même, si je ne m’abuse, un peu charmeur. Pendant quelques secondes, il ne me lâche pas du regard. J’en suis presque confus... Mais heureusement, Maria reprend la parole et change de sujet, pour remettre un peu de légèreté dans la conversation :
- Bon, et sinon, vous parliez de quoi, avant qu’on vous interrompe avec notre beauté et notre charisme ?
- On parlait boulot, ou presque... avoue Ulysse, du bout des lèvres.
- Vous êtes devenus un peu chiants, non, en vieillissant ? s’esclaffe Maria.
- Qu’est-ce que tu espérais ? reprend Ulysse, ne se laissant pas démonter par l’aplomb de la belle espagnole. Tu as mis tous les ex-ONU ensemble ! Il n’y avait qu’un seul sujet de discussion possible : le nouveau Fonds mondial...
- Ce n’est pas faux... Quelle connerie, ce Fonds, d’ailleurs...
- Ne dis pas ça, proteste Alvaro, d’un ton protecteur. On disait tout juste que Loïc en était un peu le précurseur, avec le méga-fonds européen sur lequel il avait travaillé, quand vous étiez encore au ministère européen des affaires étrangères, tous les deux.
- Ce n’est pas totalement vrai, précisé-je alors. J’étais impliqué, d’accord, mais le vrai cerveau derrière l’opération, c’était Kata, quand même. Rendons à César ce qui lui appartient...
- Kata... murmure Maria, l’air ailleurs. Paix à son âme, à cette vieille chouette, si tant est qu’elle en avait une... Tu sais ce qui lui est arrivé, Loïc ?
Je secoue la tête, négatif. Incrédule, Maria pousse un cri aigu qui retentit dans toute la salle. Puis, la belle espagnole s’empare de son téléphone pour y trouver un article. Quand c’est chose faite, elle hésite quelques instants à éclater de rire, avant de se raviser, et adopte une mine faussement sérieuse. Et me tend son téléphone. Le titre de l’article me fait l’effet d’une bombe :
« Etats-Unis : une randonneuse finlandaise tuée par un ours dans un forêt des Rocheuses ».
En illustration, une photo de Kata, entourée de son mari et de ses enfants. Elle est souriante, et par conséquent, méconnaissable. Le cliché semble avoir été pris lors de leurs (dernières) vacances dans le grand-ouest américain. L’article est daté d’il y a deux ans, ce qui correspond plus ou moins au moment où Luiz et moi étions en train de fuir le Brésil, ce qui explique le fait que je sois complètement passé à côté de ce fait divers. Je n’y crois pas... Kata, mangée par un ours... Ça ne s’invente pas ! D’ailleurs, plus encore que la nouvelle elle-même, c’est l’issue du combat qui me surprend : j’imaginais Kata suffisamment coriace pour triompher de l’ours. Pauvre bête...
*
Lorsque nous ne sortons de table, le soleil termine sa course dans l’Atlantique. La soirée se déroulera dans la même pièce, transformée pour l’occasion en piste de danse. Toutefois, Alvaro et moi décidons de commencer par faire une pause. Pour digérer, se dégourdir les jambes, et laisser Ulysse et Samir se chamailler pour une raison que nous ne cherchons pas à comprendre. C’est aussi l’occasion de découvrir la ville, un petit port de pêche devenu station balnéaire sans perdre son charme, plutôt cossue sans être aussi huppée que ses rivales de la côte basque. L’air est vif et iodé, la lumière irisée par la brume océane. Je suis dans mon élément. Une longue digue en béton armé protège le port. Je propose à Alvaro d’y marcher jusqu’au bout, où se trouve un joli petit phare à la peinture rouillée par le sel.
En chemin, nous discutons de tout et de rien. Alvaro dit s’ennuyer de pied ferme à Montevideo. A son retour en Uruguay, il avait apprécié renouer avec ses racines, mais est de nouveau séduit par l’appel du large. Il m’avoue avoir un faible pour l’Europe, la variété de ses cultures et de ses paysages. De ses habitants, aussi. Si le Fonds mondial s’installe à Vienne, comme le prétend Ulysse, ce sera une aubaine pour le bel uruguayen, qui n’hésitera pas une seconde à se porter candidat.
Pour ma part, je m’étends quelque peu sur ma rupture avec Luiz. La dernière fois que nous nous sommes vus, Alvaro et moi, notre couple était déjà en train de vaciller. Mais mon départ pour le Canada a été si précipité que je n’ai jamais eu le temps de lui expliquer le pourquoi du comment. Je me rattrape donc, n’épargnant aucun détail à mon ami, de mon faux-pas dans les jardins de l’Elysée à l’histoire d’amour naissante entre Luiz et son conseiller. D’évoquer ma séparation comme un fait révolu me plonge dans un drôle d’état... Je n’ai plus aucune nouvelle de Luiz et d’Emerson. Je ne sais même pas où ils se trouvent. Il serait logique qu’ils soient toujours à Montevideo, puisque le régime militaire est toujours en place à Brasilia. En revanche, l’ambassade de France aura mis un terme au logement gratuit dont Luiz bénéficiait grâce à moi. J’aurais peut-être pu m’en préoccuper un peu plus. J’avoue être parti avec pas mal de rancœur. Il faudra sans doute corriger tout ça...
- Et sinon, tu vois quelqu’un en ce moment ? me demande soudain Alvaro, coupant court à ma rêverie.
- Oh, c’est un peu compliqué...
- Compliqué comment ?
- Je vois un garçon assez régulièrement depuis plusieurs mois, précisé-je, mais on n’est pas ensemble, lui et moi. Pas officiellement, du moins...
- Relation libre ? s’enquière Alvaro, un sourire évocateur étirant ses lèvres.
- Quelque chose comme ça... On n’a pas encore pris le temps d’en discuter, pour être honnête. Mais j’étais chez lui quasiment tous les soirs, ces derniers temps. Donc je pense qu’on peut dire que je vois quelqu’un, pour répondre à ta question !
- Il est comment ?
Non seulement Andre est un homme séduisant, il est aussi particulièrement photogénique. Je n’hésite donc pas une seconde avant de fanfaronner auprès d’Alvaro en lui montrant quelques photos tirées du profil OneFeed du beau canadien. Visiblement impressionné par la plastique d’Andre, voire peut-être même un peu jaloux sur les bords, Alvaro fait la moue et prend un air boudeur.
- D’accord, rien à voir avec Luiz donc... Tu n’as pas de genre attitré, toi, c’est pas mal ça... Tu peux ratisser large !
- Tu en as un, toi ?
- Oui...
- Dis m’en plus, demandé-je avec un sourire moqueur, ça m’intéresse !
- Rrro, tu sais bien...
Je ne cède pas d’un millimètre. Une fois n’est pas coutume, Alvaro est déstabilisé. Son visage hâlé prend un teinte légèrement rosée, et il m’évite soigneusement du regard, préférant fixer le large pour dissimuler sa gêne. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu comme ça ! La dernière fois, ça devait être sur les bords du Lac Léman, lorsqu’Alvaro m’avait confié son homosexualité. Finalement, sous la pression insistante de mon regard, le bel uruguayen cède, et s’aventure sur un terrain glissant, d’une voix hésitante :
- Bah, les petits blonds, pas trop baraqués, les yeux plutôt clairs... un peu comme toi, quoi ! Et puis surtout, pas trop coincés, histoire de ne pas s’ennuyer au lit... Bon, totalement comme toi, en fait... Mais tu dois bien t’en douter, non ? Vu qu’on a toujours bien fonctionné, toi et moi, sur le plan sexuel...
- Je ne sais pas, j’ai toujours imaginé que c’était juste ta manière de baiser, et que tu aurais fait pareil avec n’importe qui... Je ne me suis jamais senti particulièrement spécial, à tes yeux.
- Oh... Et bien détrompe toi...
Je ne prends pas la peine de répondre, et savoure la réponse d’Alvaro. Cette déclaration pudique, à demi-mots, je l’ai attendue pendant si longtemps... Trop longtemps, même. Il y a quelques années, il n’aurait pas eu besoin d’en dire plus pour que j’accepte de tout quitter et d’aller le rejoindre en Uruguay. Mais j’ai définitivement tourné la page « Alvaro » il y a un moment déjà.
Je me demande ce qu’il serait advenu de ma vie, si, alors que mon cœur balançait encore entre Luiz et Alvaro, mon choix s’était porté sur le bel uruguayen. M’aurait-il été nécessaire de quitter Bruxelles pour rejoindre mon bien-aimé dans son pays natal ? Pas sûr : à l’entendre, Alvaro est un amant du vieux continent, et aurait volontiers abandonné l’Amérique. Je serais donc probablement resté fonctionnaire européen, et aurais travaillé pour Kata jusqu’à ce qu’elle se fasse manger par un ours, lors d’un été tragique. J’aurais alors pris sa place au ministère, promu par défaut, après plusieurs années de bon et loyaux services. C’est une possibilité... Il est plus plausible, en revanche, que je me laisse entraîner par la démission de Maria. Son départ de Belgique m’aurait profondément affecté. Sans elle, je n’aurais pas tenu longtemps, entre les griffes de Kata. Je me souviens encore de la sensation de soulagement éprouvée au moment où j’ai annoncé à la finlandaise que je souhaitais quitter le ministère. Luiz ou pas, j’aurais sans doute cherché à retrouver ma liberté par tous les moyens.
Peut-être serais-je alors devenu professeur de relations internationales, comme aujourd’hui. J’aurais enseigné à l’Université Libre de Bruxelles, ou dans la ville qu’Alvaro et moi aurions choisi pour nous installer tous les deux. Paris. Madrid. Berlin. Impossible de le savoir.
Une chose est sûre, en revanche, je n’aurais jamais vécu l’ivresse de la campagne présidentielle brésilienne, ni dormi dans le palais de l’Aurore à Brasilia... Je n’aurais jamais été exfiltré d’un meeting par la garde rapprochée du président, le cœur battant à mille à l’heure, après avoir survécu à une fusillade. Ni fui un coup d’Etat militaire lors d’une opération montée par les services secrets français. Mais, plus important encore, je n’aurais pas connu l’amour de Luiz, si puissant, si lumineux... L’enveloppe de chaleur qui se refermait sur mes épaules en sa présence. Les papillons qui s’emparait de mon estomac quand je croisais son regard ambré... Peu importe comment les choses se sont terminées, entre lui et moi, je doute qu’Alvaro soit capable d’aimer aussi fort que le Luiz. J’aurais sans doute connu la passion dans les bras du bel uruguayen, mais l’amour ? Le vrai ? Celui qui m’a ôté la peur de prendre mon destin en main. De traverser l’Atlantique. D’apprendre le portugais. D’entamer un doctorat. Et de le terminer, à la sueur de mon front. De me réinventer. De prendre des risques. Autant de choses dont je me croyais incapable, et qui, soudain, me semblaient parfaitement naturelles, puisqu’elles me permettaient d’envisager un futur avec Luiz.
Mon esprit galope d’une pensée à l’autre. Je m’aperçois à peine qu’Alvaro et moi sommes enfin parvenus au bout de la digue. Le vent se fait plus fort. Les vagues plus violentes. L’eau vive claque contre le béton, et éclabousse le phare de quelques rasades salées.
- Toi aussi, tu t’es refait le film ? me demande Alvaro, d’un ton songeur.
- Ouais...
- Faut pas...
- Je sais...
Le bel uruguayen passe son bras puissant autour de mes épaules, et me serre contre lui. La tiédeur de son corps m’empêche de frissonner sous l’effet de la brise marine. On reste comme ça pendant quelques minutes, en silence. Contemplant les quelques rayons de soleil qui s’obstinent encore à roussir l’horizon. Jusqu’à ce que l’obscurité se fasse, et que le port de Castro Urdiales se pare de lumières argentées pour défier la nuit.
*
La musique à plein volume. Les titres qui se succèdent. Le cava qui coule à flot. Les corps qui se balancent, avec plus ou moins de retenue. De moins en moins, d’ailleurs. Notre petit groupe attire tous les regards. Maria et Javier. Moi. Alvaro. Ulysse et Samir. Et quelques cousines de Maria, plus jeunes, mais tout aussi jolies et élégantes que mon amie. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas amusé de la sorte... Légèrement ivre, je me laisse bercer par le rythme entrainant d’une chanson populaire de la dernière décennie, dont les paroles sont sur les lèvres de tous ceux dont l’espagnol est la langue maternelle :
Te miro, me miras, y el mundo no gira.
Todo parece mentira.
Tú sigues, yo sigo, es nuestro castigo.
Fingir que somos amigos.
Y cuando no haya testigos, mi vida entera te daré.
Cuando nadie ve.
Plutôt ironique, vu l’épisode que moi et Alvaro venons de partager, au bout de la digue du port... Je n’aurais pas l’impudeur de vous traduire ces quelques mots, somme toute assez gnangnans, mais qui prennent tout leur sens dans mon esprit imbibé d’alcool. Et on ne peut pas dire que le bel uruguayen fasse quoi que ce soit pour arranger les choses. La chemise ouverte sur sa poitrine. La sensualité de ses mouvements, de ses hanches qu’il balance en rythme. La chaleur de son regard. Et de ses gestes. Le vin pétillant qui le rend plus tactile qu’à l’ordinaire. Il me serre dans ses bras à plusieurs reprises, et je peux humer le parfum viril de la sueur qui perle dans son cou. Difficile pour moi de contenir mon excitation dans de telles circonstances.
Le pire, c’est que la sensualité d’Alvaro passe presque inaperçue tant elle semble être la norme parmi les invités. Ulysse et Samir, s’ignorant presque l’un et l’autre, se déhanchent avec qui accepte de leur donner le change, moi compris. Tout comme Maria et Javier qui, loin de l’image classique des jeunes mariés qui s’aiment si fort qu’ils en oublient le reste, préfèrent partager leur joie avec la foule toute entière, prenant soin de ne négliger aucun de leurs convives. Chacun est ainsi dûment gratifié de quelques pas de danse plus ou moins osés, au point où ça en devient même suspect... Je ne peux pas faire pleinement confiance à ma perspicacité avec un tel degré d’alcoolémie, mais j’ai quand même l’impression que Javier a un début d’érection alors qu’il se frotte contre moi, battant la mesure d’un reggaeton aguicheur dans l’hilarité générale. Et j’avoue être trop grisé pour être gêné.
De toute manière, mon esprit est ailleurs. Focalisé sur le corps puissant d’Alvaro qui ondule de manière de plus en plus suggestive. Nous échangeons quelques regards, d’abord rieurs, puis évocateurs. On ne refera pas l’histoire. On ne finira jamais ensemble, lui et moi. Ce n’est pas les occasions qui ont manqué. Les planètes ont souvent été alignées. Le destin s’en serait chargé... Rien ne sert donc de poursuivre cette voie, assurément sans issue. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas profiter de la soirée pour assouvir le désir que l’on éprouve l’un pour l’autre. En tout cas, c’est que je peux lire dans son regard de braise, et sur ses lèvres rouge brique, qu’il étire en un sourire étincelant, perdu au milieu de sa barbe brune. Le message est clair, il n’y a aucun doute possible. Lui et moi finirons dans les bras l’un de l’autre.
*
La porte de ma chambre d’hôtel se referme avec fracas, et, enfin, Alvaro plaque son visage contre le mien. Je retrouve avec joie la piqûre de sa barbe sur ma lèvre supérieure, qu’il soulève de la pointe de sa langue pour se frayer un chemin dans ma bouche. La caresse de ses mains, qui épousent les formes de mon torse, de mes hanches, de mes fesses. La chaleur de son regard noir et sensuel, qu’il plante dans le mien sans la moindre pudeur. On se connaît trop bien pour ça.
Je défais quelques boutons de sa chemise, libérant sa large poitrine. Et m’empresse d’enfouir mon visage dans la toison brune de son torse musclé, qui a fini par m’être si familière. Je retrouve vite le chemin de ses tétons bruns, que je ne peux m’empêcher de téter un instant, même si je sais bien qu’il ne raffole pas de la chose. Beau joueur, il ne proteste pas, et se contente de dégrafer l’attache de son pantalon pour soulager son sexe, vraisemblablement de plus en plus à l’étroit dans sa prison de tissu. Malin. Il sait bien que la meilleure manière de me faire oublier ses tétons est de détourner mon attention vers sa queue, à laquelle je ne résisterai pas longtemps. Je ne lui donne pas tort. M’agenouillant à ses pieds. Embrassant de la pointe de mes lèvres le paquet gonflé qui déforme son boxer à l’entrejambe. Sans aller plus loin, pour le moment. Plus haut, Alvaro se mord les lèvres, trépigne d’impatience. Puis, las de ronger son frein, il déballe son membre, court et épais, et m’enjoint à le sucer, ce que je fais aussitôt.
Mais soudain, alors que mon nez s’écrase pour la première fois contre le pubis d’Alvaro, la bouche envahie de sa verge tendue, on frappe à la porte. A contre-cœur, j’interromps ma fellation et, après avoir recraché le sexe d’Alvaro, hausse le ton en espagnol :
- C’est pour quoi ?
Pas de réponse, mais on frappe à nouveau. Intrigué, je me relève alors, et m’essuie les lèvres du revers de la main. Je demande à Alvaro s’il a une idée de qui il peut s’agir, le bel uruguayen répond par un simple haussement d’épaules. Pas plus avancé, je décide donc d’aller mettre un terme à ce fâcheux contretemps qui nous empêche de poursuivre nos ébats, et fonce vers la porte. C’est sans doute un convive alcoolisé qui s’est trompé de chambre... Quand j’ouvre, j’ai la surprise de découvrir Samir dans l’embrasure. Le regard dans le vague, mais visiblement convaincu d’être au bon endroit.
- Oh, c’est toi, Samir ! dis-je alors à voix basse, en français. C’est ma chambre, ici... Je crois que vous êtes un tout petit peu plus loin, toi et Ulysse.
- Je sais, chuchote-t-il, un doigt posé sur ses lèvres. Je peux me joindre à vous ?
- Euh... Comment ça ?
- Ne fais pas l’idiot, tout le monde vous a vus partir ensemble, toi et Alvaro...
- Mais... Et Ulysse ?
- Ulysse, j’en ai eu ma claque, pour ce soir, lâche Samir, d’un ton sans appel. J’ai envie de respirer un peu !
- Je vois, mais, je te préviens, on était pas vraiment en train de discuter avec Alvaro...
- Sans blague !
Le belge passe la tête par-dessus mon épaule, et découvre Alvaro, assis sur le rebord du lit, le visage confus et la queue dans la main droite, qu’il branle lentement pour ne pas perdre son érection. Je me retourne pour adresser un regard plein d’excuses au bel uruguayen, qui semble ne pas être importuné par la présence de Samir. Au contraire : ses yeux noirs brillent même d’un éclat de malice que je ne leur connait pas. Et, tout au fond de moi, je dois bien avouer que l’idée de me partager les faveurs des deux bruns me semble être une excellente manière de terminer la soirée en beauté. D’un geste désinvolte, je fais donc signe à Samir de passer, et referme la porte derrière lui, les mains tremblant légèrement sous l’effet de l’excitation.
- Reprenez là où vous en étiez, propose alors Samir, le plus naturellement du monde. Je vais vous rattraper en temps voulu.
Le belge vient s’asseoir à côté d’Alvaro, qui lui accorde un rapide baiser, avant de me supplier de retourner m’occuper de sa queue, fièrement érigée vers le plafond. Je m’approche, et, après avoir moi aussi déposé un baiser sur les lèvres de Samir, fonds vers l’entrejambe d’Alvaro, qui frissonne de plaisir une fois que je reprends mes va-et-vient le long de son membre viril. Prendre le sexe du bel uruguayen en bouche me procure toujours un sentiment d’extase. Mais peut-être pas autant que de le voir embrasser Samir avec de plus en plus de passion. Ce dernier retire rapidement sa chemise, et découvre un torse large et puissant, à la peau lisse et mate, superbement uniforme, qui tranche à merveille avec celle d’Alvaro, plus pâle et recouverte de poils bruns et drus. D’une longue caresse, l’uruguayen dessine les contours de la poitrine du nouveau venu, et descend progressivement jusqu’à son bas ventre, lequel prend des dimensions des plus en plus alléchantes. D’ailleurs, Samir finit par imiter Alvaro et retire son sexe de son pantalon préalablement déboutonné. Un joli sexe, plutôt fin au départ, mais qui, après avoir été dûment pétri par les doigts puissants du bel uruguayen, s’épaissit considérablement, allant jusqu’à rivaliser avec celui d’Alvaro.
C’est le signal que j’attendais. Sans plus attendre, je passe d’une queue à l’autre, avalant d’un trait la virilité de Samir, qui bascule la tête en arrière au contact de mes lèvres sur sa verge. Il ne me faut que quelques secondes pour m’habituer à mon nouveau jouet. Il possède un goût subtil, plus parfumé que celui d’Alvaro. Il coulisse à merveille entre mes lèvres, sans doute grâce à la quantité impressionnante de liquide pré-séminal qui s’en écoule. Très réceptif à mes va-et-vient, Samir est également plus démonstratif que l’uruguayen, et gémit sans retenue à chaque fois que son gland heurte le fond de ma gorge. Enfin, dernière qualité, et non des moindres, Samir semble ne pas se satisfaire de subir ma fellation, mais est bien décidé à mettre la main à la pâte, lui aussi.
Ainsi, après m’avoir hissé sur le rebord du lit et récompensé mes lèvres d’un tendre baiser, le beau brun s’est laissé glisser au sol, et a défait la braguette de mon pantalon pour en extraire ma queue. J’ai alors été bluffé par la sensation prodiguée les tourbillons de sa langue sur mon gland, avant de voir mon sexe disparaître entre ses lèvres pleines. Pendant ce temps, Alvaro semble ne pas se plaindre de devoir prendre son mal en patience, et se branle tranquillement tout en observant la scène, me décrochant de temps à autres quelques baisers amusés. Et, très vite, sa patience paye, puisque Samir détourne son attention de mon sexe pour prendre en bouche le membre large et court du bel uruguayen.
Le choc de la pipe de Samir est violent pour Alvaro, qui, visiblement, peine à se ressaisir. Les yeux levés vers le ciel, ne lâchant pas son partenaire du regard, le belge se démène pour combler Alvaro, redoublant d’efforts et d’ingéniosité. Sa langue, ses lèvres et ses mains se joignent dans une série de gestes précis, qui semblent porter leurs fruits, puisque le bel uruguayen se met à gémir comme il ne l’a jamais fait en ma seule présence. Pour se calmer, et éviter de décharger immédiatement dans la bouche de Samir, Alvaro me supplie de l’embrasser. Ce que je fais sans la moindre retenue, une main plaquée contre sa nuque, et l’autre caressant sa large poitrine velue, qui se soulève au rythme saccadée de sa respiration.
Finalement, et contre toute attente, ce n’est pas Alvaro qui craque en premier, mais bien Samir, qui, sans interrompre sa fellation, jouit abondamment sur le parquet de la chambre, après s’être touché pendant quelques secondes à peine. Manifestement trop excité par la scène pour pouvoir se contenir plus longtemps. De savoir que Samir est à ce point bouleversé par le simple fait de le sucer produit un effet similaire chez Alvaro, qui ne tarde pas à exulter à son tour. De longs jets puissants viennent alors recouvrir la figure de Samir, balafrant ses lèvres et ses joues de lignes blanches et luisantes, qui coulent lentement le long de son visage, pour terminer leur course dans les méandres de sa barbe brune.
Ne reste plus que moi, donc. Pour une fois, direz-vous !
C’est Alvaro qui, une fois passé le pic de dopamine provoqué par son orgasme, décide de s’y coller. Le bel uruguayen part ainsi à la conquête de ma queue, dont il ne fait qu’une bouchée. Dans le même temps, Samir m’embrasse de ses lèvres salées par la semence d’Alvaro. Inutile de prétendre le contraire : je ne mets pas longtemps à rejoindre mes partenaires. Et, quelques minutes plus tard, je me vide entièrement dans la bouche d’Alvaro qui, une fois n’est pas coutume, ne rechigne pas à avaler mon précieux liquide. Pour mon plus grand bonheur. Puis, étourdi par les vapeurs de plaisir et d’alcool, je m’allonge sur le lit de toute ma longueur, la chemise et le pantalon défaits, accompagné d’Alvaro et de Samir, qui, d’après mes souvenirs un peu flous, ont dû rester à mes côtés jusqu’à ce que le sommeil m’emportent.
*
Le lendemain matin, je me réveille vaseux et la tête prise dans un étau. J’ai trop bu. Je n’ai plus l’habitude. J’entends un bruit sourd et constant, qui se réverbère dans les parois de mon crâne douloureux. Je mets quelques secondes à comprendre qu’il s’agit de mon téléphone qui vibre sur la table de nuit. Je n’ai pas le courage de regarder l’écran. Péniblement, je m’extrais du lit et me traîne jusqu’à la salle de bain, où j’avale un comprimé de paracétamol, et un autre de citrate de bétaïne. Pas question de lésiner sur les moyens. Je dois être d’aplomb au plus vite : mon train part pour Madrid dans quelques heures à peine, et mon vol pour Montréal le soir même. Pas question de supporter un tel mal de crâne pendant toute la durée du trajet. Après avoir vu un grand verre d’eau pour atténuer la sécheresse de ma gorge, je retourne au lit, et saisis mon téléphone pour consulter mes notifications.
Ça commence mal. Un message d’Air Canada :
« Votre vol Madrid-Montréal est annulé. Veuillez prendre contact avec notre service client pour choisir un voyage alternatif ».
Merci Air Canada, mais je n’ai pas besoin d’un voyage alternatif ! Je dois être à Montréal au plus vite, les quelques jours de congés pris pour assister au mariage de Maria et Javier arrivent à expiration le lundi suivant. Malheureusement, la mauvaise nouvelle ne vient pas seule. J’ai quatre messages vocaux de ma mère. Et treize appels manqués...
Je prends peur. Mon cœur s’emballe. L’estomac noué, je reprends un verre d’eau pour m’adoucir encore un peu la gorge, et la rappelle immédiatement. Quand elle décroche, je comprends tout de suite de quoi il s’agit. Sa voix brisée. Son ton abattu. Sa diction hachée. Elle ne sait pas par où commencer, mais je sais déjà comment elle va finir :
« Loïc, mon chéri, c’est terrible... »
« Je... j’ai essayé de t’appeler mille fois, mais tu ne répondais pas ! Pourquoi est-ce que tu ne répondais pas ?! »
« Tu n’as pas encore écouté mes messages ?! Eh bien... je ne sais pas comment te l’annoncer... Mon pauvre, je suis tellement désolée, mais c’est ton père... »
« C’était... l’enfer. Un vrai cauchemar. Le vent soufflait si fort... Je n’arrivais pas à dormir... J’étais au salon... Et puis, j’ai entendu un bruit... Un bruit terrible... Un vrai cauchemar, je te dis... Dis-moi que ce n’est pas vrai, Loïc, que je vais me réveiller à côté de lui et qu’il ne se sera rien passé ! »
« Je n’ai plus rien... Il ne me reste plus rien. Plus lui, plus rien... Le vent a tout emporté... »
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