Chapitre 34. Le dénouement
Sept heures et demi. Un matin de novembre. Je me réveille péniblement, harcelé par l’alarme de mon téléphone. Le soleil ne s’est pas encore levé, et la chambre est plongée dans l’obscurité la plus totale. Ce qui n’aide pas à me pousser hors du lit. Les jours d’automne sont de plus en plus courts, ce qui n’est pas peu dire, à de telles latitudes. Depuis quelques semaines, les arbres ont perdu leur feuillage d’or et de cuivre, et une fine couche de neige a recouvert le Québec. Trop fine. Grise et boueuse. De la « slush », comme disent les anciens. Pour le paradis hivernal qu’est censé être le Canada, il faudra revenir plus tard. Si tant est qu’il neige assez, cette année encore, après plusieurs hivers trop courts et trop doux pour que la poudreuse ne s’installe pour durer sur les trottoirs de Montréal.
Luttant contre le sommeil, je m’extirpe de la moiteur du lit en me frottant les paupières. J’ai mal dormi. Andre n’a beau être rentré de l’hôpital qu’en plein milieu de la nuit, il y est déjà retourné... Il s’est levé à cinq heures sans la moindre difficulté, comme monté sur ressorts. Infatigable, il a même insisté pour que l’on fasse l’amour, quelque part entre deux et trois heures du matin. Je n’en suis pas bien sûr. Je n’étais pas vraiment réveillé, ni totalement endormi... Mais la légère brûlure imprimée sur mon derrière ne laisse aucun doute sur la tournure qu’on pris les événements, quelques heures auparavant. Pratique, comme aide-mémoire ! Malgré la fatigue, j’ai un large sourire quand j’entre dans la douche. Il faut dire que je suis plutôt heureux, ces temps-ci.
Comme prévu, Andre et moi avons eu la conversation que nous aurions dû avoir avant mon départ. C’était à mon retour du Brésil, il y a trois semaines, déjà. Ça fait donc trois semaines que nous sommes officiellement ensemble, lui et moi. Du moins, c’est la date que j’ai décidé de retenir pour mettre notre compteur à zéro. Lui considère que nous formons un couple depuis quelques mois déjà, et je ne peux vraiment pas le contredire, puisque nous avons passé tout l’été dans les bras l’un de l’autre. Mais peu importe : nous en sommes désormais au même stade, et écrivons ensemble la même page d’un chapitre fort agréable. La fougue des débuts est encore vivace. L’envie irrépressible de l’embrasser quand il rentre du travail, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Le besoin de sentir son corps se détendre contre le mien pour m’endormir pour de bon. La petite dose de dopamine que je reçois chaque fois qu’il m’envoie un message. Même le plus insignifiant des message, et c’est souvent le cas : un « bon appétit, mon cœur », un « à tout de suite, mon Loïc », un « je t’aime », voire une série d’émoticônes « bisou », comme si nous avions quinze ans.
Bref, j’ai fini par tomber fou amoureux d’Andre, dont la simple présence suffit à me combler de bonheur. Pour le moment, j’en ai bien conscience. Ces choses-là ne durent jamais, ou du moins, pas comme ça. Mais ça m’est égal. Chaque chose en son temps. J’ai tout le reste de ma vie pour être malheureux, inutile de brûler les étapes.
D’ailleurs, en sortant de la douche, je suis incapable de me retenir : je dégaine mon téléphone, et envoie un premier message à Andre sur OneFeed :
« Tu me manques ».
Il n’est pas encore huit heures. C’est un peu écœurant, je sais bien, et en même temps, je n’ai jamais été aussi sincère.
En attendant sa réponse, j’en profite pour regarder le reste de mes messages. La plupart sont parfaitement anecdotiques. Il y en a bien un qui se détache du lot. De ma mère :
« Loïc, ça y’est, l’argent de l’assurance a enfin été déposé sur mon compte. Ça me fait tout drôle, tous ces zéros... Je ne sais vraiment pas quoi en faire ! »
Ma pauvre petite maman. Quel supplice, d’être millionnaire, vous ne trouvez pas ? Voilà qui devrait aider à adoucir les premiers mois de son veuvage.
Planté devant le miroir de la salle de bain, j’enfile mon pantalon, puis ma chemise. J’ai pris du muscle, depuis mon retour au Canada, sans doute grâce au régime pointilleux d’Andre. Les nord-américains ont une vision tristement utilitariste de la nourriture comme simple carburant pour le corps, cette machine à travailler et gagner du dollar, il convient donc de n’ingérer que ce dont ce dernier a besoin, et pas plus. Je ne suis pas fan de la méthode, mais je dois bien avouer qu’elle porte ses fruits ! Avec un peu de chance, nous trouverons un point d’équilibre, lui et moi, et je parviendrai à initier le beau canadien au plaisir de la chair tout en conservant mes biceps. Tout en ajustant le col de ma chemise, je demande à mon assistant vocal de rechercher « galette complète + protéines » sur Google.
L’heure tourne, je dois me dépêcher. Je termine de me brosser les dents, puis enfile ma veste, et quitte l’appartement d’Andre sans plus tarder. En dévalant les marches de la cage d’escalier, je tâte la poche intérieure de mon manteau pour vérifier que j’ai bien mes clés. Je n’ai pas dormi chez moi depuis une semaine, il est donc urgent que je passe récupérer quelques affaires. L’air s’est rafraichi, il faudrait que je retrouve mes gants... En attendant, je suis obligé de marcher les poings enfoncée dans les poches. Impossible de me promener en lisant les actualités sur mon téléphone, comme j’ai l’habitude de le faire. Avant de franchir le seuil de l’immeuble pour affronter le froid, je lance la radio sur mon téléphone, et ajuste le casque sans fil sur mon crâne. RFI annonce les résultats de l’élection brésilienne. Ana Melo, la candidate du parti des travailleurs, arrive en tête du second tour, et est élue présidente de la république. Je vois bien que le journaliste manque de dire « la première femme présidente du Brésil », mais se rattrape au dernier moment, car ce serait un mensonge. Puisque ce n’est pas une première, la nouvelle est d’un intérêt journalistique moindre, et on passe vite à la suivante. J’ai une rapide pensée pour Luiz, qui doit broyer du noir, dans son appartement du bord de mer de Montevideo. Oh, et puis, ce n’est pas la fin du monde ! Ça lui passera...
*
J’ai passé la matinée à la fondation McKenzie-Laurier, puis le début d’après-midi à l’université McGill, où j’ai donné un cours à un groupe d’étudiants de première année d’une bêtise abyssale et d’une ignorance crasse. Je ne suis pas coutumier du fait de dire que « le niveau baisse » chaque année, mais pour le coup, je suis bien obligé d’admettre qu’il s’agit de la pire promotion de toute ma (courte) carrière de professeur d’université. Après ça, j’avais bien besoin d’un petit remontant... Heureusement, Kajetan, qui, depuis la rentrée, ne compte plus parmi mes étudiants, m’a proposé de prendre un café dans un Tim Hortons du quartier, suffisamment proche du campus pour s’y rendre à pied sans mourir de froid, mais assez loin pour ne pas y croiser toute la faune estudiantine. J’apprécie sa discrétion. Se réunir autour d’une boisson chaude avec un ancien étudiant n’enfreint aucune règle de l’université, mais je préfère malgré tout ne pas exhiber notre amitié à la vue de tous. Ma réputation n’a pas besoin de ça.
Confortablement installé dans un fauteuil en cuir rouge, légèrement en retrait de la salle principale du concurrent local de Starbucks, j’attends que le jeune polonais me rejoigne. Je lui ai commandé d’office un café et une doughnut. Je sais bien qu’il ne roule pas sur l’or, et qu’il ne s’accorderait sans doute pas le luxe de prendre un verre à l’extérieur si ce n’était pour me voir. Vous l’aurez deviné, vous me connaissez, maintenant, je suis largement en avance. Par chance, au pays du grand froid qu’est le Canada, les gobelets sont isothermes, et, quand Kajetan arrive enfin, son café est toujours chaud, et le mien aussi. Il a l’air ravi de me voir. Son regard vert s’illumine quand il pose les yeux sur moi, et un joli sourire se dessine sur ses lèvres roses. Il arbore une légère barbe de trois jours, blonde, comme ses cheveux, qui lui donne un petit côté hirsute, sans être désagréable pour autant. Hiver oblige, il a troqué son habituel t-shirt au col évasé pour un épais pull en laine, mais ne porte pas de manteau. Trop tôt, sans doute. L’hiver, ils connaissent, les polonais. Avant de prendre place à table, il me serre dans ses bras fins, et, dans un anglais mâtiné d’un adorable accent slave, me dit que je lui ai manqué. Charmeur, va... Il sait bien que je ne peux pas résister à son accent.
- Kajetan, ça me fait plaisir de te voir ! Comment vas-tu ?
- Ça va, répond le jeune polonais, d’un ton espiègle, même si je m’ennuie un peu sans tes cours... Et sans les excellentes séances de tutorat qui vont avec...
- Tes nouveaux profs ne sont pas bons ? dis-je alors, un léger sourire aux lèvres, sans relever la remarque salace de mon ancien étudiant.
- Si, bien sûr ! Mais ils sont beaucoup moins sexy que toi, du coup, ça ne va pas être très agréable de leur arracher des bonnes notes à la sueur de mon front.
- Je t’arrête tout de suite, Kajetan, je t’ai noté uniquement sur tes prestations académiques !
- Oh, j’en suis sûr...
Kajetan hausse les sourcils, les yeux rieurs. Il me gratifie d’un nouveau sourire, plus craquant encore que le précédent. Je suis à deux doigts de fondre. De prendre son petit visage pâle entre mes mains et d’embrasser ses lèvres sans retenue. De l’arracher à sa chaise et de le traîner jusqu’à mon bureau, pour pouvoir sentir sa bouche envelopper à nouveau mon sexe de sa tiédeur humide. De le déshabiller entièrement, pour redécouvrir son corps fin et blanc, et son petit derrière rebondi, qu’il cambrera pour m’en faciliter l’accès. Et, enfin, de le prendre sans plus attendre, contre mon bureau, pendant de longues minutes, jusqu’à ce que j’exulte en lui, et lui dans le creux de ma main empoignant son gland rose avec fermeté... Mais je garde la tête froide, et le silence, jusqu’à ce que le jeune polonais ne se décide à le rompre.
- Et toi, comment ça va ?
- Oh, moi, tu sais... la routine ! J’imagine que tu as vu mon passage remarqué à la télévision brésilienne, comme tous tes camarades de classe ?
- On peut dire que ça a fait le tour du campus, en effet...
- Bon, et bien voilà... C’était le principal événement de ces derniers mois, je dirais. A part ça, pas grand-chose de neuf.
J’évite volontairement de mentionner la mort de mon père et l’officialisation de ma relation avec Andre, pour ne pas totalement gâcher l’ambiance. Mais je ne peux m’empêcher mes pensées de s’égarer quelques instants sur le sujet.
- Il était pas mal, ton ex, quand même... déclare soudain Kajetan, me tirant hors de ma rêverie.
- Luiz ?
- Euh... L’ancien président du Brésil, celui que j’ai vu à la télé ! Ça fait drôle que tu l’appelles simplement par son prénom... Mais oui, il était pas mal, « Luiz ».
- Je sais, j’ai bon goût, lancé-je avec un sourire.
- Je te remercie !
Kajetan a l’esprit affuté, et n’en rate pas une. Mais, pour une fois, je lui résiste. Et je remarque que ça commence à l’agacer. Son regard plongé dans le mien, il décide alors d’abattre sa dernière carte :
- Tu sais que je rentre bientôt en Pologne ?
- Non !? protesté-je d’une voix forte, qui ne manque pas de satisfaire l’égo du jeune polonais. Quand ?! Pourquoi ?!
- Juste avant Noël, parce que ça fera déjà un an et demi que je suis arrivé au Canada, et mon visa de dix-huit mois arrivera à son terme... Et puis, au fond, je crois que j’ai envie de rentrer... Les choses bougent pas mal en Pologne, en ce moment, et j’aimerais bien apporter ma pierre à l’édifice !
- Je comprends... C’est tout à ton honneur.
- Du coup, ça veut dire qu’il ne me reste plus que quelques semaines, ici...
Il laisse sa phrase en suspens. Je sais très bien où il veut en venir, mais je suis bien décidé à ne pas mordre à l’hameçon. Pas cette fois ! Pas déjà... Ça a fait à peine trois semaines que je suis avec Andre. Je prends sur moi, et reste de marbre.
- Donc si tu veux qu’on en profite un peu... reprend Kajetan, se feignant d’un clin d’œil appuyé.
- Kajetan... grondé-je en balayant la salle d’un regard affolé.
- Mais quoi, enfin ? s’impatiente le jeune polonais. Loïc, je ne suis plus ton élève, il n’y a plus aucune raison de se cacher, ni même de se retenir ! Et, à ce que je sache, tu ne t’es pas particulièrement retenu avec moi, jusqu’à présent !
- Ce n’est pas ça...
- Si tu veux rester discret, moi ça m’est égal. Je ne suis pas contre une pipe express dans les toilettes...
- Non mais...
- Là, maintenant ! Allez, je suis sûr que tu bandes, en plus !
- Kajetan, écoute-moi une seconde ! Je suis flatté, comme toujours, mais je viens tout juste de me mettre en couple.
- Ah... répond alors Kajetan, le visage légèrement défait. Je vois... Mais tu sais, s’il est aussi beau que ton ex, ça ne me dérange pas de l’inviter, lui aussi.
- Euh, je ne sais pas si c’est son genre...
- Demande lui ! fait-il, le regard plein de défi.
L’espace d’un instant, je visualise la scène. Peinant à contenir mon érection, qui met la braguette de mon jeans à rude épreuve. Kajetan et son joli derrière à la peau douce et claire. Le corps élancé, alangui sur le lit ou le canapé. Andre et son torse puissant, admirant le spectacle. Son large sexe sombre à l’équerre, plus raide que jamais. Et moi, entre les deux, à profiter de l’un et de l’autre, alternativement. C’est vrai que c’est tentant... Mais, à vrai dire, j’ignore totalement quel est le point de vue d’Andre sur la chose. Et je crains qu’il soit encore un peu tôt dans notre toute jeune relation pour mettre le sujet sur la table du dîner. Il ne m’a pas l’air d’être particulièrement fermé d’esprit, mais chaque chose en son temps. Pour le moment, je refuse de brûler les étapes et préfère ne rien promettre à mon ancien étudiant à l’imagination galopante. Je me contente donc d’une réponse ouverte, pas franchement engageante :
- On verra...
*
L’idée saugrenue de proposer à Andre de rencontrer Kajetan m’a trotté dans la tête pendant quelques jours. Puis, j’ai fini par me raviser, et suis passé à autre chose. Il était beaucoup trop tôt, ça n’avait aucun sens. Que le jeune polonais soit sur le départ n’était pas un argument valable. Il y en aurait d’autres, des jolis petits blonds prêts à partager notre couche, j’en étais convaincu.
Et puis, finalement, le sujet s’est invité dans une de nos conversations, presque par hasard. Comme souvent, pour se vider la tête après sa journée au CHU, Andre regardait une obscure série médicale – allez comprendre pourquoi – tandis que je corrigeais quelques copies sur la table du salon. Le milieu hospitalier n’est pas réputé pour sa pudibonderie, ce qui n’avait pas échappé aux scénaristes de « Toronto General Hospital », dont l’épisode en question avait pour intrigue principale un triangle amoureux entre un infirmier et deux médecins, tous plus beaux les uns que les autres, débouchant inévitablement sur un splendide plan à trois au bloc opératoire, filmé en haute définition. Pour le plus grand plaisir d’Andre, et, il faut bien le dire, du mien, ne parvenant pas toujours à garder le nez dans mes copies alors que les trois esthètes en blouse blanche et au corps parfait s’en donnaient à cœur joie à l’écran. Une fois la scène terminée, Andre, les yeux brillants et l’entrejambe largement déformé, s’est enquis de savoir quel était mon degré d’ouverture sur la question. Le pauvre ingénu n’a pas eu besoin de me demander deux fois...
Deux jours plus tard, une fois établies les règles du jeu – d’accord pour ouvrir la relation, mais uniquement pour s’amuser ensemble, jamais chacun de son côté – Kajetan a débarqué à la porte de mon appartement sur le coup de vingt heures, un sourire tendu imprimé sur son joli visage. Le charme a tout de suite opéré sur Andre, qui, sans surprise, avait un faible pour les petits blonds aux talents cachés derrière un air angélique. Ainsi, un petit quart d’heure après l’arrivée de notre invité, nous étions déjà en train d’échanger notre premier baiser, assis en triangle sur le tapis du salon, une main posée sur la cuisse les uns des autres.
Il ne me faut pas longtemps pour comprendre qu’il s’agit du premier trio d’Andre. Contrairement à son habitude, le beau métis est emprunté, maladroit, et ne sait plus où donner de la tête, perdu entre mes lèvres et celles de Kajetan. Malgré son jeune âge, le polonais est bien plus à l’aise, n’en étant visiblement pas à son premier essai. En ce qui me concerne, je dirais qu’en dépit de mon expérience limitée, je maîtrise les principes fondamentaux de la discipline. Règle numéro un : partager son attention équitablement entre ses partenaires. Personne ne doit se sentir mis de côté. Règle numéro deux : si un partenaire semble s’éloigner, agir de concert avec l’autre pour réintégrer la brebis égarée au troupeau. Règle numéro trois : ne pas trop réfléchir, et ne pas essayer de visualiser la scène de l’extérieur. Ce n’est jamais aussi beau, aussi symétrique que dans les films, et là n’est pas le but. Peu importent les dents qui s’entrechoquent, les baisers ratés, les caresses qui n’atteignent pas leur cible initiale. Qu’il y ait trois corps au lieu de deux complique les choses, les rend confuses. Il faut savoir fermer les yeux et se laisser aller à l’imperfection.
C’est ce que je fais. M’approchant de Kajetan pour me délecter du goût sucré de sa bouche, dont je m’étais privé de longs mois durant. Puis la partageant avec Andre, pressant le visage pâle du jeune polonais contre celui de mon petit ami, qui peine encore à se détendre. Pour l’aider, je propose à Kajetan de se déshabiller. Mon ancien élève ne se fait pas prier, et retire son pull-over en laine pour faire découvrir à Andre la finesse de son torse, blanc et imberbe, orné de deux jolis petits tétons roses, que le beau métis vient pincer entre le pouce et l’index. Beau joueur, Kajetan gémit. Le visage d’Andre se détend, et une large bosse se forme dans son pantalon. Et dans le mien, aussi. Les hostilités peuvent enfin commencer.
D’un geste bestial, Andre se rue sur Kajetan, pour lui dévorer le visage de ses lèvres sombres. Pour ma part, je me colle contre le dos du jeune polonais, et lui embrasse la nuque, la joue, lui mordille l’oreille, lui caresse les cheveux, tout en décrochant un rapide baiser à Andre par-dessus sa frêle épaule, lorsque le beau canadien accorde une seconde de répit à son nouveau partenaire. Un temps, il semble que Kajetan se complaise dans ce rôle de marionnette, nous laissant prendre le contrôle de la situation. Mais très vite, le naturel revient au galop, et il ne peut s’empêcher de glisser la main sous l’élastique du jogging d’Andre, pour y tâter de ses longs doigts fins le membre de mon petit-ami, en train d’enfler au rythme de notre étreinte. Il a une petite mine impressionnée, mais ne se laisse pas démonter, et caresse la queue de mon petit-ami avec un air effronté, qui fait monter l’excitation d’un cran chez le beau métis. Bien décidé à ne pas laisser le monopole de l’initiative à mon ancien élève, je décide alors de dégrafer l’attache de son pantalon et, d’un trait, de dénuder son joli derrière, toujours aussi pâle. J’y applique une caresse. Puis une petite tape. Et enfin, carrément une fessée. Kajetan réprime un cri de plaisir coupable, étouffé par la langue d’Andre qui s’immisce entre ses lèvres.
Quand Andre décide enfin de retirer son sweat-shirt, Kajetan et moi retenons notre souffle. Lui, parce qu’il pose les yeux pour la première fois sur le torse large et musclé du beau métis, à la peau brune et lisse. Moi, parce je sais exactement ce qui vient de passer par la tête de mon petit-ami. Un sourire éclatant se dessine sur ses lèvres sombres tandis qu’il soulève ses bras épais pour les placer derrière sa nuque, offrant à nos regards ébahis une vue imprenable sur ses aisselles, recouvertes d’une courte toison de poils crépus. Magnifique... Kajetan admire le spectacle sans savoir que faire. Je me dévoue alors pour lui montrer ce qu’Andre attend de nous, et le contourne pour m’agenouiller auprès du canadien. Délicatement, je viens embrasser son mamelon droit, qui se durcit sous la pointe de ma langue, puis dérive lentement vers le creux de son aisselle, que je lèche avec enthousiasme, en récoltant le goût salé. Après m’avoir regardé faire, Kajetan se joint à nous pour reproduire mon geste. Le beau métis pousse alors un long soupir de soulagement. Je commence à connaître l’animal, et je sais que ce petit jeu ne va pas mettre longtemps à le faire sortir de ses gonds.
Et ça ne manque pas. Sans prévenir, Andre abaisse les bras et libère son sexe de son jogging. Puis, il attrape Kajetan par la nuque, et le conduit jusqu’à son entrejambe, visiblement en manque d’affection. Ni une, ni deux, le jeune polonais ouvre grand la bouche et engloutit le large membre du canadien, qui se tourne alors vers moi, le visage détendu et le regard plein de reconnaissance. Il semble vouloir me dire : « tu as bien fait de l’inviter, le petit ». Je lui répond avec un sourire : « je sais, il est plein de bonne volonté et bourré de talent ». Nous nous embrassons tendrement, alors que Kajetan poursuit son œuvre, quelques centimètres plus bas. Et il le fait avec tant d’application et de dévouement... que j’en finis par être jaloux ! A mon tour, je dégrafe mon pantalon pour lui soutirer un peu d’attention. Le contact de ses lèvres roses sur mon gland violacé me fait l’effet d’un électrochoc, et je ne peux me retenir de gémir alors que Kajetan commence ses va-et-vient sur ma verge, qui s’accompagnent d’une caresse, ma foi plutôt ferme, imprimée sur mes fesses nues par un Andre décidément de plus en plus dans son éléments. Mes gémissements se transforment en cris, de surprise et de plaisir, quand ce dernier enfonce à l’improviste une ou deux phalanges dans mon trou serré.
Ce n’était sans doute pas son intention, mais, agissant de la sorte, Andre stimule mon imagination, en plus de ma prostate. Je demande alors à Kajetan de recentrer ses efforts sur le membre viril de mon petit-ami. Et me défais de l’étreinte de ce dernier pour me placer derrière le jeune polonais, dont le joli derrière s’offre à moi. Doucement, je fais jouer mes doigts sur son trou rose et rasé de près, afin de le détendre, ce qu’il fait rapidement, habitué à répondre à ma commande. Puis, comme toujours, je m’assure que Kajetan a la bouche pleine avant de commencer à le pénétrer de ma queue enduite d’un peu de lubrifiant et de beaucoup de salive. Aussi indécent que cela puisse paraître, le rugissement que je pousse au moment où je retrouve la chaleur de son derrière couvre largement le grognement de mon ancien élève, étouffé par la fellation qu’il se refuse à interrompre pour un motif aussi trivial que de s’être fait pénétrer d’un coup sec par son ex-professeur de relations internationales. Andre me jette un coup d’œil envieux, visiblement impressionné par les aptitudes du jeune homme. Mais une pensée chasse vite l’autre, et le beau métis lève les yeux au ciel, le visage déformé par le plaisir, alors que Kajetan délaisse son sexe un court instant, le temps de passer sa langue sur les couilles brunes de mon petit-ami.
Pour ma part, j’inflige mes premières saillies au derrière du polonais, qui se cambre pour en augmenter la profondeur. La sensation est divine, et il ne me faut que quelques à-coups pour sentir la sève monter en moi. Je ralentis alors le rythme, mais il est déjà trop tard. Assailli de stimuli, entre la fellation dont m’a gratifié Kajetan et celle qu’il offre à présent à Andre, auxquelles s’ajoute la pression exercée sur ma verge par son trou, qui se serre et se desserre à chacune de mes allées et venues, j’exulte en quelque secondes à peine, contraint de laisser ma semence jaillir dans les entrailles du jeune polonais. Ce dernier le remarque et, surpris – non, déçu – se retourne vers moi, le regard plein de reproches.
- Je suis désolé... Je n’ai pas tenu deux minutes...
- Ne me pas dit pas que tu as déjà joui ? s’exclame Andre, incrédule.
Je lui réponds d’une moue navrée, les joues en feu. J’avoue m’être connu plus résistant... Tant pis pour moi. Je me retire de Kajetan qui, manifestement, est loin d’en avoir eu assez.
Il se redresse immédiatement et, passant ses bras autour du cou d’Andre, toujours agenouillé sur le tapis du salon, vient se frotter les fesses contre le sexe du beau métis, jusqu’à ce que ce dernier consente à le prendre, allongeant le jeune polonais sur le dos. Débute alors une série de coups de reins sauvages imprimés par Andre sur le derrière de Kajetan, qui, de toute évidence, prend son pied, puisqu’il en redemande à plusieurs reprises, dans une complainte suave et essoufflée, murmurée à l’oreille de mon petit-ami. La scène est superbe et paraît pouvoir durer des heures, l’un et l’autre semblant être parfaitement en mesure de résister à la tentation de l’abandon, au point où je me mords les doigts d’avoir craqué si vite. Mais ce n’est qu’une impression, car, quelques minutes plus tard, la délivrance arrive enfin pour Andre, qui expulse à son tour de longs jets de liquide tiède entre les fesses de Kajetan. Finalement, c’est bien le jeune polonais qui brille par son endurance, puisqu’il a encore besoin de cinq bonnes minutes, pendant lesquelles Andre et moi couvrons son corps mince de caresses, baisers et léchouilles, avant de jouir à grands jets sur son ventre, et, un petit peu aussi, sur le tapis du salon.
*
Le RAV-4 d’Andre est lancé à vive allure sur l’autoroute des héros, qui relie Montréal à Toronto, la capitale économique du Canada et, accessoirement, la ville natale de mon petit-ami. Le moteur électrique du SUV est parfaitement silencieux. On n’entend que le claquement sec des pneus sur les zébrures de bitume qui raffistolent tant bien que mal la chaussée défoncée par le gel. Le ciel est gris, presque blanc. Il neigera pour Noël, assure Andre, à qui je fais une confiance aveugle lorsqu’il s’agit de présager des caprices du ciel canadien. Kajetan est rentré en Pologne il y a quelques jours à peine. Probablement pour toujours. Pauvre petit... Quoique, il parait que les choses s’améliorent, là-bas aussi, peu à peu. Varsovie a récemment approuvé l’union civile des couples de même sexe, sous la pression de l’Union européenne et avec la bénédiction de l’église catholique, dont la doctrine semble lentement évoluer sur ce point. La nouvelle avait fait les grands titres de la presse internationale, l’été dernier.
Pour ma part, je m’en vais passer les fêtes de fin d’année dans la famille de mon bien-aimé. Que je vais également rencontrer pour la première fois pour l’occasion. Je ne vais pas vous mentir, je suis un peu nerveux... Qui ne le serait pas, d’ailleurs ? Ce n’est pas tant l’idée de rencontrer mes beaux-parents, ça, je sais comment faire. Je complimenterais la cuisine de la mère d’Andre – même si je dois me pincer le nez pour avaler son rôti de bœuf Wellington – et j’irais dans le sens de son père lors du premier débat politique évoqué à table. Avec ça, je devrais au moins être assuré d’être réinvité l’année suivante. Si j’ai un peu de chance, ils m’apprécieront, et, à Noël prochain, il y aura un petit chèque à mon nom au pied du sapin, d’un montant certes inférieur à celui d’Andre, mais tout à fait respectable. On verra, chaque chose en son temps... Non, ce qui me fait peur, c’est l’idée de rester auprès de la famille du beau canadien plusieurs jours d’affilés, sans aucun échappatoire possible, à être jugé en permanence, du matin au soir. Je peux facilement faire illusion sur un dîner, mais sur un weekend prolongé, pas sûr...
Mais, inutile de tergiverser : il est trop tard pour se défiler ! Nous arriverons à Toronto dans une demi-heure à peine, après un harassant périple de cinq heures, en ligne droite, à travers un paysage plat et déprimant, ciels chargés et forêts de conifères, sans la moindre variation, l’horizon perdu dans la brume. Andre doit sentir ma nervosité grandissante, car, sans quitter les yeux de la route, il pose sa paume tiède sur ma cuisse, et, délicatement, y applique une légère caresse.
- Ne t’en fais pas, me dit-il d’un ton à la fois doux et enjoué, ils vont t’adorer. Ils ont toujours rêvé que je sorte avec un québécois et que j’apprenne un peu de français, pour faire honneur à ma grand-mère... Alors un vrai français de France, un « Loïc », tu penses bien...
- Andre, tu ne parles pas un mot de français...
- Ça, ils n’ont pas besoin de le savoir ! Contente-toi de hocher la tête d’un air détaché quand je baragouine quelques syllabes sans queue ni tête, et ils seront bluffés.
- Qu’est-ce que je gagne, si je fais ça ?
- Le droit d’être le premier garçon avec qui je couche dans mon lit d’adolescent ?
- Je n’y crois pas une seconde.
- Bon ok... Le premier français, alors !
J’éclate de rire. Là-dessus, je crois que je peux lui faire confiance ! Je prends une profonde inspiration et m’enfonce un peu plus dans mon siège. Et commence à me détendre. Le beau canadien a un talent inégalé pour me mettre à l’aise. Prions qu’il en aille de même pour le reste de sa famille...
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