Les fils du destin
“Je crois aux signes, je crois au destin. Je crois que les gens ont tous les jours une possibilité de savoir quelle est la meilleure décision à prendre.”
Paulo Coelho
Le troisième Prince était assis près de la fontaine du jardin, son regard plongé dans les lignes qu’il parvenait sans mal à déchiffrer. Des récits de cape et d’épée, de demoiselles en détresse et d’artefacts puissants. Il s’imaginait aisément en héros pourfendeur de bêtes, secourant un royaume entier. En aucune façon, cela lui serait possible en ce monde. Dans un premier temps, parce qu’il n’était pas l’héritier du trône. Dans un second temps, il n’était pas non plus le deuxième. Il n’héritera que du titre de duc et d’un duché gracieusement offert par son père, s’il se décidait un jour à le lui en léguer. Même ce petit titre de duc était inadéquat à sa personne. Le jeune prince pensait aussi que ce serait injuste qu’on finisse par l’appeler « Votre Grâce » plutôt que « Votre Altesse ». On donnait à tous le loisir de le rabaisser, de changer son statut si noble au départ. Sa fiancée, Lady Claire, pourrait-elle encore vouloir d’un simple duc, même pas premier, un duc parmi tous les ducs que Yorgden pouvait déjà compter. De plus, il serait bien moins utile que les ducs en place. Une simple poupée, que l’on a fait naître dans le cas où les deux premières disparaîtraient. Un remplaçant. Il aurait sûrement pu l’accepter, s’il avait reçu une once d’amour. Mais tous le savent: la royauté en était dépourvue.
Le prince tendit sa rapière, menaçant le mage aux yeux sombres. Il ne fallut qu’un coup d’estoc pour pourfendre le mage, le stoppant net dans son incantation démoniaque. Ainsi le prince…
La pluie commença à verser. Ruinant la fin de l’histoire. Et des rires retentirent, le troisième prince sut alors qu’ils étaient de retour de leur cours de politique. Le petit prince se redressa, ferma son ouvrage et déclara : « — Vos Altesses, mes frères, quel bonheur de vous voir en si bonne forme. Je me rends à mes appartements, prenez soin de votre santé, il semblerait qu’une averse ait commencé. » Sa jeune altesse fit volte-face, mais l’aîné ne le laissa pas partir. Il se campa droit comme un piquet, le torse bombé, le regard cruel et un sourire carnassier se dessinait sur son noble visage.
— Petit frère, quelle belle attention à toi de prendre soin de ton futur roi ! Nous venions justement te quérir pour une affaire des plus importantes !
Le petit prince savait déjà à quoi s’en tenir avec l’héritier. Il était fourbe et plein de mauvaises intentions. Il allait au-delà des limites à chaque fois qu’il en avait l’occasion. Le pouvoir le grisait totalement. Et le petit prince redoutait le jour où il aurait tous les pouvoirs.
— Tu vois, Ernst ? Notre petit frère, dispensé des cours de politique et d’histoire, croit que cela est suffisant pour surclasser ses aînés ! dit le premier prince en relevant la main en direction du troisième, le regard à peine tourné vers le deuxième.
Le second héritier leva les yeux au ciel. Bien qu’il appréciait les farces, il n'appréciait pas le comportement parfois abusif du premier-né.
— Il semblerait qu’un invité important soit arrivé. Père nous fait demander les trois, précisa le second.
Le jeune prince ne s’attendait pas à ce qu’un jour si banal se transforme en exception. Le roi le faisait demander, lui et ses frères. Avant de laisser un tourbillon de questions inutiles s’emparer de ses pensées, il s’inclina avec déférence pour signaler à ses frères qu’il était prêt à les suivre.
Traversant les jardins, le petit prince se mit à imaginer une quête qui pourrait le couvrir de gloire. Lui octroyer plus qu’un petit duché. Une quête dangereuse qui pourrait coûter la vie de ses frères… Il ne s’était jamais laissé divaguer jusqu’aux frontières de la trahison. Un frisson parcouru le long de son dos. Lady Claire serait ravie de passer de future duchesse à princesse consort, à n’en pas douter.
Ils arrivaient enfin devant le salon des invités. Le jeune prince était à la fois excité et curieux de savoir qui se cachait derrière ces portes. Flatté d’être nécessaire à cette entrevue. L’intendant s’inclina légèrement pour saluer les princes et ouvrit la porte en les annonçant. Le roi était installé nonchalamment sur le fauteuil au centre de la pièce. Il fit signe aux princes de s’installer.
— Mes fils, nous avons une affaire des plus urgentes à discuter, dit-il avec un air grave. Yorgden court à sa perte. Le monde comme nous le connaissons disparaît à petit feu. Pour protéger nos gens, nous avons besoin de plus de pouvoir, d’une puissance qu’il ne nous a jamais été possible de détenir.
Il se redressa, fixant le fond sombre de la pièce où l’invité se tenait patiemment. Celui-ci s’avança comme s’il détenait toutes les réponses.
— Vos Altesses, dit-il dans un mouvement à peine perceptible.
Le jeune prince compris de suite que cet homme ne craignait pas la royauté. Il se savait supérieur, intouchable. Le roi donnait l’air de garder le contrôle, mais cela paraissait évident que ce n’était qu’une façade. Le troisième prince toisa ses frères. L’héritier au trône jouait le prince sérieux et à l’écoute. Ernst se tenait solennellement, droit. Aucun n’avait l’étoffe d’un héros. Ils ne suffiraient pas à sauver Yorgden de la ruine, si cela était vrai.
— Je suis un émissaire. Je suis venu rapporter une prophétie qui annonce l’Apocalypse. Il y a un moyen de l’arrêter, mais il est capital que les héritiers du roi soient présents. Il existe un artefact dans le sanctuaire de Yorgden qui est capable de vous conférer un pouvoir immense. Le seul qui puisse sauver votre royaume de la ruine, expliqua l’homme.
— Nous devons le trouver, j’imagine? coupa le premier prince.
— C’est exact.
— Pourquoi devons-nous tous participer ? demanda le deuxième prince.
— Seule une âme capable de régner pourra s’emparer de l’artefact et ainsi l’utiliser. Vous envoyer ensemble vous aidera à vous surpasser, et la sélection du futur gardien se fera d'elle-même.
— À quoi ressemble-t-il ? demanda le troisième prince.
L’étranger souris, il semblait approuver cette question plus que toutes les autres. Le roi se dressa dans son fauteuil.
— C’est une chevalière. Une simple chevalière en argent, avoua l’étranger.
— Où est le sanctuaire de Yorgden ? S’enquit le second.
— C’est là que je me dois d’intervenir, coupa le roi. Il est caché dans les vestiges de l’ancien château. Il n’y a donc qu’une seule entrée accessible.
— La fosse de la serre… devina à mi-voix le petit prince.
L’héritier commençait à bouillonner de ne pas être aussi vif. Il sentait son infériorité face à cette situation inédite. Il comptait sur le soutien d’Ernst, mais celui-ci était concentré sur l’échange. Le deuxième prince a toujours été érudit. C’est pour cela qu’il était si proche du premier prince, il détenait toutes les informations et l’intellect nécessaires pour épauler un roi. À défaut de pouvoir devenir souverain, il serait un parfait chambellan.
— Mise à part la chasse à l’artefact, qu’est-il attendu de nous ? demanda le premier prince.
—Vous devrez faire des choix. Tout ce dont vous avez besoin, c’est de savoir qu’une caste de mages prépare une attaque sur Yorgden. Ils estiment que la couronne leur revient de par leur supériorité, leurs pouvoirs qui sont un cadeau des dieux selon eux. La chevalière, la…Source est le seul moyen d’empêcher l’Apocalypse et de remédier à cette situation, conclut l’inconnu.
Le deuxième prince trouvait étrange que le roi fasse confiance à ce messager. Il trouvait d’autant plus étrange que le message d’un inconnu soit si important. Son père, le roi, était des plus méfiants. C’est pourquoi il n’avait encore donné aucun titre à ses fils. Pour les pousser à prouver leur valeur et à éviter les coups d’État. Ernst comprit alors que pour le roi cette quête, réelle ou non, permettra d’officialiser le titre d’héritier. L’un d’eux devait sortir vainqueur. Le second frissonna en concevant les plans de son père. Il ne tardait pas à imaginer ce qui pourrait les attendre et de quoi le premier prince serait capable s’il comprenait le véritable enjeu de cette mission...
Le roi renvoya l’inconnu et demanda à un garde d’armer les princes et de les guider vers la serre. Le troisième était impressionné d’être envoyé en mission avec ses aînés. Peut-être avait-il l’étoffe d’un futur roi, finalement.
Ce sont tes choix qui en décideront.
Le troisième frissonna suite à ce murmure que lui seul semblait avoir entendu. Il se demanda si ses lectures et l’excitation de cette journée ne l’affectaient pas plus que de raison.
Alors que les princes passaient leur épée et des protections légères ; rudimentaires selon le second ; inutiles selon le troisième ; inconfortable pour le premier, le roi leur présenta ses hommages et s’en alla rapidement. L’héritier se sentait prêt et sûr de lui, le deuxième restait méfiant et observateur, le dernier vivait un rêve éveillé.
C’est ainsi que les trois princes de Yorgden s’enfoncèrent dans la fosse pour atteindre le sanctuaire. Cachée sous le château qu’ils connaissaient si bien et apparemment si peu à la fois. Le vieil escalier en pierre était couvert de mousse glissante. La rambarde en pierre avait depuis longtemps disparu, bien que ses restes permettaient d’en deviner l’existence. Après que le destin ait tenté de pousser les princes dans le vide à maintes reprises, ils touchèrent enfin le fond. Les ruines étaient humides et luisantes d’une lumière surnaturelle. Le petit prince était presque déçu que tout ceci soit si facile. En lisant, il s’était imaginé la hardiesse et l’endurance que le héros devait avoir en lui, mais jamais qu’il en était déjà pourvu. Il était le seul à ne pas avoir glissé ou trébuché. Le seul à ne pas avoir frôlé l’éternel sommeil. Et ces pensées le confortaient sur son hypothèse : il n’était pas fait pour être duc, c’était un héros. Ce serait lui qui sauverait Yorgden de l’Apocalypse annoncée et, pour cela, il devait trouver la chevalière avant ses frères.
Leurs pas faisaient trembler le calme et sonner les murs. Leurs épées claquaient comme pour acclamer leur arrivée au sanctuaire, depuis si longtemps resté vide. Bien qu’il ait, à maintes reprises, faillit rejoindre la fin de tout, le deuxième prince trouvait le tout nettement trop facile. L’artefact se cachait ici, sous leurs pieds, depuis toujours. Comment le roi se serait passé d’une telle puissance si elle était si facilement accessible ? Vous devrez faire des choix. Le second restait perplexe face à cette énigme.
Le premier ne tardera pas à sauver ses arrières.
Ernst eut un frisson. Il espérait que ce n’était que son imagination qui lui faisait entendre des voix. L’héritier avançait toujours, devant les deux autres. Il avait tout d’un futur roi, mais son assurance s’effritait aussi vite qu’un château de sable s’écroule lorsque l'eau le touche. Le premier avait la sensation que quelque chose lui échappait.
Ils complotent, mon roi…
Le prince héritier se stoppa net. Se retourna et scruta ses frères qui semblaient tout à fait surpris par son attitude si peu noble. Les trois frères étaient quelque peu déboussolés par cette quête inhabituelle. Ils continuèrent, cependant, d’avancer dans l’immense couloir sans prononcer un mot. Un autel se révélait enfin à la fin de la galerie. Une statue de femme trônait au centre des marches. Les paysages des murs semblaient recouverts d’une peinture noire. Les dorures des champs et de la nature représentées sur la fresque étaient presque entièrement recouvertes. Le troisième prince était fasciné par cette vue si unique. Alors qu’il regardait plus attentivement les peintures murales, il s’aperçut que ses frères scrutaient la statue. Elle n’était pas grande, mais s’élevait tout de même au-dessus de leur tête. Le premier et le second avaient déjà repéré la chevalière au doigt de la statue. Lorsque le troisième comprit, il s’avança pour les rejoindre.
Seul un roi capable de faire des choix peut gouverner.
Suite à ces mots, l’héritier et le petit prince dégainèrent leur épée. Le premier prince lança une estocade contre le dernier qui se trouvait juste en face de lui. Ernst tenta de s’interposer, de leur faire entendre raison à chacun malgré les murmures qui les poussaient à la discorde. Le troisième ne pouvait se résoudre à échouer. Il esquiva tous les coups du premier et para le dernier assaut. Le premier senti son équilibre vaciller, il tenta de se reprendre. Ernst se précipita sur lui. Envahi par la peur de mourir, l’héritier lança son épée qui entailla le second violemment. Le deuxième prince s’écroula sur le sol, dans l’étendue de son propre sang. En suivant les projections, il comprit qu’il rejoignait les marques noires des murs. Souvenirs des précédents visiteurs.
Le petit prince asséna un coup de pied à son frère aîné, le projetant au sol. Il se saisit de son épée des deux mains et la planta sans une once d’hésitation dans la poitrine de son frère. Il attendit, haletant, que celui-ci rejoigne la fin de tout. Il lâcha son épée et s’approcha de la statue pour s’emparer de la bague qui n’attendait que son arrivée. C’était une simple chevalière en argent. La Source. Il la passa à son doigt.
Longue vie au Roi Gregor.
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