Chapitre 2
ellePetite note de l'auteure: certains vont être déçus. En effet, en gardant les mêmes chapitres introducteurs, j'ai décidé de changer le sujet de cette histoire. Comme je n'ai pas le temps de me lancer dans une intrigue psychologique, 'De l'Autre Côté du Mur' prendra un tout autre tournant puisqu'il s'agira de... fantasy! Je sais que l'écart est énorme, mais c'est ce qui m'inspirait le plus, et je n'ai pas de talent pour les thrillers. Pardonnez-moi donc pour cette annonce... (le résumé sera également bientôt réécrit, dans un ou deux jours si tout se présente bien). Malgré ça, bonne lecture!
*
Elinor se réveilla avec un atroce mal de tête, et vit son frère qui dormait à côté de lui. Elle avait rêvé que ses parents divorçaient, que sa mère perdait son emploi, et que Liam partait travailler dans le Somerset. Heureusement, il était bien là, cheveux noirs ébourrifés sur l'oreiller, la main de sa petite soeur dans la sienne. Il souriait. "Il doit rêver d'Emma", se dit-elle.
Liam et Elinor avaient pris l'habitude de dormir ensemble lorsqu'ils avaient respectivement huit et cinq ans. Leur affection était telle que, pendant les vacances d'été, ils s'étaient assoupis l'un contre l'autre sur un vieux transat de jardin, dans un camping perdu du Devon, et ne s'étaient réveillés que le soir venu. Depuis cette journée, constatant que la présence de l'un et de l'autre calmait leur sommeil, ils ne s'étaient jamais séparés...
Elinor se leva, essayant de ne pas réveiller son adorable frère. Celui-ci fut tout de même perturbé par le craquement des vieilles lattes et des ressorts du matelas, et resserra sa prise sur son oreiller. Dans ses pensées - comme l'avait deviné Elinor - il n'y avait qu'Emma, qu'il devait rencontrer à la pizzerria le soir venu; il ne l'avait même pas dit à sa soeur, craignant qu'elle ne lui demandât de tout lui raconter le lendemain. D'autant plus que cette soirée était particulière: il allait enfin savoir si l'élue de son coeur voulait ou non officialiser leur relation. Cela lui faisait peur, mais en même temps l'excitait comme un gamin de six ans au vingt-cinq décembre: le Père Noël lui avait-il apporté les cadeaux auxquels il avait tant pensé?
Elinor, qui ne le savait vraiment pas, avait dans l'idée que Liam profiterait de son jour de congé - car c'était un lundi - avec elle au cinéma; il lui avait promis de l'emmener voir l'Empire Contre-Attaque cette semaine, mais avait décidément d'autres plans plus sérieux. Sa soeur s'habilla en vitesse et descendit au rez-de-chaussée, où son sac de cours l'attendait déjà. Elle n'aurait plus qu'à petit-déjeuner et se préparer, puis filer en direction du lycée sur sa bicyclette grise. Là-bas l'attendaient Rémi, Nathan, Rose et Eva, qui devaient avoir des tas de choses à lui raconter après deux longues journées - le temps qu'il fallait, à Bristol, pour faire environ cinq promenades, deux escapades à vélo, un tour à la bibliothèque et trois au vidéoclub (pour s'enquérir de la sortie en cassette du nouveau James Bond ou emprunter un Kubrick qu'on avait visionné au moins six fois mais qu'on adorait).
Elinor trouva sa mère dans la cuisine, qui coupait du pain pour Mila. Elle semblait en forme, ses joues avaient repris de la couleur, et elle avait allumé la radio. Alors que Bowie se déchirait sur Heroes, la lycéenne dit, d'une toute petite voix:
"Il reste de la confiture de framboises?"
Elle s'installa à table, et pendant qu'elle tranchait elle-même le pain blanc et farineux, Mila lui poussa sous le nez le pot de marmelade, à sa grande surprise encore fermé. Elle fit glisser sa cuillère sous le couvercle et attendit le petit 'ploc' caractéristique pour s'attarder enfin sur son ouverture, que l'accumulation de sucre avait rendue difficile. Mila regardait sa soeur faire avec admiration, espérant qu'elle aurait un jour cette faculté légendaire de débloquer des engrenages aussi collants.
"J'ai entendu dire que Madame Oliver partait à la retraite, dit sa mère, observant ses deux filles mais s'adressant à Elinor.
- Oui, répondit-elle, et tant mieux. Le remplaçant arrive demain matin."
Madame Oliver était la professeure de littérature anglaise d'Elinor. Elle était déjà âgée, et il était prévu qu'elle quittât l'établissement cette semaine. Elinor avait été assez heureuse de l'apprendre, car Oliver était intraitable; avec son humour cassant, chaque élève avait le droit à son apostrophe, plus ou moins dure, accompagnée d'un petit paragraphe (encore une fois d'une longueur variable) sur son comportement, ses notes, ou je ne sais quoi encore. La moyenne de classe ne s'élevait pas au-dessus de dix, et les élèves normaux récoltaient souvent des sept ou des huit, tandis que la tête de classe se contentait de misérables onze ou douze. Elinor était située entre les deux, et ne souffrait pas trop, à part lorsque Madame Oliver exhibait son classeur mal rangé et ses petits dessins 'marginaux' aux yeux de tous; il pouvait y avoir une quantité de miniatures différentes, d'une petite fée griffonnée au stylo plume à une Leia Organa plus élaborée, en passant par des têtes de lapins, de chats, et des portraits plus confidentiels de ses amis. Elle y avait été prise déjà deux fois, et évitait de croquer depuis le dernier assaut, particulièrement humiliant; ce jour-là, elle avait dessiné le portrait de son professeur de biologie sous son meilleur profil, et Madame Oliver avait déclaré qu'elle garderait son classeur pour le montrer à l'intéressé (lequel, au lieu de rire, avait été fasciné). Oui, depuis ce jour, Elinor évitait Monsieur Underwood du regard, sans savoir ce qu'il en avait réellement pensé, et ne s'aventurait plus à gribouiller sur ses copies, jugeant cela un tantinet trop dangereux.
Alors qu'elle mordait dans sa tartine, le téléphone sonna, et elle se leva en vitesse pour répondre à l'appel. Ce devait être Rose; la jeune fille l'appelait souvent le matin pour fixer l'heure de leur rendez-vous sur la grand-place, selon leur avancement dans la préparation de leurs affaires. Lorsqu'elles ne le faisaient pas, l'une des deux se retrouvait seule, soit parce que l'autre n'était pas encore arrivée, soit parce qu'elle était déjà partie en direction du lycée... ce qui avait le don de les mettre dans l'embarras, car elles s'inquiétaient l'une pour l'autre à chaque fois.
Elinor décrocha le combiné.
"Allô? C'est Rose! s'exclama la jeune fille au bout du fil. T'es prête?
- Presque, je finis mon petit déjeuner et j'arrive, répondit l'intéressée.
- Dans vingt minutes sur la grand-place?
- Ca me va! A tout de suite!"
Après ce consentement mutuel, Elinor reposa le téléphone sur son socle et se hâta pour finir son verre de jus d'orange, après quoi elle se brossa rapidement les dents, jeta son sac à dos sur son épaule comme un barbare enlevant une princesse, et sa petite soeur eut à peine le temps de lui faire un signe de la main qu'elle avait déjà enfourché son vélo et pédalait vigoureusement en direction du centre-ville.
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