Chapitre 7 : La Confrontation - (2/2)
Croiser Brun dans les jardins n’était pas rare. Après tout, il se trouvait chez lui. Dayan, en revanche, c’était moins fréquent. En tant qu’homme entier, il n’avait pas le droit d’entrer seul dans le harem. Malgré son rang, s’il n’avait pas été accompagné du roi, les eunuques l’auraient arrêté. Quelques concubines restèrent indifférentes à sa visite, mais la plupart le dévisagèrent comme pour le spectacle. Il fallait dire qu’il n’y avait pas souvent de nouvelles têtes en ce lieu.
Brun identifia Larein qui rentrait de sa promenade matinale, entourée de sa cour. Matak savait quel mauvais coup elle était encore allée accomplir. Il s’appuya à la rambarde qui bordait la terrasse afin de mieux la surveiller. Deirane passa vivement derrière lui sans remarquer sa présence. Elle fonçait droit sur la belle rousse. En la voyant arriver, Larein esquissa un sourire. La perspective d’une bagarre ne lui déplaisait pas.
Deirane attrapa Larein par le col. Emportée par son élan, elle l’éloigna de quelques perches, l’isolant de ses suivantes.
— On dirait que quelque chose t’énerve, remarqua Larein d’un ton gouailleur. Serait-ce parce que ta petite domestique ne veut plus travailler chez toi ?
En réponse, Deirane lui envoya une gifle retentissante. L’attitude de Larein changea aussitôt. Maintenant, elle ne riait plus. Ses yeux renvoyaient des éclairs de haine.
— Ne recommence plus ça, menaça-t-elle.
Ignorant l’avertissement, Deirane lui en donna une seconde, du côté droit. Larein essaya d’attraper les poignets de son ennemie et ainsi l’immobiliser. Mettant en pratique les cours de Naim, elle se dégagea sans problème. Puis elle balança un coup de poing qui cueillit son adversaire juste sous le menton. Larein accusa le choc.
Terel vint au secours de sa capitaine. Elle s’approcha de Deirane par-derrière et la ceintura.
— Attention à son bébé ! s’écria Larein, elle ne doit pas le perdre à cause de nous.
Terel changea sa prise, immobilisant Deirane en lui maintenant les bras. En outre, cela lui redressa le buste, l’exposant aux assauts de Larein. L’attaque échoua. Prenant appui sur la lieutenante, Deirane envoya un coup de pied en plein visage de Larein. Surprise, la concubine recula en chancelant. Elle sentit quelque chose couler sur sa lèvre supérieure. Inquiète, elle y porta ses doigts qui se retrouvèrent tachés de sang. Un rictus déforma alors son visage.
— Tu tapes comme une fillette, lança-t-elle, je vais te montrer comment on fait.
Elle s’assura que Terel maintenait bien Deirane avant de revenir à l’attaque. La petite femme envoya un coup de coude dans le ventre de sa geôlière qui se plia en deux sous la douleur. Ainsi libérée, elle fit face à son adversaire.
De leur point de vue, le roi et son ministre assistaient à la scène.
— Nous devrions les séparer, suggéra Dayan.
— Non, laisse, le tempéra Brun.
Il retint son bras droit de la main afin qu’il restât auprès de lui. Puis il envoya un signe à Chenlow qui arrivait avec quelques hommes afin de lui signifier de ne pas intervenir.
— Je constate que les leçons de Naim semblent avoir porté leurs fruits, releva-t-il.
Il s’accouda au garde-corps pour assister à la suite du combat.
Chenlow n’était pas resté inactif. Obéissant à l’ordre implicite du roi, il avait dégagé un espace circulaire autour des deux adversaires, éloignant les concubines et les eunuques qui se trouvaient trop près. Il saisit Terel par le bras et l’écarta. Elle lança un regard inquiet vers sa capitaine. Deirane s’était révélée plus coriace que prévu. Et laisser Larein sans assistance face à elle ne la rassurait pas.
Larein aussi avait remarqué la manœuvre de Chenlow. Seule Deirane, en proie à sa fureur, n’avait rien vu. Ignorant le public, cette dernière fonça sur la belle rousse et commença à la rouer de coups de poing. Larein lui immobilisa les poignets sans difficulté, mais elle ne put esquiver le genou dans l’entrejambe.
Une fois dégagée, la jeune femme sembla se calmer.
— Ne touche plus aux miens, l’enjoignit-elle, sinon je pourrais vraiment me mettre en colère.
— Ouh, j’ai peur, se moqua Larein.
Elle se plaça juste en face de Deirane. La différence de taille entre les deux adversaires lui permettait de la toiser.
— Petite idiote. Tu penses que tu peux me menacer en toute impunité.
— Tu crois qu’une bâtarde comme toi m’effraie. Tu ne peux rien me faire.
Larein rougit violemment.
— Bâtarde ! s’écria-t-elle, tu oses me traiter de bâtarde !
Deirane s’éloignait déjà.
— Je connais mon père, petite conne. Lui, il ne grattait pas la terre comme un pouilleux.
— Inutile, lança Deirane sans se retourner, l’herbe pousse partout. Il n’avait qu’à se baisser quand il voulait brouter.
Larein serra les poings de rage. Soudain, elle fonça sur la jeune femme. Entraînée par son élan, elle la renversa. Oubliés le bébé, les risques de fausse-couche et le châtiment qu’elle encourrait si cela se produisait. Assise sur le torse de Deirane, elle lui frappait le visage essayant d’effacer son sourire.
Deirane détourna la tête qu’elle protégea du coude. De justesse, les leçons de Naim lui revinrent à l’esprit. Elle plaqua les bras contre sa poitrine ce qui empêcha Larein de prendre une position plus avantageuse. Puis de la jambe, elle lui crocheta le pied et la fit basculer sur le côté. Surprise, Larein tomba. Deirane s’écarta en roulant sur le flanc et se releva.
Sans laisser le temps à Larein de se ressaisir, elle fondit sur elle et lui balança un violent coup de pied en pleine tête. La concubine s’écroula au sol, presque sans réaction. Deirane la traîna jusqu’au bassin tout proche et la poussa dedans. Puis elle s’assit sur son dos.
Larein tenta de se dégager, sa position désavantageuse et le poids de son adversaire l’en empêchèrent. Elle parvenait juste à sortir la tête au-dessus de la surface.
— Tu promets de ne plus toucher à mes amies ? demanda Deirane.
— Va chier !
Deirane lui appuya sur le crâne et le lui maintint sous l’eau quelques instants. Puis elle la releva.
— Alors ?
— Connasse.
Deirane l’immergea de nouveau. Ce coup-ci, elle resta longtemps. Au bout d’un moment, Larein commença à paniquer. Elle agita les bras en une vaine tentative de se libérer.
— Je vous en prie !
C’était une femme qui avait lancé ce cri. Deirane tourna la tête. Un peu plus âgée que Deirane, elle arborait une magnifique chevelure rousse semblable à celle de Larein. Et leurs visages se ressemblaient. Sa sœur Niode.
Elle se dégagea vivement de la poigne de Chenlow et se précipita vers le bassin. Sans se préoccuper de l’eau qui mouillait ses sandales, elle se plaça face à Deirane.
— Je vous en prie, implora-t-elle, ne lui faites pas de mal.
Deirane hésita devant les larmes de la jeune femme. Elle décela quelque chose de bizarre dans son attitude, une sorte d’innocence bien rare dans ce harem. Puis elle se souvint que la sœur aînée de Larein était simple d’esprit, tout comme Jalia, cette stoltzin dont elle avait été si proche un moment.
— Je veux qu’elle arrête de s’en prendre aux miens.
— Elle va arrêter, je vous le promets.
Deirane relâcha la pression sur le crâne de son adversaire. Larein aspira une grande goulée d’air.
— Niode a juré que tu cesseras tes agressions sur moi et sur mes amies. Tu respecteras sa parole ?
Larein le confirma d’un hochement de la tête. Elle était matée.
Deirane se releva en la libérant. Niode s’accroupit et aida Larein à se retourner sur le dos. Puis elle l’enlaça. Larein s’abandonna entre les bras protecteurs. Terel et quelques membres de sa faction la rejoignirent. La lieutenante était effarée. Alors que Larein était couverte d’écorchure, d’hématome et avait même une lèvre fendue, Deirane n’avait rien. Son corps n’avait subi aucun dommage. Terel lança un regard de haine à sa rivale pendant qu’un eunuque examinait rapidement les ecchymoses de sa cheffe.
— Larein ! cria Brun, puisque tu n’es pas en état, cette nuit ta sœur la remplacera !
Deirane leva la tête vers le balcon. Elle remarqua alors le public qui commençait à se disperser.
Nëjya rejoignit Deirane.
— Belle bagarre, la félicita-t-elle.
— Elle m’avait mise en rogne. Je n’ai pas pu me retenir.
Nëjya prit la main de Deirane et l’entraîna vers le palais.
— Ce n’est pas un reproche. Cette garce méritait cette correction. Fais gaffe quand même. Elle est rancunière, surtout si tu tiens compte que sa sœur chérie va être livrée à Brun sans protection. Souviens-toi de sa réaction quand je l’ai baisée il y a quelques mois.
— Elle a promis de se tenir tranquille.
La Samborren lâcha un petit rire sarcastique.
— Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Et n’oublie pas qu’elle était désavantagée. Tu es enceinte. Si elle t’avait fait perdre ton enfant, la punition de Brun aurait été terrible. Ça a retenu ses coups.
— Ce n’est pas l’impression que j’ai eue.
Deirane prit conscience de ce que faisait son amie.
— Où m’emmènes-tu ?
— Tu as besoin des services d’un bel eunuque bien musclé.
— Pardon !
Elle s’arrêta et retira sa main.
— Un massage, précisa Nëjya. Et à moi aussi, cela ne ferait pas de mal.
Deirane inspira de soulagement. Son amie n’avait pas tort, même si elle n’était pas blessée, elle avait encaissé des coups. Ses muscles étaient endoloris et elle souffrait là où Larein l’avait frappée. Sur les traces de Nëjya, elle reprit sa marche vers le hall du harem qui abritait tous les services offerts aux concubines.
— Tu as raison, dit-elle. Mais toi, tu aimes les femmes. Tu accepterais de te faire toucher par un homme ?
— Pas par un homme, riposta-t-elle, par un professionnel expérimenté formé par les Sangärens, qui comme tout le monde le sait, sont les meilleurs dans ce domaine.
Elle reprit la main de Deirane.
Ensemble, elles montèrent l’escalier du palais. La jeune femme remarqua que sur son passage, les concubines s’écartaient. Leur regard avait changé. Elle y voyait un respect autrefois absent. Son statut venait encore de progresser dans la hiérarchie du harem. Nul doute que la faction de Deirane allait rapidement grossir dans les douzains qui allaient suivre.
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