Chapitre 34 : Le Bal - (1/4)
Pour accueillir la panarque, Brun avait voulu organiser un bal à l’encontre des habitudes helarieal. Ce n’était qu’une petite vengeance mesquine, seul moyen de manifester son indépendance vis-à-vis de leur puissant visiteur. Toutes les fêtes se ressemblaient. Quelle que fût la culture, on y chantait, on y dansait, on y buvait. Il ne lui restait plus qu’une seule forme de rébellion, la magnificence. Il savait que, bien que le niveau de vie de l’Helaria fût plus élevé, les différences de richesse y étaient moindres et les dirigeants du pays ne vivaient pas tellement mieux que leur population. En comparaison, Brun était très fortuné. Il décida donc de leur en mettre plein la vue.
En temps normal, il aurait exhibé ses esclaves, ne leur donnant que peu de vêtements, voire aucun, afin de laisser les gens admirer leur beauté. Ce soir-là, il fit exactement le contraire. Il les habilla. Il utilisa les étoffes les plus précieuses, les broderies les plus délicates, des voilages et des bijoux, beaucoup de bijoux.
Le représentant de la panarque lui avait transmis la liste des invités qui participeraient au bal. Douze personnes, un quart de la délégation, avaient prévu de venir. Afin que personne ne restât sans partenaire, y compris parmi les nobles et les bourgeois du royaume, il estima à vingt-quatre les concubines nécessaires à la réussite de ce bal.
Devant un tel nombre, le harem était en effervescence. Vingt-quatre ! Presque un tiers d’entre elles ! Et, nouvelle preuve de la richesse de Brun, le soir même, toutes les tenues étaient livrées aux participantes. De la faction de Deirane, seule Nëjya était invitée. Depuis que Jevin était parti, elle avait cessé de se droguer. Elle était redevenue présentable. Des autres, Dursun n’était encore qu’une novice. Et Sarin, bien qu’elle fût aussi belle que ses consœurs, n’attirait pas le regard sur elle. Quant à Naim, elle ne possédait pas vraiment le type physique que l’on attendait d’une concubine royale.
Nëjya rejoignit la petite Yriani dans sa chambre. Deirane contempla son amie, richement vêtue. Le couturier avait réussi à la couvrir presque entièrement tout en mettant en avant la délicatesse de ses traits : vêtements près du corps, large décolleté, taille nue, et une jupe fendue qui dévoilait par moment une jambe faite au moule. Et par-dessus tout cela, des bijoux : bracelets, colliers, boucles d’oreilles, chaînes sur les hanches, autour de la cuisse et des chevilles. Il ne manquait plus qu’un diadème, Deirane ne parvenait pas à décider si c’était une question de temps ou pour des raisons pratiques.
Elle jeta aussi un coup d’œil dubitatif sur sa propre tenue. Nëjya remarqua son air.
— Tu as un problème ?
— Ils ont oublié le haut.
La Samborren esquissa un de ses rares sourires – bien plus fréquents cependant depuis le départ de Jevin – avant de lui répondre.
— Je n’y vois rien de surprenant. Il nous a décorées, les autres concubines et moi, de bijoux. Toi, tu es le bijou. Il exhibe ses richesses ce soir, c’est normal qu’il te couvre à peine. Je suis sûre que si tu avais eu le caractère de Mericia, tu n’aurais eu droit qu’à un pagne.
— Tu me ferais presque croire qu’il tient compte de nos désirs.
— Je pense qu’il s’en fout. Mais il veut que tu lui fasses honneur, ce qui ne sera pas possible si tu passes la fête à te planquer dans les moindres recoins.
— Comment est habillée Salomé justement ? s’enquit Deirane.
— Salomé ? Pas Mericia ?
— Non. Mericia ne viendra pas au bal. C’est Salomé qui la remplace.
— Brun a fumé des substances qui ramollissent le cerveau ! Mericia est divine. Alors que Salomé, à part ses longs cheveux, ses yeux noisettes, sa peau de porcelaine…
Devant l’air sarcastique de Deirane, elle s’interrompit.
— Bon d’accord, elle présente bien malgré son âge, avoua Nëjya.
— Elle n’est pas si vieille, protesta Deirane. Elle n’a que vingt-cinq ans⁷.
— Vingt-cinq ans, c’est vieux. Enfin. Je ne sais pas comment elle est habillée. En revanche, j’ai croisé Lætitia en venant et elle est exactement comme moi. Ainsi que ton amie sangären. Bilti ?
— Elle est invitée aussi ? Pourtant elle est plus âgée que Salomé, la taquina Deirane.
— Cette couleur de cheveux – roux flamboyant – associée à ces yeux verts et cette peau très pâle, c’est rare. Si à cela tu rajoutes une silhouette divine et un déhanché à damner les saints, je ne suis pas surprise qu’elle le soit.
— Qui d’autre vient ?
— Notre amie stoltzin.
— Arsanvanague ! Il ose la montrer ? s’étonna Deirane.
— Elle n’est pas Helariasen, Brun ne risque rien à l’exhiber. Et en plus, elle est aussi bien foutue que nous. Pendant que j’y pense, je n’ai jamais expérimenté une stoltzin. Je me demande quel effet cela fait.
— Pardon !
Nëjya sursauta. Dursun venait précisément de choisir ce moment pour entrer. Son intervention soudaine surprit les deux concubines.
— Je t’interdis d’essayer quoi que ce soit avec cette stoltzin, continua Dursun.
— Sinon ? Que vas-tu me faire ?
— Sinon je t’attache au lit.
— Intéressant programme.
La direction que prenait leur dialogue rassura Deirane. Elles n’étaient pas en train de se disputer. D’ailleurs, les deux amantes s’étaient rapprochées à se frôler. L’Aclanli avait empoigné le bras de sa maîtresse.
— On y va maintenant ? demanda-t-elle, les yeux pétillant de joie.
— Attention à ne pas froisser vos vêtements, lança Deirane, sinon Brun ne sera pas content.
Elles lui renvoyèrent un sourire amusé. Dursun plaisantait en proposant des petits jeux amoureux alors que sa compagne avait revêtu sa tenue de bal. Cependant, l’Yriani estimait qu’il n’aurait pas fallu les pousser beaucoup pour qu’elles s’abandonnassent à leur passion.
Aidée de Loumäi, Deirane s’habilla. Si l’on pouvait dire cela. Son costume se limitait à une simple jupe, similaire à celle de ses amies, qui lui dévoilait la jambe à chaque pas. Puis la jeune domestique s’occupa du maquillage. Contrairement à celui des autres concubines, il était léger, une ligne de khôl sur la paupière supérieure et du rouge à lèvres sombre pour faire ressortir sa bouche afin de renforcer son côté sensuel. C’était Deirane le spectacle, ou plus exactement son tatouage. C’était lui qui devait être mis en évidence. Comme elle devait aller la poitrine nue, Loumäi acheva par une pointe de doré sur le bout des seins. La jeune femme se laissa faire sans broncher. Elle supportait facilement le contact de sa chambrière, même à un endroit aussi intime. Peut-être parce que cette dernière ne profitait pas de la moindre occasion de lui dérober une caresse. En guise de touche finale, la Salirianer mêla à sa chevelure blonde quelques chaînes en argent.
Deirane se regarda dans la glace. L’image que celle-ci lui offrit la surprit. Elle était magnifique. Envolée l’adolescente que le drow avait torturée. C’était une adulte que son reflet lui renvoyait. Les formes qui lui manquaient dans son adolescence s’étaient mises en place. Ses seins s’étaient développés, ayant enfin atteint un volume qu’elle estimait satisfaisant, ses hanches s’étaient élargies, son visage s’était affiné. Et son ventre, malgré sa grossesse récente, n’avait pas tardé à retrouver sa sveltesse d’origine. Sa silhouette avait de quoi largement contenter un potentat tel que Brun, fier de la beauté de ses esclaves. Et par-dessus tout cela, elle avait le tatouage. Ce dessin brodé au fil d’or la rendait unique. Il était à peine visible, mais sans lui, les pierres précieuses incrustées partout dans sa peau n’auraient semblé former qu’un assemblage sans but ni architecture, alors qu’avec lui, il conférait une harmonie à l’œuvre. L’un des centres du motif était son ventre. Un anneau doré entourait son nombril. Et paradoxalement, alors que les autres concubines y avaient fixé une gemme, le sien était totalement vide, donnant l’impression d’être la source d’où l’ensemble avait surgi. Un instant, oubliant la pudeur qui la caractérisait habituellement, elle se demanda l’effet qu’elle aurait en apparaissant ainsi dans la salle de bal. À coup sûr, elle aurait du succès.
Loumäi lui posa sur les épaules une étole transparente. Étrangement, bien qu’elle ne la cachât pas aux regards, le contact de ce tissu sur sa peau nue la rassura.
— Je suis prête, annonça-t-elle.
Elle se tourna vers ses amies, silencieuses depuis un moment. Elle croyait qu’elles étaient trop occupées ensemble, mais en réalité non. Nëjya la contemplait, impressionnée par le spectacle qui s’offrait à elle. Mais ce n’était rien en comparaison de Dursun, qui était bouche bée d’admiration.
— Vous êtes très belle, remarqua Loumäi.
— Le mot est insuffisant, ajouta Nëjya. La faiblesse de mon vocabulaire orvbelian m’empêche d’exprimer ce que je vois. Même dans ma langue, je ne connais pas de termes adéquats.
Deirane rougit devant ce compliment. Puis elle rejoignit la petite Aclanli.
— Tu en penses quoi ? demanda-t-elle.
— Sublime ! s’extasia Dursun. Tu es sublime !
— Mericia va piquer une crise de jalousie, ajouta Nëjya.
Au fond d’elle-même, elle en doutait. Aussi belle que fût Deirane, Mericia dégageait quelque chose qui la plaçait au-dessus du lot. Beaucoup de femmes magnifiques vivaient dans ce harem, elles étaient choisies selon ce critère. Pourtant Mericia était constamment celle que l’on remarquait. À sa grâce se rajoutait quelque chose que la jeune femme n’arrivait pas à définir. D’ailleurs, même après la tempête, quand elle était rentrée couverte de plaies et de contusion, elle restait toujours superbe.
— Et maintenant ? s’informa Nëjya.
— Je crois qu’on attend.
— Vous avez encore besoin de moi ? s’enquit Loumäi.
— Je serai occupée toute la soirée, je pense que Daniel meurt d’impatience que tu aies fini ton service.
— Ainsi c’est sérieux avec Daniel ? Toutes ces chambres seront vides. Tu pourras le rencontrer ailleurs qu’entre deux portes, suggéra Nëjya. Un vrai lit, c’est autre chose.
— Les paniers de linge et les douches ce n’est pas mal non plus, la taquina Deirane.
Au fur et à mesure que les deux amies discutaient de ses amours, la domestique devenait de plus en plus écarlate.
Brusquement, Deirane ouvrit le placard. Elle fouilla dedans et en sortit une robe enveloppée dans une protection.
— Elle est revenue, retouchée selon tes mensurations. À ton avis, comment réagirait-il si tu la portais ?
Loumäi ne répondit rien, les étoiles qui pétillaient dans ses yeux parlèrent à sa place.
— Installe-toi, je t’habille.
— Vous ne pouvez pas ? objecta Loumäi.
— Pourquoi ?
— Je suis une odalisque, vous êtes une concubine.
— Arrête ces conneries, lança Nëjya, ton service est fini. Il n’y a plus de concubines ni de domestiques dans cette pièce, que des amies. Serlen, Dursun et moi on va t’habiller et aujourd’hui tu vas te laisser faire.
Loumäi céda face aux arguments. Et de toute façon, elle mourrait d’envie d’être traitée comme une de ces incroyables hétaïres qu’elle côtoyait quotidiennement. Les trois amies meublèrent ainsi leur temps libre jusqu’à ce qu’on vînt les chercher.
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7 - 38 ans terriens
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