C’était devenu un rituel : 20h30 « au dodo », pyjama, brossage de dents, on embrasse nos parents.

Comme chaque soir, je suppliais mon frère de dormir avec moi. Comme chaque nuit, il finissait par dire oui. Pourtant, nous avions chacun nos chambres respectives, au deuxième étage, situées l’une à coté de l’autre. La mienne était rose et bleu, la sienne verte, mais notre préférée c’était la orange, la chambre d’amis. Pourquoi ? Je ne sais. Sûrement parce qu’elle était d’une telle neutralité, qu’elle nous permettait de développer à notre gré, mille facettes de notre imagination. Ou peut-être parce qu'à cette époque là, mon frère était aussi mon meilleur ami.

Nous avions compris que pour rêver, il fallait s’évader.

Mon frère inventait et dans ses délires je le suivais. Une des histoires m'est restée en tête.

« - Hé ! On dirait qu’on était deux enfants abandonnés par leurs parents, dans la forêt, que c’est tout moi qui ai construit, une cabane en bois, la télé et même une récolte de riz. »

Malgré mon jeune âge, je me fis la remarque que définitivement mon aîné pouvait tout imaginer sauf vivre sans manger, ni dessins animés. Peu importe, accessoirement, ma réflexion aurait été mal placée. En réalité, c’était l’été. Mais pour donner un caractère plus dramatique au déroulement de notre histoire, nous décidions que ce fut l’hiver. Je me laissais alors transporter par ce nouveau décor, à l’odeur moite et humide de la flore, aux bruissements des arbres et aux hurlements des animaux sauvages. Je me mettais à trembler, simulant que j’étais morte de froid et de peur. Mon frère se blottissait contre moi, me serrait du plus fort de ses bras et nous nous reposions au creux d’un amour fraternel.

Mais en bas, des cris bien moins discrets nous parvenaient. Ceux de nos parents qui se déchiraient mutuellement. Ainsi, réellement, ils s'abandonnaient.

Nous avions compris que pour rêver, il fallait s’évader.

2010