Chapitre 3 - Léxandre

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Sur le parking, j’attends la sœur de Louis, suite à son message. Adossé à ma voiture, je dévisage le bâtiment. Un grand édifice ancien qui ressemble à une maison de riche. Plusieurs étages, des murs propres et des volets en bons états.

Ça sent l’argent à plein nez.

Un endroit à cambrioler ? Non. À part des livres, il n’y a rien.

Des rires résonnent. Je glisse mes prunelles sur les portes d’entrée. Des personnes sortent. Ils semblent tous heureux. À des kilomètres de savoir qu’un criminel est dans les parages.

Enfin, après une éternité, Jules sort seule. Son visage est baissé. Elle tient la lanière de son sac et joue avec. Quand son menton se lève, une déchirure parcourt mon cœur. Je suis foudroyé sur place, non seulement par sa beauté, mais par sa tristesse.

Jules pleure. Des larmes coulent sur ses joues et ses yeux sont gonflés et rougis.

Je m’élance vers elle. À sa hauteur, je pose ma main sur son épaule en signe de réconfort. J’aimerais la prendre contre moi, mais je n’en suis pas capable. Nos baisers d’hier sont trop récents et me torturent encore.

C’était si bon.

Je me maudis d’être pote avec Louis. À l’heure qu’il est, je pourrais sortir avec la femme de mes rêves et être heureux.

— Qu’est-ce qu’il y a, Jules ?

Elle essuie du revers de sa main ses larmes en détournant le regard.

Elle me fuit.

— Jordan… Il m’a largué.

Ah, merde.

Je suis le plus mauvais pour remonter le moral. D’autant plus que je n’appréciais pas ce type. Parce qu’il sortait avec elle.

— Bah ça ira mieux. T’as pas besoin de mec pour être heureuse.

Qu’on me remette le trophée du roi des idiots. On ne réconforte pas une femme ainsi. Mais les mots sont bloqués. Je suis incapable de réfléchir correctement.

— Je lui ai dit pour hier soir. Au début il voulait me pardonner… si je le suçais. J’ai refusé et il… il m’a avoué me tromper depuis des semaines.

Quel con. Un coup bas digne d’un connard. Non seulement elle a été honnête pour trois simples bisous, mais en plus, ça s’est retourné contre elle.

Je ne comprends pas Jules. Pourquoi lui avouer nos baisers ?

D’un autre côté, ce n’est pas plus mal. Elle sait enfin avec quel genre d’homme elle sortait ; un pur abruti. Pourquoi la tromper ? Jules est parfaite !

— Tu…, commencé-je avant qu’elle me coupe en se collant contre mon torse.

Son front est plaqué contre mon pectoral droit. Elle entoure ma taille de ses bras, prise de spams. Je suis mal à l’aise avec cette proximité. Je tiens bien Jules Becker contre moi ! Elle doit entendre mon cœur battre comme un fou dans ma cage thoracique.

Je referme mes bras autour d’elle et l’enlace.

Tant pis si on nous voit. Il y a peu de chance que Louis soit au courant. Ce moment est délicieux pour être coupé.

Peu après, un rire moqueur parvient à mes oreilles. Je relève la tête et découvre un gars plutôt grand. Cheveux bruns, yeux noisette et joues gonflées.

Une tête de crétin ! Le sale gosse à qui on souhaite filer des gifles pour insolence.

Les pupilles du type mâtent Jules de haut en bas. Il ne se cache pas et je bous de l’intérieur. S’il ne pose pas ses iris ailleurs, je lui refais le portrait !

Ah putain ! Désormais, il passe la langue sur ses lèvres en détaillant les fesses de la Community Manager.

Beurk. Je comprends les femmes. Ces regards pervers sont dégueulasses. Je n’en suis pas la cible, pourtant je me sens écœuré.

On s’est juste embrassé, hein, pétasse.

Woh. Il insulte qui là ?

Les muscles de ma mâchoire se crispent. Je lance un regard acéré au type qui tressaille. Oui, il peut paniquer. Ce n’est pas une crevette qui me fera peur ! J’ai combattu des gars costauds, qui se battaient pour le plaisir. En prison, j’ai dû me défendre. Passer à tabac des petites natures pour montrer ma force a longtemps été ma vie.

Jules renifle en s’écartant. Elle se détourne vers le gars qui aborde un air satisfait.

— Regarde-moi ça. T’es pathétique, Jules. Tu me trompes et tu chiales.

Sous mes yeux se trouve donc son ex, Jordan Texier. L’un des graphistes de la maison d’édition.

J’avais raison ; sa tête d’abruti lui va bien.

— Tu m’as aussi trompé, réplique-t-elle en serrant ses poings.

Au moins, elle a de l’aplomb. Elle ne se laisse pas marcher sur les pieds. J’adore ! Mais ça ne suffit pas, semblerait-il. Le petit gars est plus amusé qu’autre chose.

— Je voudrais bien te voir avec les couilles pleines et ta meuf qui n’est pas dispo quand tu veux.

Mes lèvres forment un rond d’où passe de l’air. Je soupire pour estomper la colère qui monte. Je suis à deux doigts d’enfoncer mon poing dans sa sale gueule de con.

— Connard ! T’as aussi refusé à plusieurs reprises et je n’ai jamais insisté ou remis ça sur le tapis ! C’est… c’est normal de ne pas en avoir envie toutes les cinq minutes. T’es visiblement trop con pour le comprendre !

Bim, en plein dans sa tronche.

Jordan lève une épaule, peu convaincu.

— Toutes les cinq minutes, je comprends. Mais une fois par jour n’est pas la mort, putain.

Malgré la situation, j’explose de rire. Tous les jours ? Il tient bien le rythme, ou alors mens pour le style. Parce que pour moi, impossible de coucher sept jours sur sept. En plus, je n’ai pas le temps. Si je pense à manger, c’est déjà bien !

— Oh, l’enflammé du slip, t’arrêtes t’es conneries, balancé-je en riant.

Le gars plante ses pupilles dans les miennes. Je ressens d’ici la colère qui émane de lui. Le pauvre. S’il veut des histoires, il va les trouver et le regretter.

— Je ne te parle pas à toi. Casse pas les couilles.

Mes doigts craquent. Je dépasse Jules dans un profond silence. Mes lourds pas rendent l’ambiance plus lourde. Le connard esquisse un pas en arrière, soudain conscient qu’il ne fait pas le poids.

— Trois secondes, sifflé-je entre mes dents.

Il arque un sourcil, perdu.

— T’as trois secondes pour t’excuser, avant que ton visage devienne mon punching-ball.

Derrière moi, Jules me rejoint. Elle saisit mon bras droit pour m’empêcher de commettre une — juste — erreur. Ce type manque de respect, il mérite d’être corrigé.

— Ne perds pas ton temps, Léxandre. Je veux rentrer, s’il te plaît. Ramène-moi.

Je me redresse, détendu par ses mots et sa voix. Jules a raison. Ça ne sert à rien de s’abaisser à son niveau.

— Ouais, voilà, écoute cette salope…

Il n’a pas le temps de conclure sa phrase. Le coup est parti tout seul. Je me suis libéré de Jules et mon poing s’est abattu contre sa joue. Le gars se retrouve propulsé sur le côté, le visage tourné. Il porte instinctivement sa main à sa joue, touchant la zone blessée.

Fier de moi, je me penche sur l’abruti et saisis son bras avec force. Il se fige en gémissant de douleur et de peur.

— Manque-lui de respect encore une fois et tu avaleras tes dents. J’ai pas de pitié pour les cons comme toi.

Ma main remonte jusqu’à sa gorge. Je la serre de mes doigts, alors que Jordan perd de sa superbe. Il hoche sa tête, en signe de compréhension. Je m’écarte donc et tapote sa joue en souriant.

— Bon gars. Allez, casse-toi, avant que je regrette.

Sans demander son reste, il me contourne la tête baissée. Je le suis des yeux en tournant sur moi. Jules est décontenancée. Elle nous observe l’un après l’autre. Je lui adresse un fin sourire. Elle n’a rien à craindre. Je la protégerai. Toujours.

— Oh, connard, ajouté-je. Tu t’en prends une seule fois à elle, je te bousille. T’as compris ? Jules n’existe plus à tes yeux.

Je le vois secouer sa tête de dos. Il disparaît très vite dans une voiture noire. S’il n’a pas compris, ce n’est qu’une question de temps et de coups !

Assez vite, j’attire Jules jusqu’à ma voiture qui me remercie d’une voix faible. Je démarre et la sœur de Louis se mue dans le mutisme et les larmes. Je la vois pleurer du coin des yeux et suis incapable de la calmer. Je passe les vitesses, tourne à droite puis à gauche sous les spasmes de la jeune femme. Mon cœur est serré. Je n’aime pas la tristesse.

— Il ne mérite pas tes larmes. Efface-les.

Je sais que je suis trop brut. Mon ton est froid, mais ce n’est pas ma faute. Je me contiens comme je peux. Enfoncer ma langue dans sa bouche pour la réconforter ne marchera pas. Ça ne servira qu’à calmer mes ardeurs pendant dix minutes.

Au mieux, j’aurais gagné un super souvenir. Au pire, je partagerai un doux moment qui me sera fatal.

— Je m’en suis voulue pour un baiser. Alors qu’il couchait avec son ex !

Son ex ? Ah ouais. De pire en pire.

Jules est en colère. C’est compréhensif. Je le serais à sa place.

— Pourquoi lui as-tu parlé d’hier soir ?

Je m’engage dans le parking. La voiture de Jules attend patiemment sa conductrice. Il y a d’autres caisses vides éparpillées sur l’espace adapté.

— Je n’aime pas mentir. Jamais je n’aurais pu garder ça.

Je me gare à une place d’elle et arrête le moteur de mon véhicule. C’est le moment de se dire au revoir.

— Ce n’était rien. Des erreurs liées à l’alcool. Ça ne se reproduira pas. T’étais pas obligé de nous balancer.

Mes iris fixent le mur du bar. Je suis en colère contre elle. Pour hier et sa franchise qui pourrait nous faire défaut. Si Louis l’apprend, je suis mort. C’est de loin une blague. Personne ne doit la toucher ! Pas même moi.

J’angoisse. Mes tripes sont retournées. La nausée me surprend et donne un goût amer à la bouche.

— T’es célibataire, Léxandre. Je ne l’étais pas. Un couple, c’est être honnête. ’Fin, je vois ça comme ça. Ce qui n’était pas le cas de l’autre connard !

— Imagine qu’il te balance de partout. Ta réputation sera entachée, ma belle. T’imagines même pas les répercussions.

Surtout sur moi. Louis vérifie souvent les réseaux sociaux. S’il suit l’ex de sa sœur, je suis dans la merde jusqu’au cou.

— Je n’y ai pas pensé…, soupire-t-elle en jetant un œil à sa voiture.

Je prends le temps d’observer son profil. Ma main s’approche de sa joue et j’efface les dernières larmes de mon pouce. Jules ferme ses yeux. Elle se délecte de mon toucher.

Mais toute bonne chose à une fin.

— Je dois y aller. Merci pour le trajet.

Nos yeux s’interceptent. Je plonge dans ses nuances de bleus claires et m’y perds le court d’un instant.

Je rêve qu’elle m’emporte avec elle. Que je me perde et abandonne tout pour ses beaux yeux. Je loupe sûrement une vie parfaite. Pour quoi au juste ? Une vie de baroudeur. Qu’est-ce qui m’empêche — à part Louis — de sortir avec elle ?

La réponse saute aux yeux. Mes activités illégales. Les braquages, les cambriolages et le trafic de drogues. Pour le dernier point, je n’en touche pas. Je fume, de temps à autre, et bois. Mais je ne me drogue pas.

Ça me rappelle trop mon père biologique.

Florent Moreno. Ancien médecin chirurgien de cinquante-trois ans.

Une sombre merde qui se droguait et malmenait son petit monde. Dont ma mère, Victoria et moi. Il n’avait aucune limite. Aucun regret. Pour lui, il fallait réussir. Peu importe, les moyens et s’ils étaient légaux ou non. Le plus important était de gagner.

Je regrette ce que je lui ai fait. Du moins, pas fait. J’aurais dû le tuer quand je le pouvais, avant d’aller en prison. J’aurais dû traîner son corps sur la route, accrochée à ma bagnole. Il aurait souffert, comme il nous a fait souffrir.

Si je garde des traumatismes, pour ma mère, c’est pire. Elle est marquée à vie. Non seulement psychologiquement, mais physiquement.

Mon connard de père a tout fait pour la contrôler. Il l’étouffait, l’empêchait de vivre. Quand elle a voulu se rebeller et sortir avec ses amies, le monstre s’est éveillé. La première fois qu’il l’a battu, j’avais cinq ans. Je ne m’en souviens plus. C’est flou, mais en même temps remplacé par d’autres horribles moments.

Étant médecin, il l’empêchait d’en avoir un autre. Il s’occupait donc de tout. Maladie et à ce que j’ai compris, même la gynécologie. Ce qui fut fatal à ma mère.

Florent voulait d’autres enfants. Elle non. J’ignore par quel procédé il est passé, mais il a fait en quelque sorte sa justice. Au cas où elle le quitte un jour, il s’est assuré qu’elle n’ait plus jamais d’enfant. Il a procédé à une hystérectomie avec annexectomie sans consentement. Bien sûr, pour cela, il a utilisé une drogue pour qu’elle ne lui pose aucun souci durant l’intervention ignoble.

Suite à cette mutilation et cette trahison, ma mère l’a quittée. Ce qui, bien sûr, n’a pas plus. Il pensait que la détruire l’obligerait à rester. Pour lui, le fait qu’elle ne puisse plus faire d’enfant – avec un autre – la bloquerait jusqu’à la fin à ses côtés. Mais le contraire s’est produit et quand ma mère m’a pris pour fuir, il a essayé de nous assassiner.

J’avais treize ans. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je le revois à travers le rétroviseur, le visage transformé par la haine.

J’ai eu la peur de ma vie.

Il nous a suivis avec sa voiture et nous a rentrés dedans. La voiture de ma mère a fait plusieurs tonneaux sous nos hurlements. Notre course s’est arrêtée contre un arbre.

S’il avait pu brûler la bagnole, il l’aurait fait. Au lieu de cela, il s’est barré quand il a vu que nous étions vivants.

Pour ma mère, le plus important est d’avoir survécu. Qu’on ait amputé sa main gauche à cause de l’accident – main restée accrochée à la vitre entrouverte – et retiré son utérus, ainsi que ses ovaires, ne l’arrêtent pas de vivre. Souvent, elle m’avoue préférer vivre ainsi que sous le joug de mon père. Je pourrai la comprendre. Mais cela m’est douloureux. La voir brisée par un homme sans cœur m’affecte. Elle ne méritait pas ça. Personne.

À quarante-sept ans, ma mère est agente d’accueil dans un cabinet dentaire. Après la condamnation de mon père biologique à quinze ans ferme, nous avons quitté Valence. Notre vie a changé et nous nous sommes installés à Paris.

Ce fut difficile pour elle d’apprendre à vivre libre et handicapée. Dégoter un boulot aussi. Nous nous sommes soudé les coudes. Les années sont passées et j’ai, à mon tour, merdé.

Ma rencontre au lycée avec Louis a changé ma vie.

Désormais, je continue mes conneries. La prison n’a rien changé. J’ai besoin de tunes. Si ma mère a une prothèse remboursée, elle ne lui convient cependant pas. Elle ne peut littéralement rien faire avec. Une prothèse avec une intelligence artificielle serait mieux.

Elle le mérite !

C’est pourquoi je commets toujours des crimes. J’économise pour venir en aide à ma mère. Je lui dois, après tout. Si elle ne m’avait pas eu, elle serait partie avant. Elle n’aurait pas eu d’accident. La fenêtre n’aurait pas bloqué et arraché sa main pendant les tonneaux.

Je culpabilise un peu. Je me sens coupable malgré moi. Pourtant, le seul et unique coupable est Florent qui mérite la mort.

Jules esquisse un faible sourire. Pendant de longues minutes, mes pensées ont volé vers mon passé, oubliant la présence de la jeune femme.

— Bonne soirée.

Elle s’approche de mon visage. Je me raidis quand sa bouche est proche de la mienne. Son corps s’éloigne vite. Nous sommes tous les deux gênés. Un peu plus, nous nous embrassions !

Jules pince ses lèvres. Elle se rapproche et embrasse ma joue, avant de sortir en trombe. Je la vois sortir ses clés et s’engouffrer dans sa voiture. Sans un seul regard pour moi.

C’est le meilleur à faire. Même si je voulais ses lèvres contre les miennes. Une dernière fois. Nous ne sommes plus à ça près, non ?

Si ! Putain, si !

Je reprends mes esprits et quitte le parking. Louis m’attend avec les gars. Je m’y rends au plus vite. Ma conduite est nerveuse. Je serre plusieurs fois le volant entre mes doigts en rongeant ma lèvre inférieure.

Lorsque j’arrive chez Louis, le calme m’enveloppe. Mon ami m’ouvre et m’invite à entrer. Il ne mentionne pas mon retard. Encore heureux. J’aurais dû mal à lui expliquer.

Les gars sont là.

Dimitri et Michael sont autour de la table basse, en train de lire des feuilles volantes. Ils ne lèvent pas les yeux et discutent sur une méthode pour entrer par effraction.

— On bosse sur ça, puis on se mâte un porno, annonce Louis en se penchant sur sa table. On a un souci. Dans la maison de samedi. Seuls les parents sont partis. La gamine de seize ans, non.

Merde !

Comment ferons-nous pour voler les dix mille euros dans le coffre du banquier ?

Les rouages de mon cerveau cogitent. Je réfléchis à plusieurs options possibles sans utiliser la violence. Le but est de récupérer l’argent. Pas d’agresser une adolescente.

— Comme prévu, soufflé-je. On se fait passer pour un réparateur et on attend qu’elle s’éclipse pour piquer le pognon, proposé.

Le visage de Louis remue de gauche à droite.

— Et si elle reste ?

— On la bâillonne et l’enferme dans une pièce. On la libérera une fois fini.

Cette fois-ci, il hoche une épaule en signe. À son sourire, je sais qu’il pense à une connerie.

— T’as besoin d’argent, plus que nous, dit-il. Si elle est vierge, tu la vends. T’auras de quoi payer ton truc à ta mère.

Non. Je n’aime pas ça. Je ne veux plus jamais être mêlé à ces trafics de femmes.

Au lycée, il m’a forcé à l’accompagner. Nous n’étions pas seuls. Il y avait Abraham, Michael et Dimitri. Si pour les deux derniers, ça leur a fait ni chaud ni froid, pour Abraham Weits et moi, nous étions dégoûtés.

Ils vendent des femmes. Parfois même des mineures selon le thème de la soirée. Vierge, mineure, rousse, blonde, soumise. Presque tout y passe.

Ces femmes perdent leurs vies dès qu’elles sont kidnappées. Leurs prénoms sont changés. Ce sont les acheteurs qui leur en donnent des nouveaux. C’est tout simplement écœurant. Mais ce n’est pas tout. Les clients ont carte-blanche sur les femmes.

Lorsque j’ai assisté à cette merde, mon sang n’a fait qu’un tour. Je revoyais ma mère être battue par mon père. Je l’entendais hurler, pleurer. Le pire dans tout ça est d’être incapable de les sauver. Au risque de perdre soi-même la vie.

Encore heureux que Louis ne m’ait plus jamais forcé à y assister. Je n’ai pas les tripes pour supporter ça. Ça m’a même donné des cauchemars durant de longs mois.

— Non. Je préfère trouver de l’argent autrement.

Louis arque un sourcil, l’air moqueur. Il n’aime pas ma réponse.

— Tu veux dire… légalement ?

— Si c’était possible ainsi, elle aura déjà sa main. Et euh… Je peux te parler, seul à seul.

Sans un mot, il désigne la porte à Michael et Dimitri. Ces derniers me lancent un regard perdu en se levant. Quand ils quittent le salon de Louis, la tension enivre tout mon corps. Mes muscles se tendent, ma gorge se noue. Je suis proie à une profonde angoisse.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est à propos de ta petite sœur, Jules.

Le visage du criminel se ferme. Il passe la main sans ses cheveux blond platine et soupire.

— Donc ?

— Hier soir… T’as vu ce que Micha a mis dans son verre. Pourquoi n’es-tu pas intervenu ?

— Tu l’as fait, non ? Jules veut sa liberté. Elle l’a. Elle est grande, elle se démerde.

Qu’est-ce qui a pu changer entre eux ? Des mois auparavant, Louis l’aurait protégé. Mieux encore, il aurait donné une bonne leçon à Michael.

— Ouais, mais… Je ne sais pas. Tu ne veux pas qu’on la touche et tu laisses l’autre con la droguer. Tu sais bien qu’il l’aurait agressé…

Mon ami acquiesce en silence, troublé par mes mots.

— Avant-hier, Jules est passée. Elle m’a parlé de son boulot, du fait qu’elle aimerait écrire un bouquin… mais qu’elle a peur des retours de l’éditeur pour qui elle bosse.

Il marque une courte pause pour chercher ses mots. Pendant ce temps, je le fixe. Ses sourcils se froncent à plusieurs reprises et il lâche un juron.

— Devine quoi ? Son patron, c’est Abraham Weits.

Ma mâchoire se décroche sous cette surprenante nouvelle. Notre ancien camarade emploie Jules depuis plus d’un an. Comment Louis l’a-t-il appris qu’aujourd’hui ? C’est à se demander s’ils parlent vraiment.

— Putain. Il sait que t’es son frère ?

— J’en sais rien ! Mais on ne peut pas prendre le risque qu’il lui parle des ventes et des cambriolages. Elle doit rester en dehors de ça.

Je suis d’accord. Jules ne doit pas apprendre nos crimes.

— Elle doit démissionner, conclus-je en sentant vibrer mon téléphone.

Je le sors alors que mon ami approuve mes mots. Mais nous savons tous deux que sa sœur est têtue. Jamais elle ne quittera le job qu’elle aime.

Mon écran affiche le mot Maman. Je m’excuse et quitte sa maison. Dehors, adossé à son mur et le téléphone vissé à l’oreille, je réponds content.

J’envoie tous les jours des messages à ma mère. Pourtant, nous nous appelons une fois par semaine. Elle n’habite pas loin de chez moi. À dix minutes en voiture. Je passe la voir deux à trois fois par mois. Je n’ai pas le temps. Entre les préparations, les trafics et se terrer chez moi, je suis très vite débordé.

Je ne souhaiterais pas mener un connard à ma mère. Je sais qu’on me fait suivre. Le problème est que je ne sais pas qui. Tout à l’heure, pour rejoindre Jules, j’ai réussi à semer une voiture grise. Une voiture qui traîne très souvent autour de moi. Tous les jours, à vrai dire.

— Tu viens me voir samedi ?

— Pardon ?

Ma mère soupire.

— Samedi, tu passes ?

Mon regard se perd sur la route. Mes sourcils se froncent sous la vision que j’ai.

La voiture grise !

Elle est garée sur le trottoir d’en face, pile dans la ligne de mire du portail de Louis.

— Euh… Non, je suis désolé, Maman. Je serai occupé.

Mes pas me portent hors de la propriété de mon pote. Mes yeux se plissent. Dommage que la micro-vision de Clark Kent n’existe pas ! Impossible d’identifier le conducteur de là où je suis. Son visage m’apparaît flou.

Au bout du combiné, ma mère me rassure. Elle me demande si une femme est derrière ses non-visites. Si je mens, elle me suppliera de la rencontrer. Si je dis non, elle insistera pour connaître la raison. J’opte pour la vérité.

— Non, aucune femme. Elles ont bien trop peur de moi !

Ma vanne fait un bide monumental.

— Tu trouveras la bonne, Lex. Elle n’aura pas peur de tes trois ans de prison.

— Ouais, si tu le dis. Je te laisse. Je t’aime, Maman.

— Je le dis ! Je t’aime aussi, mon bébé.

Elle m’infantilise encore !

Je roule des yeux à mon surnom. J’aime ma mère. Elle ne m’a jamais repoussé. Même après mon passage en prison.

En même temps, je lui ai dit la vérité. Que j’avais, à l’aide d’amis, cambriolé un musée. Que l’argent était placé et que j’attendais qu’elle forme une somme importante pour lui faire un cadeau.

De toute façon, elle l’aurait su tôt ou tard. Je tenais à lui annoncer et lui donner la raison.

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