IV
A son retour, le fumet délicat des pommes de terre sautées embaume la cuisine en formica. Il rentre d’un pas énervé, puis ralentit, en distinguant les courbes féminines derrière le tablier. Ragaillardi par cette délicate attention, il dépose un baiser dans le cou de la cuisinière. Celle-ci sursaute et se retourne le regard sévère :
― Christian ... Et en plus tu as oublié le poulet !
― Ah oui, zut. J'y retourne si tu veux.
― Non, tant pis, trop tard, je sortirai du confit congelé. Mais par pitié, bon sang, prends tes cachets pour Alzheimer. Je serai plus rassurée.
Il regarde la pilule blanche sur la table. A côté, un papier griffonné : Christian Trémège, sculpteur, veuf, deux enfants. En cas de problème appelez la gendarmerie, ils sont au courant.
Il y a des maladies qu'on voudrait oublier. Alors il prend la gélule et l'enfouit dans sa poche.
― Au fait, la quincaillerie a été cambriolée cette nuit.
La femme, absorbée par sa recette de famille ne relève pas. Il poursuit :
― Eh dis on mange quoi ce midi ? Du févoulet (*)?
Sa sœur se retourne, le regarde avec un sourire en coin. Le chiffon fouette sèchement la cuisse du vieil homme. Et il ose en plaisanter le bougre, se rassure-t-elle, à demi-convaincue.
(*) : ancêtre du cassoulet, ragoût de fèves fraîches
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