Enfin la paix!

4 minutes de lecture

Eric avait été licencié pour indiscipline. Il passait désormais ses soirées à consulter les offres d’emploi sur tous les supports existants sous peine de finir au placard. Le placard, c’était le surnom de cet immense bâtiment en construction qui allait accueillir sous peu les improductifs. Quatre- vingt-deux pour cent des citoyens avaient approuvé l’idée d’endormir les chômeurs. C’était du moins les chiffres avancés par +2com. Une fois les résultats du sondage publiés, le gouvernement n’avait pas perdu de temps. Dans la foulée de ce réferendum informel, la loi avait été votée.

C’était une épée de Damoclès qui menaçait de s’abattre sur Eric s’il restait au chômage trop longtemps. Or, il craignait que la succession de contrats courts dont son CV était garni ne nuise à sa crédibilité. Les recruteurs se doutaient bien ce qu’un tel profil trahissait : une personnalité inadaptée au monde du travail, dont les employeurs se débarrassaient les uns après les autres. Et ils avaient raison.

Depuis lors, il vivait dans un état de stress permanent, à tel point qu’il en avait perdu le sommeil. Tout son corps résistait, comme si un mécanisme de survie s’était mis en route dans sa tête à l’idée d’être endormi de force. Dans un état second, Eric se rendait pourtant toujours au travail, attendant que son contrat pour +2com arrive a échéance. Il était fatigué du matin au soir et s’assoupissait devant son ordinateur. Finalement, le sort réservé aux chômeurs n’était peut-être pas si terrible que ça, finissait-il par se dire. Dormir pour l’éternité, quoi de plus reposant?

Un sifflement exaspérant le tira du sommeil. Il fit une grimace de douleur avant d’ouvrir les yeux. Une lettre se dupliquait à l’infini sur l’écran du clavier. hhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh

Il se redressa et le sifflement de l’ordinateur cessa. Il se sentait tout endolori. Sa tête, qui avait reposé sur le clavier un temps indéterminé, lui faisait mal. La première chose qui attira alors son attention fut le mur où était encore accroché le poster qu’il avait lacéré quelques jours auparavant. Eric arracha les lambeaux de papier et regarda les trous laissés par les coups de stylo. Des faisceaux de lumière intense traversaient les petits cratères. Le plateau sondages, réalisa-t-il soudain, se trouvait juste derrière la partie centrale de l’horloge. Ce mur protégeait donc son mécanisme.

Eric sentit un malaise indéfinissable le parcourir. Il s’approcha et regarda à travers les trous. Roues crantées, ressorts, axes métalliques s’enchevêtraient en un chaos indescriptible. Il n’y connaissait rien en horlogerie, mais il était évident que le mécanisme qu’il avait sous les yeux avait été endommagé. A un point tel qu’il ne tournait plus. Eric se sentit rougir. Merde alors! J’ai bousillé l’horloge de la ville!

Terriblement embarrassé, il retourna discrètement à son bureau pour reprendre son travail, espérant qu’il n’allait pas se faire disputer une nouvelle fois par un supérieur. C’est à ce moment-là qu’il remarqua le silence autour de lui.

Pas un bruit de clavier, pas une voix d’enquêteur parlant au téléphone. Il balaya la salle du regard et vit que ses collègues étaient pourtant à leur poste, mais ils étaient parfaitement immobiles, comme si quelque plaisantin les avait bloqués avec un paralyx. Il s’approcha de l’un d’eux et vit que son visage était figé comme un masque de cire. Il en était de même de tous les enquêteurs présents dans la salle.

Eric, saisi d’un vertige, traversa en trombe les locaux de +2com. De mademoiselle Dewilt au directeur, personne n’avait échappé à l’étrange phénomène paralysant. Aux étages inférieurs de la tour, c’était le même spectacle qui l’attendait. Les gens étaient tous figés dans un mouvement que la fixité rendait absurde. L’ascenseur n’étant pas opérationnel, Eric dut descendre à pieds jusqu’au rez-de-chaussée.

Dehors, la ville toute entière, ses piétons, son trafic étaient en pause. Il jeta un oeil à l’horloge en haut de la tour, dont les aiguilles étaient arrêtées, et s’assit près d’une fontaine dont les gerbes d’eau s’étaient cristallisées.

Eric saisit une perle d'eau entre ses doigts et la fit rouler dans la paume de sa main. Puis il ferma les yeux pour mieux apprécier le silence surnaturel qui avait enrobé la ville. Une angoisse l’avait saisi au moment où il avait découvert ses collègues pétrifiés, mais ça n’avait rien à voir avec la peur de l’inconnu ou de l’irrationnel. Il s’était simplement senti coupable.

Pourtant sa peur venait de se dissiper. Maintenant qu’il découvrait que tous les citadins avaient subi le même sort, plus personne ne pourrait l’accuser d’avoir stoppé le cours du temps. Même si c’était effectivement ce qu’il avait fait... Il resta assis sur la fontaine de longues minutes, à ne penser à rien. Comme c’était reposant de pouvoir se soustraire à l’effervescence fatigante du monde, et de faire le vide, enfin!

Au bout d’un long moment, pourtant, un bruit tout d’abord à peine perceptible attira son attention, un bruit régulier, comme le tic-tac d’une horloge. Il souleva la manche droite de son pull-over et regarda la montre à son poignet. Elle était évidemment arrêtée. Mais alors d’où provenait ce bruit? Il traversa la ville endormie à la recherche d’une explication.

Où qu’il aille, le bruit le poursuivait. Même en se bouchant les oreilles, il l’entendait...

Au niveau -4 du placard, le vigile qui surveillait les chômeurs endormis leva les yeux vers la pendule au tic tac si agaçant. 22H12. Il lui faudrait encore attendre quatre heures avant d’être relevé et il était déjà si fatigué! Il regarda distraitement le nom de l’occupant du lit juste en dessous de l’horloge: Eric Grey. On pouvait lire une tension sur son visage. Et pourtant, se disait-il. J’aimerais tellement être à sa place!

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Cosmic Ced ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0