Chapitre 14

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Il y a un moment où on doit se dire qu'il est trop tard. Il faut se rendre à l'évidence qu'il n'y a pas d'issue. Mais le cœur refuse d'abandonner.
— Le Secret de Brokeback Mountain

Adossé à sa Honda Civic Sport, Mathéo observait la maison d’Aella, son cœur battant à un rythme irrégulier. Ce soir marquerait un tournant, il le savait. Pas seulement pour l’équipe de foot, mais pour son amitié avec Aella, celle qui, depuis des années, représentait bien plus que ce qu’il avait jamais osé admettre. Ses doigts passaient nerveusement dans ses cheveux, un geste qu’il faisait chaque fois que l’angoisse le gagnait.

Quand Aella apparut enfin sur le perron, sa respiration se coupa. Vêtue d’une tenue simple mais élégante, elle semblait illuminer la nuit. Son sourire innocent suffisait à balayer ses propres doutes. À ses côtés, son père, Maxime Bailey, l'observait avec une affection teintée d'inquiétude, veillant sur elle comme un gardien silencieux.

Maxime s’avança, croisant les bras, fixant Mathéo avec un mélange de sérieux et d’amusement. Son expression détendue dissimulait à peine son souci.

— Fais attention à elle, d’accord ? dit-il, la voix grave mais empreinte de chaleur. _Je te fais confiance, gamin. Ne me déçois pas._

Mathéo acquiesça, sentant un poids rassurant se déposer dans sa poitrine. Il avait travaillé pour gagner cette confiance, et maintenant qu'il l'avait, il était hors de question de la trahir.

— Promis, coach. Je la ramène saine et sauve, répondit-il avec un sourire crispé, posant instinctivement une main protectrice sur l'épaule d'Aella.

Aella lança un dernier regard à son père avant de l’embrasser sur la joue. Un frisson d'impatience la traversait ; elle avait envie de s’échapper, de profiter de cette soirée loin de la vigilance maternelle et de la routine suffocante. Savannah avait promis une fête inoubliable, et Aella comptait bien s'en souvenir.

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Le trajet se déroulait sous un flot de souvenirs partagés. Entre eux, la conversation était facile, ponctuée de rires éclatants. Ils se connaissaient depuis la classe de quatrième, et ces années avaient tissé un lien indestructible. Elle, la petite tornade qui n’avait pas hésité à le défendre contre des élèves plus âgés, lui, le garçon timide, maladroit, qui avait grandi dans son ombre. Savannah, avec ses lunettes trop grandes et son appareil dentaire, était la complice parfaite.

— Et puis je leur ai dit que je connaissais quelqu'un qui savait filmer, tu te souviens ? lança Aella, riant à cette anecdote. Ils n’ont plus jamais osé t’embêter après ça.

— Tu m’as sauvé la mise ce jour-là, murmura Mathéo, ses yeux glissant un instant sur elle. Grâce à toi, j’ai même découvert que je savais jouer au foot. Si tu n’avais pas été là...

Il laissa sa phrase en suspens, sentant monter une vague de gratitude qu'il n’avait jamais su exprimer. Elle avait changé sa vie. Plus que le football, plus que tout, elle était devenue son pilier. Et même s’il n’avait pas toujours été à la hauteur pour elle — ce souvenir douloureux d'une nuit où il l’avait abandonnée à sa détresse le hantait encore — ce soir, il ferait les choses différemment. Ce soir, il se rattraperait.

Mais quelque chose dans l’air trahissait une tension. Aella semblait perdue dans ses pensées, son sourire n’était pas aussi éclatant que d’habitude, et Mathéo le sentait. Après des années passées à ses côtés, il pouvait déceler chaque nuance dans ses silences.

— Ça va ? Tu as l’air... préoccupée, finit-il par demander, les sourcils légèrement froncés.

Aella tourna la tête vers lui, esquissant un sourire rapide, presque forcé.

— Oui, tout va bien. C’est juste... je pense à l’université, à ma mère... toutes ces choses que je dois gérer. Rien de grave.

Mathéo resta silencieux un moment, ses mains se crispant sur le volant. Il connaissait cette façade. Aella n’était pas du genre à s’épancher facilement, à admettre qu’elle portait trop de poids sur ses épaules. Il fallait la pousser doucement.

— Tu sais que tu n’as pas à tout affronter seule, non ? Je suis là. Savannah aussi. On est tous là pour toi.

Elle tourna la tête vers lui, son regard adoucit par une lueur de reconnaissance. Mais elle haussa les épaules, comme pour minimiser l’impact de ses propres pensées.

— Je sais. C’est juste que parfois... j’ai l’impression que si je lâche prise, tout va s’écrouler.

Un silence s’installa, lourd, mais nécessaire. Mathéo laissa ces mots flotter entre eux, respectant le besoin de sa meilleure amie de garder certaines choses pour elle, même s’il aurait voulu tout entendre, tout porter pour elle.

— Parle-moi, Aella, murmura-t-il. Tu sais que tu peux me dire ce que tu veux.

Elle hésita, mordillant légèrement sa lèvre inférieure. Elle avait envie de tout lui confier, mais quelque chose la retenait encore.

— J’ai une amie... commença-t-elle finalement, sa voix trahissant une légère nervosité.

Mathéo fronça les sourcils, son regard sceptique. _Elle ne va quand même pas me sortir l’histoire de l’amie imaginaire, si ?_

— Savannah ? risqua-t-il.

— Non, voyons ! s’écria-t-elle.

— Mais c’est ta seule amie ! répondit-il, moqueur.

Elle rougit légèrement, un peu vexée. Mais elle ne pouvait pas lui donner totalement tort. Savannah et Mathéo étaient les seuls qui comptaient vraiment.

— Je te signale que j’ai une vie en dehors de toi et Savannah, répliqua-t-elle avec une pointe de fierté.

— Ah oui, c’est vrai. Mademoiselle l’assistante du maire adjoint et stagiaire de PDG, lança-t-il avec une fausse révérence.

— Oui, tu ferais bien de te le rappeler !

— Encore que ce PDG est le père de Savannah... donc ça ne compte pas.

Elle lui donna un léger coup sur l’épaule, secouant la tête.

— Un jour, tu vas apprendre à me respecter ?

— Avec ta taille, j’en doute ! ironisa-t-il, un sourire taquin sur les lèvres.

Ils éclatèrent de rire, un de ces rires complices qui leur avait valu le titre officieux de _couple de l'année_ trois années d’affilée au lycée. Bien qu’ils n’aient jamais été ensemble, aucun des deux ne s’était opposé aux boîtes de chocolat suisse offertes pour l’occasion.

Le sérieux revint lentement sur les traits d'Aella, son regard se faisant plus intense.

— Tu es le meilleur, Mathéo Ovono Malens.

Il sentit son cœur se serrer. Il avait attendu ce genre de moment depuis si longtemps, mais au lieu de s’y abandonner, une gêne l’envahit.

— Toi aussi, Aella Marie Bailey, souffla-t-il, tentant de camoufler sa nervosité derrière une boutade. Même si tu es la plus folle et la plus exaspérante des amies... tu serais la petite amie idéale.

Le silence qui suivit était lourd de sens. Mathéo regrettait presque immédiatement d’avoir laissé échapper ces mots. Mais Aella le regarda, son sourire teinté de tristesse.

— Dommage que ça ne se terminerait pas bien, murmura-t-elle, ses yeux s’assombrissant.

Un voile de mélancolie s’installa entre eux, mais avant que la tension ne s'installe définitivement, Mathéo prit une grande inspiration, décidé à alléger l'atmosphère.

— Ce soir, on va s’amuser, lança-t-il avec un sourire réconfortant. Oublions nos soucis pour quelques heures, d’accord ? Toi, moi, et cette fête.

Aella hocha la tête, un sourire timide aux lèvres, bien que ses yeux trahissent encore une tempête intérieure qu'elle ne parvenait pas à calmer.

Le reste du trajet se déroula dans une ambiance plus légère, les rires reprenant le dessus alors qu'ils évoquaient des souvenirs d'université et de lycée. À chaque éclat de rire d'Aella, Mathéo sentait son cœur se réchauffer. Il voulait la voir heureuse, ne serait-ce que pour cette nuit. Était ce trop demander ?

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