Lucciana

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Si ma mémoire est bonne, c'est en juillet 1992 que je l'ai rencontrée. Elle avait été installée dans ma chambre car c'était la plus proche de celle de ses parents. J'avais dû aller dans une autre pièce, pour ne pas la déranger. Elle devait avoir seulement quelques mois, toute mignonne dans son berceau. Ses cheveux, déjà couleur de feu, entouraient sa tête dans une auréole de lumière. Elle n'a pas séjourné longtemps, ses parents étant seulement venus profiter quelques jours de la mer. Moins d'une semaine après son arrivée, elle était déjà repartie et je pu réintégrer ma chambre initiale.

La deuxième fois que je l'ai vue, ce fût deux ans plus tard, en 1994. Elle avait bien grandi et ses grands yeux verts semblaient observer le monde avec beaucoup de curiosité. Ma mère décida que ce n'était pas la peine que je déménage et que je pouvais très bien cohabiter quelques jours avec la petite fille. Cette dernière passa le plus clair de son temps à m'observer. Elle ne s'approcha pas à moins d'un mètre de moi, mais ses beaux yeux couleur prairie ne me quittaient plus. Elle était très silencieuse et ne produisait pas un son. J'appris par ses parents qu'elle s'appelait Luciana. Ce fût bientôt l'heure des au revoir et je fus de nouveau seul.

Elle revint l'été suivant et séjourna à nouveau dans ma chambre. Cette fois ci, elle parla un peu, autant que le peut une enfant de trois ans. J'appris donc qu'elle adorait la mer et surtout les coquillages. Elle me montra tout ceux qu'elle avait ramassé durant le séjour. Elle parla un peu, mais elle laissa aussi des grands moments de silence, juste pour m'observer. Bien vite, trop vite, ce fut l'heure pour elle de repartir. La maison était moins intéressante, moins lumineuse sans elle. Je me mis donc à attendre son retour avec impatience, seul dans ma petite chambre.

Elle avait quatre ans quand elle débarqua à la maison pour la quatrième fois. Sans grande surprise, et pour mon plus grand plaisir, elle logea dans ma chambre. Elle me raconta sa rentrée à l'école, en septembre dernier et son année scolaire. Elle fondit en larmes en m'apprenant que son chien Mika était mort. Mais son séjour ne dura que quelques jours seulement et bientôt sa petite bouille rousse nous quitta, ma mère et moi.

À partir de là, Luciana revint chaque été. Et chaque été, elle passait de longs moments à me parler, à me regarder. Et chaque été, je l'écoutais sans dire un mot. Au fil du temps, je la vis fière d'avoir réussi à déchiffrer les mots. Je l'écoutais me dicter la règle de cailloux, genoux et hiboux, toute contente d'avoir réussi à la retenir. Elle me dit un jour qu'elle voulait devenir médecin, puis l'année suivante son rêve fût de faire carrière en tantque chanteuse. Rêve qui se transforma en l'idée d'être écrivaine. Elle me conta sa passion pour la lecture, puis pour l'écriture. Elle me parla des hiéroglyphes, cette langue perdue qui la fascinait.

J'adorais tous les moments passés avec elle et je ne vivais plus que pour cela, dans l'attente de l'été suivant. Petit à petit, je la vis grandir, ses cheveux roux poussèrent, ses formes se développèrent. Elle devint, selon moi, une adolescente magnifique. Elle que j'avais connu bébé allait faire sa rentrée au lycée. Rentrée qui se passa fort bien, si j'en crois son récit l'été suivant.

Luciana y avait rencontré un jeune homme, Vincent, qui était dans la même classe qu'elle. Elle le trouvait drôle, intelligent, instruit et surtout très beau. En bref, elle avait eu le coup de foudre. Coup de foudre réciproque car durant les trois semaines où elle séjourna chez nous, elle passa au moins une vingtaine d'heures au téléphone avec le jeune homme. Ma créatrice râla, pour la forme, de ne plus pouvoir utiliser son portable.

Quelques étés suivants, elle vint accompagnée de Vincent. Elle ne me parla pas beaucoup cette année là, mais elle me parut tellement heureuse que je ne lui en voulus guère.

Elle passa le mois de juillet de ses vingt ans à préparer sa fête. Le jour J, tout de blanc vêtue, Luciana me regarda et je n'ai eu besoin d'aucun mot pour lui donner ma bénédiction. Elle me confia le lendemain que c'était le plus beau jour de sa vie, du moins pour l'instant.

Vincent ne revint plus à la maison. Il avait compris que c'était le refuge de Luciana et que, même s'il était le bienvenu, sa femme aimait passer quelques jours seule chez sa grand-mère. Elle continua à me parler, à me confier ses secrets. Elle savait que je ne dirais jamais rien à personne.

Quatre étés plus tard, je fus ainsi le premier au courant de l'heureuse nouvelle : dans huit mois se déroulerait le second plus beau jour de sa vie. Dans huit mois, elle allait donner la vie. Dans huit mois, Luciana serait mère.

Ma mère fût la deuxième au courant et fondit en larmes. Elle allait être arrière-grand-mère ! Malheureusement, elle n'eut pas le temps voir son arrière-petit-fils, car elle décéda en novembre de cette même année. Ce fût la première fois que je vis Luciana à une autre saison que l'été. À peine était-elle arrivée qu'elle se précipitait dans ma chambre. Elle me prit dans ses bras et m'assura qu'elle m'emmenait chez elle.

Et c'est ce qu'elle fit.

Je me suis ainsi retrouvé dans une nouvelle chambre, que je devinais pour l'enfant à venir. Vincent nous rejoignit dans la pièce. Il me regarda et la douce voix de Luciana s'éleva dans les airs.

« C'est l'esquisse de renard dont je t'avais parlé. Tu sais, c'est ma grand-mère qui l'a peinte et mon arrière-grand-père qui a fabriqué le cadre. J'aimerais l'accrocher ici, pour qu'il veille sur notre enfant, comme il a veillé sur moi. »

FIN

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