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Autre chose encore pressait la détermination de l’ancêtre à ne pas s’attarder sur sa besogne au-delà du strict nécessaire.

Ces fonds croupissants – où le crapaud tendait les pièges de ses repas en gobant les libellules, les moustiques, les moucherons et les autres créatures volatiles communes aux marais en plein vol – ensevelissaient, disait-on par la rumeur et le ragot colportés, les cadavres des gens du pays qui disparaissaient et ne réapparaissaient jamais plus. Et pas seulement ceux qui voulaient franchir pour continuer par la forêt d’Elvira…

*

Elle avait ralenti ses pieds presque complètement en pénétrant l’ombre dense de l’antique gardien dont les feuilles frissonnaient, et s’immobilisa à quelques enjambées des premières racines effleurantes. Toute habitée du respect et de l’amour des aïeux, elle lâcha le bâton à ses souliers, porta ses mains jointes sur le centre de la poitrine, ferma les yeux et ses lèvres entrouvertes se mirent à psalmodier d’une voix faible une prière, qu’elle répéta trois fois ainsi qu’il se doit, dans une langue connue seulement des comme elle et des initiés...

Elle approcha encore, jusqu’au creux des souches les plus proéminentes qui formaient un berceau en se rejoignant tels deux bras maternels, s’agenouilla lentement devant, courbée, les paumes ouvertes sous son protégé qui remuait, pour le soutenir...

Là, elle dénoua délicatement les tissus de portage qui le maintenaient contre elle, jusqu’à ce que le cocon enveloppant se libère de l’étreinte des corps, venant doucement reposer sur la mousse qui couvrait la terre. Elle retira le collier qui pendait à son cou et l’enfila autour du sien – « ceci c’est pour toi », dit-elle en lui souriant. Pour l’instant le croc de louve qui en était l’unique pendentif lui tombait très en dessous du niveau des pieds, quand il serait adulte c’est au coeur qu’il devrait se poser...

Le nourrisson, – toujours emmailloté dans sa gangue d’étoffes, sa carapace, sa chrysalide peut-être, à l’exception du visage –, admirait de ses ronds iris de cendre dilatés l’océan des étoiles qui clignotaient où qu’il regardât, absorbé par le spectacle, infiniment calme, retenant l’envie de sourire dans la crispation cachée de ses poings serrés sous les toiles, les cuirs et les lainages.

Elvira profita de l’instant contemplatif pour rassembler, dans un large brassement de bras, autant de feuilles mortes que possibles et compléta le confort de l’enfant qui allait devoir attendre là, seul au monde, l’arrivée des cavaliers. Oui elle était inquiète : qu’il s’agite et se mette en danger, que les chasseurs ne le voient pas, que des rapaces affamés lui rôdent autour, que… « stop ! », se hurla-t-elle pour arrêter net l’emballement mental. Elle prit une grande respiration, s’assit complètement, inspira à nouveau et la sérénité reprit place…

Puis, sur l’écran noir de son regard fermé en quête de solution, très vite une idée salvatrice jaillit et s’imposa comme une évidence : il suffisait d’utiliser les linges dés lors inutiles, les relier, les nouer solidement aux chevilles jointes du nourrisson, creuser un passage sous l’une des racines proches et y attacher le captif provisoire ! Naturellement pour sa sauvegarde.

Elle n’aimait pas beaucoup cette option mais cela eut le don de la rassurer, sans pour autant inquiéter encore l’enfant qui badait toujours le ballet céleste et par chance. Il semblait que sa litanie de tantôt – adressée aux Esprits des arbres, le faune, les dryades et les lutins – agissait sur lui, le débranchait des contingences et des contraintes du corps et cela était heureux.

Il n’y en avait plus pour longtemps quoi qu’il en soit.

Levant les yeux vers l’orient, elle vit que la lueur attendue commençait à poindre timidement, un long jet de lumière étiré de son fil sur l’horizon.

A suivre...