6. "L'apparence n'est rien, c'est au fond du cœur qu'est la plaie" - Euripide.

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William - 10 mois plus tard.

J'ai terminé mon stage au centre de désintoxication il y a quelques mois, mais ils ont accepté de me prendre pour les deux mois d'été afin de soulager un peu l'emploi du temps du psychologue référent. Je vais donc avoir trois patients à ma charge, et la première que je vais rencontrer aujourd'hui est une nouvelle arrivé : elle a 18 ans et se nomme Emma. Lorsqu'elle entre dans le bureau, elle n'a pas la même allure que les autres. Son regard est vide, ses bras sont ballants, son corps entier semble vider d'énergie, meurtri. D'habitude les patients que nous rencontrons ont un minimum de vitalité en eux, mais cette fille ressemble à un robot : elle entre de façon mécanique, son regard posé sur moi. Mais je sens bien qu'elle ne me voit pas vraiment.

- Asseyez-vous, je vous prie, dis-je doucement pour ne pas la brusquer, voulant la mettre à l'aise.

Elle exécute l'ordre et s'assoit, sans un mot. Je n'arrive pas à la cerner, je ne parviens pas à savoir ce qu'elle ressent. Son visage ne dépeint aucune émotion, son corps n'exprime rien. Je ne sais même pas si j'arriverai à la faire parler.

- Pourquoi êtes-vous ici ?

Je vois son regard changé. Ma question était intentionnellement bête pour essayer de lui tirer une expression. Et cela a fonctionné puisque ses yeux ont eu l'air de me reprocher cette fausse question.

- Bien. Depuis combien de temps preniez-vous de la drogue avant d'arriver ici ?

Elle continue de me fixer de son regard inquisiteur, mais refuse toujours de parler. Peut-être a-t-elle perdu la parole ?

- Souhaiteriez-vous une feuille et un stylo ?
- Non, répond-elle sèchement, agacée par mon interrogatoire.

Bien, elle parle. Mais pas sur les sujets qui la concerne personnellement. Cela s'annonce compliqué...
Depuis le début son corps est tendu : elle ne croise pas les jambes, ses mains sont posées à plat sur ses cuisses et son dos est resté parfaitement droit, la tête haute. Cette posture montre qu'elle n'est pas à l'aise. Evidemment, personne ne l'est quand il s'agit de se confier à un étranger.
Peut-être faudrait-il que je lui parle du lieu dans lequel elle va résider quelques mois avant d'attaquer sur ce qui m'importe réellement, c'est-à-dire elle-même.

- Avez-vous pris connaissance des lieux et du règlement ?
- Oui, dit-elle simplement.

Elle n'était clairement pas prête à discuter. Je décidai alors de mettre fin à notre entrevue et lui donnai l'autorisation de retourner dans sa chambre. Elle ne se fit pas prier et sorti en vitesse de la pièce. Son corps semblait avoir retrouver toute sa vivacité.
Je sentais que cette patiente allait me donner du fil à retordre. Il fallait que je trouve une façon de savoir comment elle était arrivée ici, car visiblement ce n'était pas de son plein gré.

Je décidai de faire appel à Amélie, une ancienne patiente âgée à présent de 19 ans et avec qui j'avais gardé contact. Nos rendez-vous privés l'avaient beaucoup aidé et avaient accéléré sa sortie. Elle avait ainsi pu reprendre ses études et me contactait lorsqu'elle sentait qu'elle pouvait replonger. J'étais devenu en quelques sortes un parrain, comme chez les alcooliques anonymes.
Etant donné leurs âges assez proches, j'ai pensé qu'Amélie pourrait mener son enquête. J'organisai donc une sorte d'entretien informel pour le lendemain qui serait obligatoire pour tous les patients du centre. Je demandai l'accord du psychologue référent, qui approuva rapidement mon idée, sans prendre réellement le temps de l'écouter.

[...]

" Je m'appelle Amélie, j'ai 19 ans et j'ai été à votre place l'année dernière. J'étais là depuis deux ans lorsque j'ai enfin pu partir. Et mon départ a été facilité dès lors que j'ai accepté de me confier au psychologue."

Elle me regarda comme pour attendre mon approbation sur ce qu'elle venait de dire. Tout n'était pas tout à fait juste. Ce qui l'avait aidé était de se confier à moi avant d'aller voir le psy. Mais à présent, j'avais le rôle du psychologue, derrière son grand bureau, qui ne veut que vous soutirer de l'argent. C'était pour cela qu'Emma ne se confiait pas à moi. Mais était-ce la pièce ou l'entité que je représentais qui la bloquait ainsi ?

A la fin de l'intervention, je demandai à Amélie d'aller parler avec Emma, qui se dirigeait déjà vers sa chambre.

- Excuse moi, comment t'appelles-tu ?

Amélie était très douée pour cacher la vérité, comme la fois où elle m'avait avouer avoir repris de la drogue au sein même de ce centre. Elle m'avait expliqué ne pas pouvoir me dire qui lui avait donné, car - et je l'avais su que bien plus tard - elle s'était échappée de l'établissement une nuit mais était revenue afin que ses parents ne s'inquiètent pas lorsque le centre appellerait pour signaler son absence.

Elle connaissait très bien le prénom d'Emma, je lui en avais parlé. Mais bien entendu, si Emma avait su que j'avais évoqué son sujet avec Amélie, qui était une personne hors du corps médical de l'établissement, elle aurait pu se retourner contre moi pour faute professionnelle et tout cela aurait compromis l'atteinte de mon objectif, à savoir la faire parler. Cela pourrait passer pour de l'acharnement sur cette pauvre fille, mais elle m'intriguait. Quelque chose en elle m'attirait plus que chez n'importe qui d'autre. Le vide dans ses yeux... Elle avait seulement 18 ans et ses yeux devraient pétiller en toutes circonstances. Elle me rappelait ma sœur...

Je restais au loin, je les voyais discuter, cela semblait bien se dérouler. Amélie devait avoir certainement plus de chance que moi. C'était une fille, qui plus est, de son âge, qui avait traversé ce qu'elle vit actuellement. Emma avait dû se sentir en confiance rapidement, car cette personne était en capacité de la comprendre.
Lorsqu'elles se quittèrent, ma jeune enquêtrice revint vers moi.

- Alors, de quoi avez-vous parlé, questionnai-je curieux, une pointe de jalousie dans la voix.
- Je ne lui ai rien demandé, c'est ton job. Je lui ai simplement conseillé de te faire confiance, que tu étais là pour son bien et que tu ne souhaitais que l'aider.

Cela m'arracha un sourire. Elle avait entièrement raison à mon sujet.
Je la pris dans les bras pour la remercier avant de la laisser partir. Peut-être aurais-je plus de chance avec Emma à présent...

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