1.
Main dans la main, nous faisions face à la forêt, décidés.
Au fond de moi, l’état d’Ashara me préoccupait profondément. Je voyais bien que depuis quelques temps, la jeune elfe n’était plus la même. Bien sûr, nous étions elle et moi à un âge où nos corps et notre façon de penser ne cessaient d’évoluer mais, en ce qui la concernait, il était évident qu’il s’agissait aussi de tout autre chose. Outre sa peau d’albâtre et ses formes naissantes qui captivaient parfois mon regard, je ne pouvais oublier les incidents récents la concernant.
Tout avait commencé il y a de ça quelques semaines, une après-midi où nous nous trouvions assis, près de la rivière. C’est à ce moment-là que, de façon tout à fait foudroyante, elle fit sa première crise.
Le regard vide, les mains crispées sur le sol, elle s’est mise à trembler de tous ses membres et, sous l’effet de la douleur, a même fini par perdre connaissance. A son réveil, elle m’a supplié de ne pas en parler aux adultes, qu’elle ferait en sorte que cela n’arrive plus. Elle m’en parlait comme si elle en était responsable. Ca me terrifiait. Mais les crises ont reprit, plus fortes à chaque fois. Le risque que d’autres habitants du village l’apprennent devenait chaque jour un peu plus grand.
Après lui avoir posé de multiples questions sur ce qui s’était passé, elle m’a finalement parlé des visions qui lui étaient apparues durant ses crises.
Ashara décrivait un mal dans la forêt, une sombre présence qui rongeait les entrailles de la terre. D’après ce qu’elle ressentait, l’assèchement du ruisseau et les maladies qui gangrenaient nos cultures n’étaient pas des phénomènes étrangers à son apparition. Cette ombre grandissante l’obsédait et l’elfe avait cette fois là fini de me persuader de l'accompagner à l’endroit même où nous devions nous rendre, à ce qu’elle percevait comme la source du problème.
Ashara fit le premier pas, on pénétra dans la forêt en enjambant les premières racines qui serpentaient sur le sol. Aussitôt, l’ombre des arbres nous enveloppa. Comme je gardais le silence, c’est également elle qui engagea la conversation.
— Dis moi, qu’est-ce qui t’a convaincu de me suivre, quand je t’ai fait part de tout ce que je ressentais à propos de cet endroit ?
— Je tiens beaucoup à toi, avais-je répondu avec sincérité. Si tu penses qu’une menace plane sur la forêt et que toi seule es en mesure d’y faire quelque chose, alors je te crois. Et je t’accompagne pour te prêter main forte, en cas de danger.
De ma main libre, je fendis le vide avec la hache de mon père, comme pour lui rappeler que je savais m’en servir. Ashara, elle, portait une gourde à sa ceinture et s’était équipée de son couteau de chasse, de l’arc, du carquois et de la tunique que le conseil lui avait offert à la fin de l’hiver.
Elle esquissa un sourire et serra un peu plus fort ma main.
— Merci Ameth, je savais que je pouvais compter sur toi.
Je sentis mon cœur faire un bond dans ma poitrine.
En poursuivant notre évolution à travers les fougères, je ne pus cependant m’empêcher de repenser à l’avant-veille, au désagréable souvenir de l’éclat de fureur qu’avaient eu ses parents. Ils l’avaient retrouvé en ma compagnie, tout près des arbres, avec les renardeaux et leur mère, que la jeune elfe essayait d’apprivoiser. Contrairement à moi cette après-midi là, Ashara savait pertinemment que sa famille avait perdu deux de leurs poules la semaine précédente. Bien qu’inoffensifs, les renardeaux n’en demeuraient pas moins de futurs prédateurs et ses parents, la prenant sur le fait, ne pouvaient tolérer de la voir ainsi se divertir avec les petits êtres roux.
En fin d’après midi, ils me prirent à part pour me sermonner à mon tour. À la fin de l’entrevue, j’avais dû leur promettre de lui sortir ces idées de la tête. Tous deux me savaient assez lié avec leur fille pour qu’Ashara m’écoute si j’avais quelque chose à lui reprocher, bien que je n’avais aucune envie d’endosser ce rôle à leur place. Et ce, d’autant moins lorsque l’on se retrouva la fois suivante. Le lendemain même, elle m’expliqua avoir voulu, via le contact des renards, en apprendre davantage sur les énergies présentes dans la forêt. Connaissant son caractère entêté, j’aurais eues toutes les peines du monde à l’en dissuader.
— Au fait Ameth, reprit-elle en rompant le fil de mes pensés. Tu ne m’avais pas dit pour l’éveil de tes premiers pouvoirs. Entre nous, tu ne devrais pas me cacher ce genre de chose, même aux autres, d’ailleurs. Pense que ça pourrait peut-être te permettre d’intégrer le groupe de chasseur. Tu es débrouillard, tout à fait capable de venir avec nous, d’être en binôme avec moi.
Surpris, je marquai un temps d’arrêt. J’appréciais son compliment et la perspective d’intégrer le groupe de chasseur. Je l’aurais immédiatement accepté si cela m’avait été proposé. Mais surtout, comment était-elle au courant pour l’apparition de mes pouvoirs ? Hormis le vieux Kern, un des anciens du conseil, nous étions peut-être les seuls du village à en avoir. Mon éveil était tout récent, seul mon père en était informé. Plus récent encore que le début de ses crises. Je me demandais même si ma frustration et le sentiment d’impuissance que je ressentais par rapport à ce qu’elle traversait n’en avait pas été le déclencheur.
— Comment est-ce que tu as su ?
— Par ton père, avait-elle répondu sans détour. Il m’a demandé de veiller sur toi, de faire attention à ce que tu ne fasses pas de bêtises. Crois-moi, c’est bien un des seuls adultes à pas craindre ma magie… J’aimerais qu’il y en ait plus comme lui au conseil !
Veiller sur moi ? J’aurai voulu lui faire remarquer que j’étais toujours là pour elle, au moment de ses crises. Mais je me suis finalement ravisé.
J’étais à la fois vexé et reconnaissant d’apprendre que, par Ashara, mon père faisait attention à ce qu’il ne m’arrive rien. Depuis toute petite, l’elfe avait montré des prédispositions évidentes pour la magie et, quelque part, je comprenais l’initiative qu’il avait prise. Je n’aimais cependant pas constater qu’il avait davantage confiance en elle qu’en moi, son propre fils.
— Tu ne dois pas lui en vouloir. Même sans lui, j’aurais fini par le sentir, Ameth. L’aura de ton énergie a beaucoup changé dernièrement.
— Je ne pensais pas qu’il t’informerait lui-même. Il m’avait demandé de ne pas en parler.
— Même à ta mère ?
— Surtout pas à elle. Elle a toujours eu un problème avec la magie, une sorte de peur irrationnelle.
Ma mère me répétait souvent ne pas aimer les elfes. Ashara et ses parents étant la seule famille d’elfe que nous connaissions, je la soupçonnais d’avoir développé une aversion pour eux, nourrie par une jalousie sourde. Originaires de l’île des premiers elfes, ils étaient imprégnés d’une grâce que les humains n’avaient pas. Plus fins, plus grand, le teint laiteux, leur physionomie était bien différente de celle des hommes du village.
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