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Les deux appelés étaient jumeaux, aussi, mais à la diffé-rence de Solec et Roxelane, ils étaient traits pour traits les mêmes. Même leur fraternité avait du mal à les dissocier malgré la finesse de leur vue qui leur révélait quelques rares différences. Grands et secs, tout deux avaient de longs cheveux bruns, attachés soigneu-sement en chignon, un grand nez crochu, des lèvres minces. Leurs yeux noisettes semblaient presque jaunes. Leurs vêtements aussi étaient identiques, ils portaient tous deux un jean large, de grosse bottines noires, et pardessus leur t-shirt blanc, une longue veste de costumes, noire également. Il n'y avait que Naïa qui ne se trompait jamais, car si elle ne voyait que quelques pâles lueurs dans sa nuit éternelle, son aveuglement ne lui était plus un handicape. Bien au contraire, elle captait bien d’autre subtilités qu’un esprit voyant ne se fatiguerait pas à diversifiés dans son champs de vision. Tout deux se levèrent et saluèrent Naïa d'un signe de tête qui les encou-ragea d'un sourire bienveillant.

« Nous avons de mauvaises nouvelles. Celles-ci concernent toute notre communauté, incluant les Ranvlonick, mais surtout les Epanheul. Déclara Clisio. Le silence répondit à ses mots, chacun se tendant, mais attendant d'en savoir plus. Barrow prit le relais.

- Merkhan Epanheul à enfanter avec une humaine.

- Non ! C'est impossible ! S'exclama Roxelane, choquée.

- Il n'a pas le droit ! Renchérit Solec.

- Cet enfant doit mourir. » Dit calmement Zarog.

Le silence se fit à nouveau. Tous se tournèrent vers Naïa qui était restée calme, le soleil brillait toujours. Elle resta sans rien dire un long moment, faisant patienter sa fratrie qui la regardait. Une seule personne ne partageait pas l'humeur générale: Othilie. Son visage était figé comme si elle avait reçu un choc dont elle tentait de garder la douleur à distance. Enfin Naïa s'exprima, se tournant vers sa sœur dont les yeux semblaient figés de torpeur.

« Merkhan nous à donc trahit, et à double titre. Il sera sévè-rement puni pour sa faute. La famille Epanheul a beau être puis-sante, nous sommes bien plus nombreux et il paiera le prix de cette infamie. Malgré la douceur de sa voix, son courroux transperçait ses paroles. La sentence de l'aînée fit trembler Othilie qui releva doucement les yeux vers ses frères et sœurs. Sixoïl, qui avait perdu toute insolence, lui prit la main, l'air inquiet.

- Quel sera le châtiment? Demanda Siakhel, toujours aussi calme.

- Il doit mourir avec son engeance! Lança Solec avec colère.

- Non. Il paiera par la souffrance, mais nous ne mettrons pas fins aux jours de l'un des nôtres. Annonça Naïa. Nous devons tout d'abord rassembler le conseil extraordinaire. Nous devons faire les choses dans les règles.

- Y sommes-nous vraiment contraints ?

- Oui. Répondirent en cœur Clisio et Barrow.

- Pourquoi ?

- Parce que même si les Ranvlonick sont… Il se racla la gorge. Disons, différents, ils sont des nôtres et si Merkhan doit être jugé, leur présence est requise, ainsi que celle de Lya… Commença Clisio.

- Toutes les familles doivent être présentes, surtout lorsqu'il s'agit d'un acte qui met tous les Asdants en danger. Finit Barrow.

- Vous pouvez vous asseoir messieurs. Leur dit Naïa. Elle parla ensuite à l'assemblée. Cet enfant est-il aussi dangereux que nous le pensons ? L'histoire contée par nos parents nous a tous ébranlés, mais c'était il y a des siècles et ce n'est qu'un enfant. Peut-être ce-lui-ci est-il différent ?

- L'enfant qu'Asir avait procréé avec l'humaine était un monstre. Il ne désirait que la destruction, le sang et le chaos. Si cela ne te suffit pas Naïa, comme preuve que notre sang n'est pas fait pour se mélanger à celui des humains, que cette espèce n'est aucunement apte à utiliser nos capacités, tu en as une preuve tan-gible de part les monstruosités qu'a créée Paloma. Certes, ils sont beaucoup moins puissants que l’enfant ne l’était, mais tout aussi fous et destructeurs. Leur soif de sang et de désordre est sans li-mites. Combien de victimes te faut-il pour reconnaître cette in-compatibilité ? Dès qu’un être humain a du pouvoir, il se trans-forme en monstre, c’est sa nature. Zarog regarda alors ses frères et sœurs d'un air grave. Rappelles-toi que nos parents ont du faire appel à tous leur pouvoir pour tuer l'enfant d'Asir qui n'avait alors que sept ans. Il sera plus puissant qu'aucun d'entre nous. » L'assemblée murmura son approbation aux paroles de Zarog qui sembla satisfait. Seule Othilie, Clisio et Barrow restèrent de marbre. On sentit que Naïa sondait les esprits. Des larmes lui montèrent aux yeux alors qu'elle sentait Othilie. Cette trahison était un choc pour tous, de plus qu'elle mettait en péril la bonne entente des Van GeaYust et des Epanheul. Mais plus encore, elle brisait Othilie, peut-être pour toujours. En mille ans de vie sur cette terre, on pou-vait voir les liens qui se tissaient se renforcer bien plus qu'en un siècle. C'est pourquoi Naïa voulait sanctionner remarquablement Merkhan pour cette faute impardonnable. Il devait être puni en conséquence. Pas pour s’être laissé aller au stupre, ça, même Othilie pouvait le comprendre.

Mais pour cet enfant, et en ce qui concernait ce dernier, Naïa ne savait ce qu'elle devait décider. Elle savait le danger qu'il pou-vait représenter, mais la possibilité qu'il soit différent, qu'il gran-disse autrement était plausible et lui ôter la vie sur des suppositions la troublait. Elle se sentait incapable de se résoudre à cela. Elle palpa à nouveau les esprits et fut agréablement surprise de voir que certains autres éprouvaient la même répugnance devant cet acte. Même Zarog et Siakhel, les plus âgés, les plus à cheval sur les principes fondamentaux de leur espèce. Elle se leva pour la pre-mière fois depuis le début de l'assemblée. Tous l'imitèrent, avec un temps de retard pour Othilie. Naïa tenta de soulager sa peine en aspirant un peu de souffrance dans son propre être. Elle allait an-noncer la marche à suivre qui ne pouvait être remise en cause. Elle sembla réfléchir encore un instant, puis déclara:

« Sixoïl et Othilie, vous me rejoindrez dans le salon à l'étage. Zarog et Siakhel, vous irez trouver Lya et Merkhan et les ferez venir ici demain soir au levé de Lune. Roxelane et Solec vous trouverez la mère et l'enfant, vous vous présenterez en leur compa-gnie une heure avant l'arrivée des Epanheul. Vous les traiterez aussi bien que s'il s'agissait de moi-même et de mon propre enfant. Clisio et Barrow je vous charge de faire venir la famille Ranvlonick aussi délicatement que possible. Je les veux ici une heure après l'arrivée de Siakhel et Zarog. Vous pouvez à présent vous retirez, que votre molintil soit fort et lumineux.

- Que l'esprit veille sur toi. » Répondit en cœur la fratrie. Le corbeau de Zarog croassa. Ils échangèrent quelques mots d'au-revoir et d'encouragement avant d'exécuter les ordres de leur aînée. Sixoïl, qui n'avait pas lâché la main de sa sœur, la mena avec dou-ceur au salon de l'étage. Naïa resta un moment dans la salle lorsque tous furent sortit, profitant du silence et des rayons chaleureux qui traversait le plafond de verre. Elle sentait que les prochains jours allait demander courage et patience. Elle se croyait assez juste et impartiale pour pouvoir prendre les bonnes décisions.

C'est pour cela qu'elle était la Dicta de la famille, et c'est pour cela qu'on l'avait élevée. Elle respira profondément et se dirigea vers la porte dont elle décelait l'odeur et la densité. Elle sortit et ferma les battants avec douceur. Elle tourna alors à gauche et monta lentement, levant quelque peu sa longue robe gris perle, découvrant ses pieds nus. Elle atteignit le couloir et alla tout droit vers une arcade de bois brun ouvrant sur un salon lumineux. Othilie devait l'avoir entendu monter, elle avait donc eut le temps de se reprendre avant que sa grande sœur et Dicta ne vienne l'interroger. Elle entra au salon, dont les murs semblaient n'être fait que de fenêtres ouvertes sur un jardin ensoleillé et luxuriant et dont le dôme de verre avait été assaillit de plantes grimpantes, aménageant un peu d'ombre à l'intérieur de la pièce, qui ressemblait d’avantage à une serre qu’à un salon. Les meubles étaient de style baroque et peint de couleurs chaudes, des tapis orientaux et épais recouvraient le parquet de bois sombres, sur lesquels étaient éparpillés savamment fauteuils et poufs. De nombreux livres étaient posés sur des étagères ou à même le sol, et de fragiles instruments à l'utilité mystérieuse, bril-laient ci et là sous les rayons du soleil. Un grand canapé vert éme-raude trônait seul, à gauche de la pièce. C'est ici qu'avaient prit place Othilie et Sixoïl. La jeune femme, sous le regard inquiet de son frère, fumait une cigarette les yeux dans le vague. Naïa prit place dans un haut fauteuil face à eux, traversant la pièce sans in-cidents, et attendit le regard et l'esprit de sa sœur sur elle. Mais l'attente parut vaine, Othilie était loin d'ici, perdue quelque part dans ses souvenirs, se réfugiant, fuyant la souffrance qui menaçait de la submerger à chaque instant. Comment était-ce arrivé? Com-ment avait-il put ainsi trahir sa confiance ? Elle tira une nouvelle bouffée de cigarette, l'éteignit à même une table basse au bois ou-vragé et en roula une autre. Elle l'alluma et posa enfin les yeux sur sa sœur qui lui sourit tristement. Même ces yeux, vides, blancs, étaient plus à même de comprendre ce qu'elle n'avait pas vu. Sixoïl n'était pas aussi patient que Naïa, loin s'en faut. Il poussa un soupir d'exaspération, qui aurait put être discret si l'ouïe de ses compagnes n'était si fine. Il allait s'exprimer, ne supportant plus ce silence pesant qui s'étendait, voulant faire part de sa colère et de sa tristesse devant la peine de sa sœur, pour que l'une, mais surtout l'autre, dise enfin quelque chose. Mais Naïa intervint, hochant lé-gèrement la tête en signe de dénégation. Il se tu alors, et...

« Naïa, je ne sais ce que tu attends de moi… Je n'ai… rien à dire. Et je ne crois pas que tu puisses… m'aider. Je… J'ai… Othilie déglutit péniblement et ferma les yeux. Ses paroles altérées firent frémir Naïa, elle devinait une souffrance qui semblait donner à sa jeune sœur envie de hurler. Sixoïl reprit sa main et la serra, une colère et une tristesse désagréable envahissait son cœur. Naïa avait perdu son sourire, ses traits restants bienveillants, elle semblait elle aussi en proie à l'inquiétude. Elle se leva de son fauteuil et s'age-nouilla aux pieds d'Othilie et avec ses deux mains douces, lui prit celle que tenait Sixoïl, pourtant fermement.

- Ma chère, ma si douce sœur… Ton cœur est si plein de bonté et d'amour que le voir souffrir ainsi fend le mien. Je sais qu'aucun acte, qu'aucune parole ne pourra alléger ta peine. J'espère au moins que la justice que nous feront à Merkhan pourra te rendre plus à même de l'affronter. Othilie rouvrit les yeux qui semblaient à présent briller de colère.

- Crois-tu vraiment, ma sœur, que les souffrances de Merkhan puissent m'apaiser ou me procurer un quelconque réconfort ? Rien en moi ne désir son malheur malgré le mal que je ressens. Rien. Le seul souhait que j'ai c'est… de… disparaître.

Le dernier mot ne fut qu'un souffle. Sixoïl regarda Naïa. Ils se sentaient impuissants face à leur sœur, et ils n'y étaient guère habi-tués. Othilie respira profondément et leva les yeux vers le dôme d’où perçaient quelques rayons d’or.

- Je crois que j'ai… besoin de dormir… Je suis vraiment fati-guée…

- Je t'accompagne à ta chambre. Dit doucement Naïa, se levant en aidant Othilie à faire de même.

- Je viens aussi. Dit Sixoïl, se levant à son tour.

- Non, reste ici Sixoïl. Bien qu'elle ay gardé sa douceur, la voix était impérieuse, aussi se rassit-il avec raideur. Viens ma chère, allons-y. » Elles sortirent de la pièce. Sixoïl les regarda disparaître dans le couloir. Personne ne pouvait encore prévoir qu’elle serait l'étendue des conséquences de l'acte de Merkhan.

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