Maintenant
« Allez! Cours ! Je t’en prie Dasa cours !! Elle resta à genoux, haletante, son souffle résonnait entre les murs de béton nu. Les deux chiennes suivirent le mouvement, l’une d’elle vint lécher le visage de la jeune femme. Non… Non. Je vais rester là, je les occupe, et toi tu… Il lui attrapa le menton et colla son visage à deux centimètres du sien.
- Et toi tu ferme ta gueule et tu cours !
- Toi ta gueule Asad ! AaAAaaAAH ! J’ai mal ! Lui hurla-t-elle au visage, furieuse et habité d’une vive souffrance qui lui brûlait tout le corps. Il se retint de la gifler. Puis de rire. Puis de la gifler.
- Tu te lève ! Maintenant ! »
Il lui tendit le bras. Une porte claqua quelques étages en dessous. Elle leva des yeux implorant vers les autres, durs et furieux. Elle lui prit le bras et gémit horriblement alors qu’il la relevait. Ils reprirent le pas de course. Lui, garda sa main. Ils montèrent, marches après marches, défonçant les portes, n’attendant plus de savoir si elles étaient fermées ou non. Ils montaient. Montaient. Alors ils furent sur le toit. Asad prit son sac en lâchant Dasa qui se dirigea au bord du toit suivit des deux canidés. Elle prit son sac devant elle à son tour et en sortit cordes et harnais qu’elle enfila aux chiennes. Asad vint mettre le sien alors que la porte derrière lui fumait légèrement. Il sortit ensuite de son sac un objet cylindrique en métal dont les parties triangulaires semblaient dissociables. Alors qu’il le plaquait contre le mur extérieur, un bruit sourd résonna derrière la porte menant au toit.
« Je l’ai soudé mais ça ne devrait pas tenir longtemps. Il enclencha le mécanisme du cylindre dont deux crochets sortirent pour se planter dans le béton, un bip aigu sortit de l’appareil, Asad retira sa main. Juste à temps. Le cylindre s’était dissocié, une partie volait à une vitesse effarante jusqu’au mur de l’immeuble d’en face. Un deuxième « bong » se fit entendre, plus fort.
- Vas-y le premier, je t’envois les filles. Bien sur, il protesta.
- Non. S’ils ouvrent…
- Ils sont plus fatigués que nous ! Je peux encore les abattre, en revanche, remonter les filles et appréhender le potentiel accueil d’en face… « BONG ».
- Bien, mais on se magne ! Elle devrait tenir jusqu’à ce que tu nous rejoignes. »
Il descendit de l’autre côté avec souplesse, refusant de regarder en bas et de céder à son vertige. Il accrocha son harnais et enclencha le mécanisme qui le fit glisser le long du câble sans effort ; Dasa ne le regarda pas s’éloigner, elle avait déjà suspendu Adsa et l’envoyait de l’autre côté. Lorsqu’elle la prit dans ses bras, Sada se rétracta de peur, aussi terrifiée que son bipède par le vide. Dasa l’accrocha et l’envoya à son tour. Enfin elle-même descendit, s’accrocha malgré ses muscles en feu. Elle enclencha le mécanisme, la porte céda dans l’instant. La peur la glaça, ils allaient couper le fil et elle tomberait, le harnais et le mécanisme ne cédant pas, elle s’écraserait contre le mur qu’elle tentait de rejoindre. Heureusement, elle avait d’ores et déjà parcourut les deux tiers du trajet lorsque sa prédiction s’avéra. La chute fut plus longue qu’elle ne le pensa cependant, et l’atterrissage plus violent. Le mot fracasser lui vint à l’esprit alors que son bras et son épaule s’écrasait comme du carton contre le béton armé. Elle hurla. « DASA ! » Elle ne pu répondre, le souffle couper par la douleur alors que celle-ci montait crescendo. Elle se sentie monter le long du mur, elle serait bientôt en haut. Lorsque ce fut le cas, elle était sur le point de s’évanouir quand deux bras fort la hissèrent sur le toit. « Dasa ? Dasa ! Tu vas bien ? » Elle vomit, puis hocha la tête avec un sourire étrange sur les lèvres. Les chiennes se firent intéressées par la régurgitation, toujours portant leur harnais.
- On laisse le câble… On s’en va. Il hocha la tête, rassuré d’entendre sa voix. Non. On descend avec le câble, on ira plus vite que par les marches.
- Mais il ne fait pas la taille de l’immeuble, on va...
- On descendra à pied à ce moment là. »
Il acquiesça puis se raccrocha, ensuite elle, enfin les chiennes. La descente fut brève, au bout du câble, dont il manquait seulement deux ou trois mètres, il stoppa le mécanisme et se balança vers une fenêtre qu’il brisa avec ses pieds. Les chiennes glapirent, il les descendit, puis Dasa qui priait pour qu’aucun bout de verre ne viennent blesser les canidés. Elle les détacha maladroitement d’une main alors qu’Asad rechargeait leur arme respective. Ils descendirent les quelques marches restantes pour atteindre le rez de chaussée et sortir du bâtiment où ils se retrouvèrent face à quelques bolides de leurs poursuivants. Ils s’emparèrent de l’un d’eux dans lequel ils se serrèrent, et Asad démarra pour s’éloigner le plus vite possible. Alors qu’ils sortaient de la ville détruite pour rejoindre le désert de roches et de cendre, nul poursuivant n’apparut dans leur rétroviseur. Une fois encore, ils avaient réussit à échapper aux veilleurs. Mais à quel prix ? Ils devraient bientôt abandonner l’autocarbone s’ils ne voulaient pas être repérer, tout comme ils avaient du abandonner leur sac de couchage en fuyant, ainsi que le câble détruit. Dans leur situation chaque chose avait une valeur inestimable, la préciosité de leur survie.
Le matériel étant difficile à trouver, leur mission en ville ne leur apportait que de maigres provisions : des boîtes de conserve de légumes principalement, la viande était très rare, mais c’était les chiennes qui en pâtissaient le plus. Ils devraient rapidement retrouver des sacs de couchage s’ils ne voulaient pas mourir de froid dehors. Dasa était cruellement blessée, ce qui allait ralentir considérablement leur progression, si elle avait la force de marcher malgré la douleur et la fièvre. Asad se sentit au bord du désespoir alors qu’il cherchait mentalement une échappatoire à tout ce foutoir. Il se sentait vidé. Seul, tout aurait été plus simple. Mais serait-il arrivé aussi loin ? Aurait-il été aussi déterminé à rester en vie ? Tous ses faits et gestes des derniers mois ne consistaient qu’à protéger sa famille. Sans elle, aurait-il eut la témérité de rejoindre le front ? Ce front flou et suicidaire qui ne leur laissaient que de maigres opportunités de faire prendre conscience aux peuples de la Zone dans quel monde ils vivaient et qui gouvernait leurs vies. Et qu’il y avait des gens hors Zone. Une multitude d’errants, qui mourraient très vite. Comme surement il serait mort. Quelle importance ? Seul importait ce qui était, les hypothèses lui faisait perdre du temps. Il devait rester concentrer sur son but : un lieu où ils pourraient vivre en sécurité. Et même, qui sait, être heureux. Déjà, ils étaient tous les quatre, et ils avaient un but. Le bonheur continu n’existait pas. Seuls existaient ces petits riens créant un tout. Et tout dépendait de la perception. N’empêche, être au chaud, avoir une maison, de la nourriture à en grossir, du temps à exploiter pour faire ce dont ils avaient envie… Ils l’avaient peu connu, mais un peu tout de même. Avant que ceux de la Zone ne prennent leur terre pour une décharge de tous les déchets de l’humanité, ainsi qu’une exploitation en tout et pour n’importe quoi. Il y avait les maîtres des mondes qui pouvaient aller de l’un aux autres, ouvrir et fermer ces portes ente deux terres parallèles, ce qu’on appelait communément des béances. Ils se débarrassaient ici de tous ce qu’ils ne voulaient pas chez eux : plastique, déchets nucléaires, personnes nuisibles… Ils enlevaient des gens aussi, on ne savait à quelle fin. Ce fut d’abord seulement les personnes âgées, puis les hommes et les femmes, vint ensuite le tour des enfants. Il ne restait pas grand-chose aujourd’hui. Tout et tous étaient rongés par la maladie ou plus naturellement par le désespoir. Ceux de la Zone ne venaient plus que très rarement, plus souvent pour faire respecter leur loi ou détruire la faible résistance qui tentait de se manifester. Dasa et Asad en était un bon exemple : Asad rejoignit la résistance à l’âge de douze ans après la mort de son père et l’enlèvement de sa mère et sa sœur. Son cœur criait vengeance et brûlait d’un fol espoir de les retrouver. C’était il y a quinze ans. Dasa était arrivée quelques années après, fugitive de la Zone. Car c’était là-bas qu’elle était née et qu’elle avait grandie, avant de fuir quelque chose dont elle n’avait pas voulut révéler l’identité. Elle affirmait fuir une mort certaine. Tout en elle trahissait ses origines, sa manière de parler, de se comporter, d’être. Il la trouvait naïve, elle le trouvait grossier. Ils ne s’aimaient pas beaucoup au début, tel qu’ils s’aimaient eux-mêmes. Comme tous ici, tous ceux qui était né ici, ou avaient fuit ici, venaient se battre ou mourir ici. Tous ayant à dessein de destituer les trois monde prospère qui formait la Zone. Et puis, pendant quelques temps, ils ne furent pas si mal hors zone. Avant la dernière décharge nucléaire, la plus imposante jamais vu de mémoire humaine, il existait encore quelques oasis, culture, élevage et eau de pluie faisaient vivre une centaine de personne, Dasa s’occupant de l’école et lui de la ferme et de leur protection. Ils ne leur en fallait guère plus, n’étant que peu à avoir survécut dans ces terres arides et malades. Mais après, ils avaient le choix entre tenter de rentrer ou mourir. Ce qui, pour eux, était sensiblement la même chose. Même Dasa, incorrigible optimiste, reconnaissait que ce monde allait disparaître, et eux avec. Et Asad, Dasa, et tous les autres, refusaient ce sort injuste décidé par une poignée de personnage décisionnaire qui ne savait pas même leur visage ou la couleur de leur peau.
Qui ne savait rien de leur us et coutume, de leur désir et de leur peur. Ils n’étaient que les rats de La Déchetterie, ils étaient hors Zone. Leur vie était détruite, arrachée. Ce qu’ils refusaient de toute leur âme, de tout leur cœur qui battait encore dans leur poitrine, aspirant à battre encore, oui, encore, car ils étaient sur terre et que c’était leur droit que celui de vivre, non ? Si. Aussi puissants étaient leurs ennemis, ces derniers étaient semblables, humains, et donc, et surtout, mortels. Asad sourit à cette pensée. S’il devait mourir il ne partirait pas seul. Il se tourna vers Dasa. Elle était très pâle, en sueur, endormie. Elle rentrerait chez elle, un jour elle serait libre et heureuse, tout comme lui, il se le promit intérieurement. Peut-être même lui ferait-il un enfant. Là-bas, tout était possible. Ils y arriveraient, ils avaient besoin d’y arriver. Ils gagneraient leur bonheur et du même coup les berneraient. Il rit, un brin hystérique, puis son sourire se mua en grimace alors que Dasa gémissait. Il lâcha le volant d’une main pour toucher son front. Elle était brûlante. Elle ne survivrait pas s’ils devaient continuer à fuir comme il le faisait depuis trois mois. Il ne pouvait le supporter. Son ventre lui fit horriblement mal, il se retint de vomir à la pensée de sa disparition définitive. Ils devaient trouver des antibiotiques, trouver de quoi la plâtrer, à l’ancienne. Mais l’espoir de trouver ce dont ils avaient besoin était infinitésimal, et même dans ces cas miraculeux, ils seraient rattraper par les veilleurs. Il n’avait plus le choix. Ou il devrait les tuer toutes les trois. Il s’en voulut d’éprouver un certain soulagement à cette idée, puis regarda Dasa et imagina qu’il allait pouvoir la serrer si fort qu’elle rentrerait et resterait caché au fond de lui. Les Asdants pouvaient faire ça, il en était presque certain. Le paysage désolé défilait, vaste, plat, gris, recouvert de poussière. Les quelques rochers qui s’élevaient sur cette immensité plane ressemblaient à des os gris d’étranges monstres d’antan. La route était morne et monotone, contradictoire à ses idées violentes.
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