Ici
« C’est ainsi que furent séparés les premiers couples de frère et de sœur. Une seule âme dans deux corps. Et le désir de se connaître et de se désirer dans un amour inconditionnel absolu. Mais lorsque le frère enfanta avec une autre, une de ses âmes jumelles faillit dans cet amour et se laissa emporter par le malin. Elle maudit la progéniture de son autre. Naquit alors un monstre. Plusieurs sœurs se réunirent pour tenter de résoudre le problème que leur sœur blessée avait fait naître, elles ne purent toutefois que raccourcir au mieux sa durée de vie. Ainsi en est-il aujourd’hui pour l’enfant de Merkhan, quoique nous fassions, il mourra. Assis sur le rebord d’une fenêtre, Sixoïl observait Naïa qui se tenait debout face à sa jeune sœur qu’elle ne voyait qu’à travers son aura.
- Merci Roxelane, le sujet semble t’émouvoir.
- Othilie a eu un grand contrôle d’elle-même pour ne pas tuer Meneallem et son fils, je lui voue une grande admiration.
- Roxelane. L'exclusivité n'est pas l'adage de toute relation. Chacun est libre de vivre selon son coeur. La fidélité n'est en rien obligatoire. Réprimanda Siakhel.
- La loyauté, si!
- Pour une majorité, ils furent fidèles à leurs sœurs. Solec a plus de sagesse que Merkhan, pour autant il est libérateur de pardonner. Trancha Naïa.
- C’est pourquoi Epanheul est enfermé. Ironisa Sixoïl. Par la grandeur du pardon. Et la noblesse de l'inceste. Roxelanne fut face à lui en un battement de coeur et le gifla violemment.
-
- Il méritait la mort, et tu étais pour me semble-t-il ? Rétorqua fougueusement Roxelane.
- J’étais aveuglé par ma colère, vous le savez bien. Et les mots d’Othilie m’ont touché. Vous trouvez normal de rester entre nous? Peut-être que la stérilité de notre espece viens de là?
- Le fait d'etre gay en revanche n'a rien à voir! Ajouta méchamment Roxelanne.
- Cessez vos niaiseries tous les deux! L'amour est noble dans toutes ses manifestations alors que celui-ci est réciproque et bienveillant. Peut-être pourrions-nous nous concentrer sur des solutions? Conclut Siakhel. Il ne me semble que peu étonnant que certains d'entre nous, telle qu'Othilie, nous voit comme des monstres.
Ils restèrent un instant silencieux, cherchant en chacun d’eux les émotions, les sentiments, et les pensées qu’avaient soulevés en eux le discours de leur sœur. Siakhel, assis dans un fauteuil, les mains jointent, les yeux fermés, ne parlerait pas le premier. Roxelane, assise en tailleur sur un pouf semblait penaude. Naïa fixait aveuglément le jardin à travers la baie vitrée, une multitude de petite pulsion chaleureuse pour elle. Il pleuvait. Sixoïl recommença à jouer avec son yoyo. Puis…
- Que s’est-il passé ? Demanda Naïa en se tournant vers la porte menant au couloir de l’escalier. Alors que les autres se tournaient, Zarog apparût, légèrement pâle.
- Il y a certaines choses qui peuvent paraître injustes et cruelles, pourtant c’est grâce à ces petits maux que nous maintenons une paix durable. Il s’affaissa et s’appuya sur le chambranle. Roxelane sauta de son coussin pour aller le soutenir, et alla jusqu’à l’installer sur un fauteuil en osier.
- Alors ? S‘impatienta Sixoïl, à genoux auprès de son frère. Tous s’étaient rassemblés autour de lui en un cercle protecteur et inquiet.
- Une nouvelle béance… Les créatures de Paloma me sont tombés dessus alors que je tentais de la refermer… je ne sais si c’est une béance qu’elle a elle-même créée ou si ils étaient juste là sur son ordre, qu’elle s’assure…
- De leur multiplicité. Et alors… Les yeux et la bouche de Naïa s’agrandir légèrement dans une vague expression de terreur. La pluie se fit plus battante sur le verre du dôme.
- Et alors ? S’alarma Roxelane.
- Les plans fusionneront en un seul. Répondit Siakhel, de sa voix grave et profonde, rassurante toujours, malgré l’énormité de ce qu’il annonçait.
- Qu’est-ce que ça implique ? Interrogea Sixoïl, inquiet lui aussi, presque autre sans sa nonchalance. Il en vint même à regarder sincèrement Zarog dans les yeux, que la sagesse et les circonstances firent fondre. Il lui rendit son regard mais ne put que répondre.
- Je ne le sais pas non plus. Naïa ? Siakhel ? Zarog les regardait tour à tour, le visage blafard, en sueur, où s’entre collaient ses cheveux noirs. Ils eurent conscience de la conversation télépathique des deux aînés, mais ne furent pas conviés à rejoindre l’échange, aussi n’y entrèrent-ils pas. Sixoïl ne tenta même pas. Zarog eut quand même le goût de se vexer. Les autres n’en avaient cure, malgré que cette conversation fût longue.
- En vérité, la chose est telle… commença Naïa.
- …d’une si puissante vibration de magie… poursuivit Siakhel.
- … nous ne pouvons pas anticiper ce que cela donnera, ce qui pourrait advenir…
- … nous pouvons nous préparer au pire…
-… anticiper un tant soit peu…
- … fermer les béances, éliminer les déviants connus…
- … rassembler les forces de nos trois familles…
-… et nous…
- STOP ! Sixoïl leva les mains au-dessus de ses épaules en expression de son mea culpa et prit la parole. Donc il se peut que nous courions tous, tous les mondes réunis, dans une joyeuse explosion apocalyptique ? Le silence pesa. Naïa et Siakhel se dévisageait, du nacre dans le jais, ils semblaient puiser force et courage de ce contact.
- Oui. Répondirent-ils en cœur. Quatre plan qui fusionnent ensemble, c’est quelque chose qui libérera et demandera une quantité de magie proprement phénoménale. Nous ne sommes que quelques humains, en rapport à des plans et planètes. Notre disparition ne fera guère de différence pour la balance alchimique. Rien que le choc de la tombée des barrières pourrait nous souffler comme une bougie. Expliqua tranquillement Naïa.
- Et on ignore complètement comment les plans fusionneront, n’est-ce pas ? Vont-ils se superposer, se fondre, s’emboîter ? Demanda Sixoïl, semblant de plus en plus saisir les subtilités alchimiques qui l’entouraient. Naïa et Siakhel étaient fiers de leur jeune frère, ils n’en montrèrent rien cependant car les préoccupations chassèrent ces sentiments.
- Oui, tout à fait, les plans existent depuis si longtemps… Nos ancêtres avaient à peine la centaine lorsqu’ils firent s’ouvrir les béances pour créer ces plans. Zarog semblait de plus en plus inquiet, cela n’avait rien d’habituel
- Et ils n’ont rien à dire là-dessus? Les nôtres devaient bien savoir que les générations futures auraient peut-être des soucis ou une envie… de redécorer ? Ils ne t’ont rien… envoyé Naïa ? Sixoïl dévisagea sa grande sœur, les yeux ronds.
- Nous allons devoir réunir le conseil extraordinaire de façon permanente. Tous grimacèrent à ses mots. Nous n’avons pas le choix. Dit-elle doucement, se voulant réconfortante.
- Nous le savons… Roxelane soupira. Il nous était suffisant de voir les Ranvlonick toutes les décennies, voir je les supportais une fois l’an… Mais de façon hebdomadaire… Je vais devoir me remettre très sérieusement à la méditation. Tous éclatèrent de rire. Une surprise bienvenu en cet instant, chacun déployant sa gorge, secouant son ventre et pleurant même, dans une commune autodérision qui leur donnait ce dont il avait besoin : le lâcher prise. Ils se calmèrent peu à peu, croisant leurs regards et se souriant avec une complicité qui aurait fait pleurer Naïa si elle n’avait pas l’impatience de l’urgence.
- Bien, Zarog envois Labiax, veux-tu ? Sixoïl et Roxelane regardèrent leur aînée avec surprise.
- Tu ne veux pas envoyer quelqu’un ? Demanda Zarog, tout aussi étonné. Fusis va se vexer.
- Non, Labiax a mon entière confiance en son rôle de messager. Nous n’avons plus le temps ni l’énergie pour céder aux caprices des uns et des autres. Labiax ! Elle leva sa main pâle à hauteur de son menton, ainsi le corbeau s’y posa, manquant un millième de seconde de trébucher sur la bague dont la pierre semblait vibrer, et silencieusement, elle lui livra ce qu’il devait transmettre. Quelques minutes plus tard, l’oiseau s’envolait par la porte qui menait à l’escalier. Un « crac » étouffé les avertit de sa sortie définitive. Sixoïl se leva alors pour quitter la pièce.
- Et où comptes-tu aller ? Demanda Zarog, hostile. Nous sommes censés rester en famille lors d’évènements tel que celui-ci.
- Le rassemblement ne se fera pas avant demain soir, je rentre chez moi. » Les sourcils neigeux de Naïa se crispèrent une demi-seconde. Sixoïl culpabilisa de la douleur qu’il infligeait à sa sœur en ne considérant pas le palais familiale comme son « chez lui », seulement il en était ainsi depuis maintenant des siècles.
Ce vestige semblait à certains beaucoup trop froids et en décalage avec l’extérieur. Naïa en avait conscience, elle aussi ressentait cela, seulement elle ne pouvait se résoudre à laisser l’endroit seul, avec ses âmes et ses énergies encore présentes, des Van GeaYust partit depuis longtemps, ayant laissé leurs empreintes terrestres, qui lui apportait beaucoup au fil des années. Mais pas les réponses dont ils avaient tant besoin aujourd’hui. Car ils n’avaient pas anticipé ce qui était arrivé, ils n’avaient pas anticipé la rupture avec un des membres de leur famille. A l’aube d’un nouveau monde, sur les cendres de l’ancien, ils s’étaient jurés de restés solidaires, aimants et bienveillants. Naïa chassa une larme. « Bonne fin de journée, à demain ! » Lança le jeune frère avant de disparaître à son tour derrière la porte du salon.
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