Hier
« Pourquoi tu me suis ? Léo s’arrêta net. Cela faisait trois semaines qu’elle espionnait le jeune homme. Elle avait cru comprendre qu’il était anorexique, toujours à se promener hors du village, lisait parfois et s’entraînait aux arts martiaux. Elle ignorait ce qu’il faisait chez lui, s’il avait des parents pour s’occuper de lui. En dehors elle l’avait vu fumer des joints avec quelques gars de son âge et n’avoir aucun contact avec la gente féminine. Elle avait aimé ce petit jeu qui ne lui demandait que peu de réflexion sur ses propres objectifs, aussi était-elle terrifiée à l’idée qu’il venait de la prendre en flagrant délit de harcèlement, ce qui allait arrêter son petit jeu sur le champs.
- Je… Je ne sais pas. Répondit-elle honnêtement en sortant de derrière le muret où elle se cachait. Ils venaient de rentrer dans le village après une énième promenade en forêt.
- Et qu’est-ce que tu fais dans la rue ?
- Je suis… Je suis perdue.
- Et t’as demandé à personne de t’indiquer le village de tes parents ?
- J’en ai pas de parents. Je n’ai pas de maison, ni de village. J’ai navigué quelques temps avec… Elle avala difficilement sa salive. Elle allait dire « ma famille de fortune ». Et cela lui faisait drôlement mal à la petite, alors elle reprit son souffle et dit : le bateau s’est échoué sur les falaises pas loin, ils ont tous disparus.
- Et qu’est-ce que tu me veux ? Ca te suffit pas de manger mes déjeuners ? Tu veux un câlin aussi ? Elle baissa les yeux, ne sachant quoi répondre. Qu’est-ce que tu veux ?
- J’en sais rien, je… je m’occupais c’est tout. Répondit-elle, honteuse.
- T’as pas grand-chose à faire de ta vie toi !
- Je… Elle se sentait bête, honteusement bête et vulnérable, perdue dans tous les sens du mot. Elle aurait pu lui répondre froidement, l’envoyer bouler et se barrer dans son égout. Seulement, elle n’y parvenait pas, le feu qui l’habitait s’était laissé étouffer par la poussière, la crasse et la solitude.
- Arrête de me suivre !
- Mais… A ces mots elle cru qu’elle allait paniquer. Elle n’avait plus que lui, enfin plus que ça.
- Il n’y a pas de mais, petite pouilleuse, retourne donc faire la manche et lâche moi. Elle resta un moment interdite, ses yeux dans les siens, des yeux marron foncés qui suintait un peu la méchanceté. Pourtant, elle suppliait silencieusement, qu’il la laisse, qu’est-ce que ça pouvait lui faire ?
- Pourquoi ? Qu’est-ce que … Il la coupa d’un rire moqueur.
- Tu crois que j’ai envie de me trimballer un petit monstre à mes basques ? Ou si tu y tiens, va falloir changer quelques petites choses !
- Et quoi ? Demanda-t-elle, prête à faire tout ce qu’il lui demandait.
- Prends un bain, change de fringue et coiffe ta sale paillasse. Tu ressembles à rien.
- Ok.
- Allez, vas-y, dégage, et ne reviens que si c’est fait ! Si je revois ta sale tronche dans cet état, je te frapperai jusqu’à ce que ton sang recouvre ta crasse, vu ? Et il partit, d’une démarche arrogante et fière. Léo resta immobile jusqu’à ce que la nuit tombe. Elle ne savait pas du tout où trouver des vêtements propres, mais elle pouvait se laver dans une marre de la forêt. Elle rejoignit son égout, pensive. Elle pouvait voler des vêtements, elle l’avait déjà fait. Le lendemain, à l’heure du déjeuner, elle était prête. Elle s’était levée aux aurores et avait traversée tout le village pour se rendre au marché, où dans une folle course poursuite elle avait réussie à chiper une robe légère et longue, qui traînait un peu au sol, et dont les manches bouffantes se serraient aux poignets, ainsi qu’une paire de bottines en peau de chameau qui sentaient vraiment fort, mais souples et neuves. Elle s’était ensuite rendue à la forêt, s’était baignée dans l’eau froide avec plaintes et grimaces. Pour ses cheveux, elle n’avait rien trouvé de mieux que de les couper un peu et les attacher. Elle ignorait à quoi elle pouvait bien ressemble, mais elle se sentait propre et prête à se confronter à cet adolescent imbus de lui-même. Elle l’attendait, non plus cachée, mais droite devant chez lui. Lorsqu’il sortit, il lui lança un regard noir qui la fit se tasser sur elle-même et la dégonfla comme un ballon.
« Tu ressembles à une marionnette grossière. Viens, on va dans la forêt où personne ne nous verra. » Il partit d’un pas raide et rapide, qu’elle suivit du mieux qu’elle pu, relevant sa robe. Une fois à la lisière, il s’assit sur une buche et roula un joint.
« Tu fumes ?
- Oui, enfin, des cigarettes.
- Quel gâchis de fumer que du tabac. Quitte à te flinguer, fais ça bien. Il alluma son cône, tira deux longues bouffées et lui donna. Elle hésita une seconde, puis fuma. Deux taffes, comme lui, puis le lui rendis en toussant.
- La beuh c’est toujours un peu raide dans la gorge au début, mais t’inquiète, elle s’habitue avec le temps. Léo se sentie tout à coup légère, comme si un poids quittait ses épaules et son thorax, elle eut la sensation que sa vue se précisait et ses idées semblaient toutes s’éclairer.
- Wouaaaah… C’est sympa. Lui, il rit jaune, ce qui la fit froncer ses fins sourcils.
- Faut faire quelque chose de toi.
- Et quoi ?
- Laisse moi réfléchir… Si tu veux que je te file de la bouffe et un peu d’herbe, faudrait que tu sois bien gentille, que tu me rende des services.
- Quel genre ?
- Genre faire mes courses, aller chez la blanchisseuse…
- Être ton larbin ?
- Exactement ! Tu seras mon larbin !
- Et si je refuse ? Il éclata de rire.
- J’irai porter plaintes chez les flics pour vol de nourriture, elle était dans notre poubelle, c’est considéré comme du vol. Elle crispa sa mâchoire.
- Ok, alors, je serai ton larbin.
- Bien !! Commençons maintenant ! Tu vas porter cette herbe à la place des halles, un mec attendra devant la boucherie, il te donnera de l’argent.
- Mais tu avais dit… Il la gifla violemment.
- Tu dois obéir, point. Me suis-je bien fait comprendre ? Elle le fusilla du regard mais finit par plier.
- Ok. Répondit-elle dans un souffle à peine audible
- Et tu m’appelleras maître. Vu ?
- Oui… m… maître.
- Allez, file maintenant ! » Léo obéit, dépitée, et se sentant encore plus sale qu’elle ne l’était avant son bain.
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