Je voyais bien qu'après notre petite discussion sur sa famille, Ezra était triste en ma présence. Cet homme avait vu femmes et enfants grandir et mourir tour à tour. Tout ce que j'avais fait, c'était lui rappeler de mauvais souvenirs. Et je m'en voulais pour ça.

Aussi, quand je rentrai chez moi, je me torturai l'esprit pour trouver un moyen de faire sourire Ezra. Pas une petite blague qui retrousserait les coins de ses lèvres quelques instants. Non, je visais plus gros. Quelque chose qui l'enverrait loin de ses pensées moroses.

C'est pendant mon service dans la Boutique de Monsieur Biron que l'idée a commencé à germer dans mon esprit. C'est une petite femme toute en rondeur, on aurait dit un ballon, qui m'a donné cette idée. Je la regardais du coin de l'œil, tout en prenant des notes sur son histoire fictive dans mon carnet orange quand elle s'est avançée vers moi, me tendant un livre intitulé Comment devenir prêtre en quelques étapes. «C'est pour un ami ?» je lui ai demandé. Visiblement, ce n'était pas la question à poser car elle s'est transformée en tempête et m'accusant moi et le monde entier de sexisme. Elle a ajouté dans son monologue tornadesque (Est-ce que ça se dit ? Je sais pas, on s'en fiche. Là n'est pas le sujet.) qu'elle ne voyait pas pourquoi les femmes n'auraient pas le droit d'être prêtre sous pretexte que... bah elles étaient des femmes. Lorsqu'elle s'est arrêtée de parler j'ai trouvé le monde hyper silencieux. Elle a déposé pile la monnaie qu'il fallait, s'est détournée et est sortie de la boutique, en oubliant son livre.

Dans ma tête, j'ai repassé sa phrase «Pourquoi les femmes ne pourraient-elles pas être...» Il y avait quelque chose qui m'intriguait, comme une lumière au bout d'un tunnel. Le reste de la journée, j'avais un peu la tête dans les nuages, comme me l'a fait remarquer Monsieur Biron, si tant est que ça soit possible avec ce magnifique ciel bleu mais vide. Mon esprit échafaudait un plan, ambitieux certes, dangeureux, ça ne fait aucun doute mais qui pouvait changer le monde ou en tout cas raviver le sourire sur le joli petit visage d'Ezra.

Le soir, j'ai enfilé une tenue plus pratique que belle tout en étant assez élégante car je connaissais l'horreur des vampires pour tout ce qui n'était pas beau, à la mode et scintillant. Même Ezra a du percevoir mon changement de style car il a froncé les sourcils en me voyant arriver, mon verre de limonade à la main.

Je me suis assise et sans prendre de pincettes, je lui ai demandé : «Qu'arrive-t-il quand une femme devient vampire ?» En retournant la question de la Tem-prêtre dans ma tête toute la journée, je me suis souvenue qu'Ezra avait dit une fois : «Quand la mère du roi était reine...». Lorsqu'il l'avait prononçé, je n'avais pas réagi mais ce jour-là, mon esprit avait tilté. Il y avait eu au moins une femme vampire.

Ezra s'est immobilisé, comme s'il avait deviné où je voulais en venir. «Elle devient automatiquement reine. Mais le processus est tellement douloureux» ajouta-t-il en me voyant sourire « et tellement dangeureux que beaucoup deviennent folles ou meurent dans d'atroces souffrances.» Ma joie fut complétement évanouie mais je ne me décourageai pas pour autant. Je l'interrogeais sur la manière dont se déroulait la transformation. Cette fois-là, ce fut lui qui frissonna.

D'après les légendes qu'il avait entendu, il fallait qu'un mordeur (c'est comme cela qu'on appelait les fils de vampires) et un vampire s'allient pour mordre simultanément la jeune femme. Elle perdait énormément de sang durant la manœuvre et la dernière femme a avoir réussi la transformation était l'ancienne reine, ce qui datait d'il y a plus de trois-cent ans. Aucun vampire sain d'esprit ne se lançerait dans une telle expérience à moins d'être certain de la réussir car le sang d'un mort était un poison pour un vampire. Sans compter qu'un mordeur n'a jamais plus de quatorze ans et est bien trop jeune pour réussir à survivre à un tel supplice.

«Et avec qui les vampires peuvent-ils se marier ?» Je connaissais une partie de la réponse mais j'étais convaincue qu'il ne m'avait pas tout raconté. Il soupira. «Les vampires peuvent épouser des humains normaux, comme je l'ai fait. Ou un autre vampire, ce qui autorise les mariages homosexuels mais ce n'est vraiment pas apprécié à la cour... Par contre, il est formellement interdit de se marier avec une nourriture. On peut être déstitué de ses pouvoirs pour ça.» C'était plus que ce que je voulais savoir à ce sujet. Aussi, je ne l'embêtais plus le reste de cette soirée-là.

Quand vint le moment où il se nourrit de moi, j'attendais le moment où il retirais ses canines de ma nuque pour le regarder dans les yeux. Ce soir-là, je vécus le plus beau baiser de mon existence. Avant de me quitter, Ezra me dit : «Tu sais que ce n'est pas possible entre nous et si jamais cela arrivait, la destitution de mes pouvoirs pourrait me faire succomber.» Je ne répondis pas et posai un léger baiser sur ses lèvres avant de quitter le bar.