Herion est sous contrat. Mais, pour augmenter nos performances au combat, avec la sœurette, nous avons filé sur Sirighaatee, le royaume de Julaaha, l'Angelius protecteur des âmes de Chimeron. Julaaha y organise, chaque saison, un événement de compétitions international, où tout guerrier peut s'illustrer et perfectionner sa technique. Sirighaatee, c'est civilisé, comparé aux restes du Monde des Rêves d’Utopie : hébergement royal, dans un château immense, patrimoine de l’île. Les chambres sont tout confort. Technologie dernier cri. Et les repas : les mets des déités, un vrai nectar mystique !

Entre deux tournois, j'ai le temps de m'occuper de mes dossiers et des traductions d'archives. Mais en ce moment, je songe à ouvrir une section Astrophysique à l’université d’Herion. Notre système stellaire est une réelle aberration, je l’avais déjà dit. J’aimerais étudier tout ceci de plus près. Je me rends compte que nos légendes sont une métaphore de l’histoire astronomique de notre monde.

Légendes et Astrophysique. Magnaa S. pour TROLL MAGAZINE.

Ma soeur a encore fait un rêve étrange. Non, la suite du rêve étrange qu'elle avait fait quelques jours plus tôt. Elle me l'a raconté, au petit déjeuner, juste avant l'entrainement. Si elle a vécu ça, je ne saurais dire quand ? Et ça voudrait dire que nos souvenirs, que le passé des Shivarii, sont enfermés dans la boite crânienne de cette chère Suok ! Sa schizophrénie vient peut-être d'un choc et sa mémoire est protégé par sa psychose. Mais moi, pourquoi suis-je normale ? Pas si normale, en fin de compte. Toujours la rage au ventre, je l'ai entrainée dans mes délires de révolutionnaire...

Rêver la suite d'un rêve, ça ne se produit pas souvent.

De retour à son studio carré en plein centre de Brixton, l'enquêteur lança sa veste sur la chaise et plongea dans son lit sans se déshabiller. Le lendemain, le soleil pointait par la fenêtre. La faim lui tenaillait l'estomac. Il bondit et s'alluma une cigarette, puis alla dans la salle de bain. Assis sur la cuvette des toilettes, il finit sa clope et fila sous la douche.

Bien chaude.

Voilà ce qu'il lui fallait pour remettre ses idées en place. L'eau lui coulait sur le visage. Blaidd arrivait enfin à se détendre. Cette pression subie depuis quelques jours, ne le lâchait plus. Il repensa à Alyss. Il repensa à cette rencontre bizarre. Il ressentit soudain un picotement dans tout le corps. L'eau lui caressait la peau, lui donnant l'impression qu'une main lui effleurait l'épiderme, tel un serpent soyeux s'enroulant le long de chacun de ses membres. Un frisson lui parcourut l'échine. Il lui sembla entendre un chuchotement. Sans doute la flotte qui s'incrustait dans ses oreilles. Après ce qu'il avait vécu, ses cinq sens étaient mis à mal. Le chuchotement se fit plus intense, puis il sentit comme une morsure dans le coup.

" Blaidd !"

- Putain c'est quoi se bordel !?

Il s'agrippa au rideau, à deux doigts de s'arracher en retenant sa chute. La surprise le foudroya à tel point qu'il plaqua son dos contre le mur de carrelage glacé et se laissa glisser brutalement. Au moins, assis, il ne risquait pas de se fendre le crâne.

- Ëelshïtnaah Gaarh !...

Blaidd attendit un moment. Le chuchotement avait cessé. L'espace d'un instant l'enquêteur crut que sa chambre était hantée. Non pas que faire l'amour avec un esprit lui posait problème, mais en ce moment, ce n'était pas le moment. Le visage dans les mains, il finit par relever la tête et sortit de la douche. Il faut récupérer le sondeur inter-space, ce qui permettra de répertorier les failles, bref la routine de l'alchimiste doit reprendre.

Blaidd se versa un verre de whisky et s'affala dans le canapé. Une brise lui caressa le visage.

- Ah te revoilà. Ça faisait tellement longtemps.

- Où est Alyss ?

- J'avais pas éteint ce foutu projecteur holographique ? Et comment t'arrive à l'allumer, sérieux ?

- Je ne vais pas te faire un topo sur l'énergie zéro, tu as du travail.

- Depuis quand t'es mon patron ? Ecoute, le mec en polymère, avant que tu commences à me faire la leçon, je fais ce que je peux pour refermer ces satanées brèches dans la matrice de cette foutue planète ! Je suis pas gardien de Zoo ! Tu m'as pris pour Men in Black ou quoi ? Et pourquoi tu me parles d'une meuf que je ne connais pas ?

- Lis les journaux, regarde les nouvelles du soir. Fais quelque chose Blaidd, parce que ce n'est pas avec cette attitude que tu vas pouvoir m'aider à gagner cette guerre !

- J'ai pas de télé Eivann 2.0. Bordel ! Et moi je continue de causer dans le vide comme d'habitude ! Tu fais chier, androïde de malheur ! Il a cru que j'allais stopper une invasion alien à moi tout seul ou quoi !... Taré.

Blaidd regarda son verre. Il se releva brusquement, enfila son "bombardier" et sortit de son appartement. Ce casse-couille n'avait pas tort, les journaux à sensation pouvaient largement lui fournir le matériau adéquat pour continuer son job.

- Merde, j'ai plus d'thune. Pas de téléphone non plus. Et merde.

Le chasseur d'aliens s'alluma une clope et prit la rue perpendiculaire à la sienne pour se rendre sur l'A204. En espérant qu'on le prenne en stop jusqu'à Victoria. Arrivé sur la route il s'arrêta pour observer, les mains dans ses poches de pantalon. Il entendit un bruit de moteur et tendit rapidement son pouce. La voiture lui passa sous le nez sans s'arrêter. Autant marcher. Au bout d'un quart d'heure, aucun chauffeur ne daigna, ne serait-ce que le regarder. Blaidd s'arrêta pour fumer une autre cigarette. Le grondement d'un moteur de moto fendit le vide. Il continua de fumer, l'autre main dans la poche. Une moto ? Il ne faudrait pas pousser. Mais comme une "grosse blague intergalactique", elle s'arrêta à sa hauteur. Le motard enleva son casque.

- Salut beau gosse. T'as l'air bien con, lui lança Alyss, sourire moqueur aux lèvres.

- Dis-moi que c'est une blague !

À ce moment une voiture passa, l'enquêteur courut pour l'arrêter, mais le chauffeur n'en fit rien, comme tous les autres. Les mains sur les genoux, tête baissée, il sortit un grognement de désespoir.

- Les cheveux dans le vent, l'air frais sur le visage, ne veux-tu pas ressentir la liberté passer dans tes tripes, mon poussin ?

Blaidd se retourna d'un coup, en pointant la bécane d'un doigt accusateur.

- Jamais je ne monterai sur ton engin de la mort, j'ai déjà perdu mon âme dans ce job de merde, j'y laisserai pas ma peau, en plus !

Elle lui tendit son casque.

- Je rigolais pour les cheveux au vent. Avec un casque y'a peu de risques, je suis bon pilote. Tu vas où comme ça ?

- Victoria.

- Ah bah t'es pas rendu mon coco.

Blaidd lança un soupir d'agacement et tourna les talons. En avant pour trois miles de marche ! Alyss enfila son casque, redémarra sa moto et le suivit en roulant doucement.

- Tu marches vite, dis donc ! J'ai du mal à te suivre.

- Non.

- OK. Comme tu veux. Je te tiens compagnie tout de même, tu me fais de la peine.

Une voiture passa, Blaidd tenta de l'arrêter. Rien. Au bout du dixième véhicule, l'ayant snobé, il s'arrêta.

- Tu me tends ton casque, mais toi alors, sans lui tu ne vas pas aller bien fort si on se fait faucher par une caisse !

Alyss arrêta sa bécane, la cala et en sortit un autre, planqué sous l'assise.

- Un motard a toujours une protection en rab, andouille. Elle lui tendit l'accessoire. Bon, tu te décides ?

Blaidd enfila le heaume et ouvrit les bras.

- Ce truc va me niquer ma coupe !

- Je vais t'ébouriffer une fois en ville, t'inquiète donc pas mon chou. Monte.

La moto s'envola d'une traite en brûlant le bitume.

Les Songes de Suok. Magnaa S. pour TROLL MAGAZINE.