XV.1 Esprits Opaques
James ne pouvait que saluer les efforts déployés par son aîné pour l’intéresser aux lettres, à l’algèbre et aux sciences. Il le sortait du cadre morne du manoir, multipliait les supports, les outils pédagogiques, mais en définitive, ce qui touchait aux terrestres lui paraissait toujours aussi trivial. Insignifiant. Tout en s’appliquant à répondre au problème qui lui avait été posé par Klaus, il pestait intérieurement contre le monde.
« C’est correct, l’informa son frère en se penchant sur ses écrits.
— C’est inutile, répondit James sur le ton de la rectification. Les modèles physiques sont comme les mots des terrestres. Ils ne font que mal traduire la création d’Ehbe…
— Pour commencer, je préfère que tu parles avec ta voix. Ensuite, peut-être que lorsque tu auras maitrisé le langage des terrestres, tu pourras leur proposer une meilleure transcription des phénomènes de leur monde, proposa Klaus d’une voix très calme. Mais le travail qu’ils ont accompli jusque-là pour le faire eux-mêmes est admirable, ne trouves-tu pas ? Sans comprendre la magie de Cynalte, ils ont creusé les montagnes, détourné des fleuves sans celle d’Anhé...
— Brûler des forêts entières sans le feu sacré d’Oqelle, cracha James.
— Faut-il être pessimiste…
— Faut-il être aveugle ! C’est ton séjour prolongé chez eux qui te pousse à les défendre ?
— Tu parles de mes années de pensionnat ? Si je devais baser mon opinion des terrestres sur ce que j’y ai vu, je les maudirais.
Profitant de ce que les souvenirs de cette époque devaient traverser une couche accessible de son esprit, James essaya de le lire, sans succès. Il fixa encore longuement son aîné avant de reprendre la parole.
« Comment fais-tu pour être à ce point opaque ? s’étonna-t-il.
— Tu voudrais apprendre à fermer ton esprit ?
— Je voudrais apprendre à ouvrir le tien.
— Un adulte a besoin d’avoir ses secrets.
— Même pour ses frères ?
— Surtout pour ses frères. Mais si quelqu’un arrive un jour à forcer mon esprit, je sais que ce sera toi. Lire les gens, ce n’est encore que de l’extraction d’un corps céleste de son réceptacle. Tu as un don pour ça.
— Je n’arrive même pas à lire ton nom de baptême et tu me parles de forcer ton esprit ? »
Klaus sourit malicieusement avant d’abandonner le poids de son corps au tronc de l’arbre contre lequel son frère s’appuyait.
« Il ne t’ai jamais venu à l’idée que je n’en avais pas ?
— Tu ne me parles jamais de rien, poursuivit James d’un ton plaintif. Au lieu de me faire de stupides leçons terrestres, parle-moi de toi, de l’éther, de vos recherches à Mère et toi ! Je suis concerné aussi, tu sais. Et je peux aider.
— Ne sois pas trop pressé.
— Tu voudrais que je sois patient quand mes jours sont comptés ? Voilà un an que je suis soumis à la Loi maudite, je me sens déjà faiblir et tu voudrais que j’attende encore ?
— Ce n’est pas un vœu, c’est un ordre.
— Ne m’oblige pas à te rappeler que tu n’as pas le droit de m’en donner. »
Klaus se leva, visiblement irrité.
« Je connais ma place, Votre Majesté Céleste. Mais jusqu’à la fin de cette vie et tant que Mère en décidera ainsi, je serais ton frère aîné, ou au moins celui de James Riordan. »
Le cadet se souleva du sol, léger comme l’air. Par l’action serviable de fées des alentours, ses affaires se trouvèrent rangées et son sac replacé sur son épaule.
« Je finirai mes devoirs à la maison », annonça-t-il.
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