Supernova (2/2)
Après avoir soigné sa blessure superficielle dans sa salle de bain, elle se dirigea vers le fond du couloir. À cet endroit, le manque de fenêtre rendait l’atmosphère sombre et pesante. Près de l’escalier, Céleste observa la petite fille en se demandant pourquoi elle descendait l’échelle. En la voyant ouvrir la trappe, le chaton décida de la suivre. Comment résister à la découverte d’un potentiel nouveau terrain de chasse ? Arrivée au bas des échelons, elle vit Mélina disparaître de son champs de vision. Les pattes avant appuyées sur le premier barreau, elle évalua la hauteur à parcourir. Si monter un escalier était devenu un jeu d’enfant, la taille de l’obstacle lui parut, cette fois, insurmontable. Impossible en effet de grimper sur ces barreaux arrondis, fins et glissants. Pour quelle obscure raison les humains avaient-ils imaginé un moyen d’accès si peu pratique ? Était-ce un lieu interdit pour les chats ? Si tel était le cas, il fallait absolument y aller !
Miaou ? Tenta-t-elle timidement en espérant obtenir de l’aide. Aucune réponse. À l’évidence, soit Mélina ne l’avait pas entendu, soit elle refusait de partager sa cachette.
Miiiiiaaa ! Appela-t-elle en ouvrant grand sa mâchoire pour que le son atteigne les oreilles de la fillette.
Le chaton s’assit et patienta. La tête penchée, elle regardait l’ouverture sombre avec un intérêt grandissant. Combien de temps était-elle censée attendre comme ça ? Les secondes lui semblaient durer des heures. Mais enfin, Mélina était-elle soudainement devenue sourde ?
Alors qu’elle s’apprêtait à l’appeler une troisième fois, le visage rougit de l’enfant fit son apparition.
- Qu’est-ce que tu as, Céleste ? J’ai pas le temps de jouer avec toi, affirma-t-elle sans détour.
Incapable de s’exprimer avec des mots, la petite chatte réfléchit à un moyen de lui répondre clairement. Ainsi, tel une statue de cire, elle fixa un point au loin derrière les mèches cuivrées de Mélina.
Suivant son regard perçant, Mélina tourna brièvement la tête vers la masse de cartons et de vieilleries qui l’entouraient.
- Tu veux venir ? Demanda-t-elle sans conviction.
Les yeux pétillant de bonheur d’avoir été comprise, Céleste miaula une nouvelle fois en replaçant ses pattes sur le barreau instable.
Était-ce réellement une bonne idée de laisser un fragile petit chaton jouer parmi ces piles d’objets entassés ? N’était-ce pas trop dangereux de lui permettre de vagabonder dans la saleté et les toiles d’araignées ? Mélina hésita. Avoir de la compagnie dans un lieu aussi hostile serait rassurant. Avec Céleste à ses côtés, la corvée de rangement et de nettoyage pourrait presque devenir amusante. Bien sûr, l’aide apportée ne serait que psychologique. Mais, comment refuser ?
Oubliant subitement ses craintes, Mélina descendit récupérer Céleste.
- J’espère que tu seras sage, implora Mélina en la déposant sur le sol usé.
À peine eut-elle prononcé ses mots que la petite chatte avait déjà disparu derrière le bric-à-brac.
Mélina soupira. Désespérée devant l’ampleur de la tâche qui l’attendait, elle s’accroupit par terre et parcouru du regard les piles d’antiquités. Soudainement, elle s’imagina dans une ville post-apocalyptique. Autour d’elle, chaque immeuble délabré allait devoir être fouillé et rénové. En tant que survivante de l’explosion qui avait mis fin à l’ère humaine, la fameuse aventurière se retrouvait seule dans cette immense métropole. Armée de son courage, elle espérait découvrir de fabuleux trésors enfouis sous les décombres. Peut-être même trouverait-elle d’autres rescapés ? Malgré la solitude, elle avait bon espoir. Elle ne pouvait quand même pas être l’unique personne à s’en être tirée. Au loin, le soleil déclinait sur l’horizon. Il était temps de s’y mettre si elle voulait trouver un abri pour la nuit. En déplaçant le premier obstacle qui lui barrait la route, une forte odeur de moisissure envahit ses narines. Les particules de saleté s’envolèrent et Mélina fut brusquement entourée d’un brouillard sombre et épais. Elle éternua. Sous cette brume blanchâtre, elle distinguait à peine ses propres pieds. Si son imagination lui avait permis de transformer sa punition en quête, la petite tempête de poussière l’avait ramené de force dans le grenier. Attendant qu’elle se dissipe, Mélina tendit l’oreille. Hormis le vent qui percutait violemment les tuiles, elle crut percevoir un petit cri aigu et strident. À bien y réfléchir, cela ressemblait au couinement d’un animal apeuré. Céleste était-elle en danger ? À cette idée, Mélina sentit son cœur s’emballer. Comment pourrait-elle l’aider ? Elle ne voyait strictement rien !
Le bruit retentit à nouveau. Cette fois, la source semblait plus proche. Précédé d’un grognement féroce, il était maintenant évident qu’il s’agissait d’un rongeur. Probablement poursuivi par le chaton, le rat se faufilait entre les cartons. Ses griffes minuscules martelaient le parquet à toute vitesse. Soulagée, Mélina plissa les yeux pour observer la course-poursuite. Comment avait-elle pu confondre les deux sons ? Oui, elle était jeune mais elle n’était pourtant pas stupide ! Le nuage l’avait-il perturbée à ce point ? Où peut-être était-ce lié à l’angoisse que lui inspirait ce lieu inhospitalier ?
Je devrais peut-être aller chercher l’aspirateur, pensa alors Mélina. Comment avait-elle pu songer à venir ici sans lui ?
Le temps de le récupérer et de trouver une rallonge d’une longueur suffisante, la poussière s’était redéposée et il était désormais possible de voir à nouveau.
Pendant son absence, Céleste avait réussi à attraper le petit rongeur. Le rat, gris et crasseux, gisait entre les pattes du félin satisfait. Céleste paraissait essoufflée. La lutte avait dû être rude. Dans leur course folle, de nombreux cartons s’étaient écroulés sur l’ancien vélo de Mélina. La chute avait déversé leur contenus. Accroché au guidon, Mélina aperçu un objet brillant suspendu par une chaînette aux reflets dorés. Prudemment, elle escalada la valise moisie, rampa sous le bureau, évita les deux ballons de foot crevés et poussa le fauteuil de bureau pour libérer son chemin. La bicyclette, inutilisée depuis trois longues années, avait perdu ses couleurs étincelantes. Sa peinture écaillée d’un vert sale pourrait à présent lui servir de camouflage en pleine forêt. La selle grignotée était tordue et la roue arrière était complètement recouverte de toiles d’araignées. Caressant le guidon encore intact, Mélina se remémora les prouesses fabuleuses qu’elle accomplissait sur son vélo. À seulement sept ans, elle parvenait notamment à lui faire descendre des escaliers. Ses cascades étaient impressionnantes. Elle n’avait peur de rien. Pourquoi était-elle tombée ce jour-là ? Comment la branche s’était-elle incrustée entre les rayons ? Mélina ne comprenait toujours pas. Il n’y avait pourtant aucun arbre à proximité. C’était insensé !
Après cet incident, bien sûr, Lorna l’avait confisqué et s’était assurée que Mélina soit dispensée de cyclisme à l’école. Certes, l’accident avait failli lui coûter la vie mais n’était-ce pas un peu extrême comme réaction ? Oui, elle aurait pu être écrasée par le camion. Mais pourquoi ce 35 tonnes s’était-il retrouvé sur cette route habituellement déserte ? Après l’avoir manqué de peu, le chauffeur (parfaitement sobre) avait affirmé qu’il ignorait la raison qui l’avait poussé à se détourner de son itinéraire initial.
En tout cas, c’était une belle bécane. À l’époque. Avant cet incident.
La mélancolie s’était emparée de Mélina. Une larme coula sur sa joue. Elle aimait tellement faire du vélo. Ce n’était pas qu’un simple moyen de transport pour elle. Hormis la sensation de vitesse enivrante, c’était avant tout les ballades d’exploration qui lui manquaient. Ces fameuses promenades en forêt durant lesquelles son oncle Fred lui contait divers mythes et légendes. Agrippée au guidon, elle imaginait les nymphes et les gnomes se faufilant entre les arbres. Elle avait même cru en voir un, une fois. D’après oncle Fred, ce n’était qu’un écureuil. Dommage.
Après ce jour, il avait tenté de poursuivre ses histoires lors de randonnées pédestres. Ça n’avait plus la même saveur. Mélina trainait des pieds et écoutait à peine. C’était si ennuyeux ! Comme si tous les contes avaient soudainement perdu leur magie. Comme si ça n’avait plus aucune importance. Heureusement qu’il avait pensé à lui faire découvrir l’astronomie.
Tel une étoile filante, Céleste se précipita vers Mélina.
Pourquoi pleures-tu ? Aurait-elle voulu demander. Elle se frotta contre les mollets de la fillette. Quel que soit le moyen utilisé, il fallait absolument lui remonter le moral. Mélina était triste ! Voilà ce que Céleste détestait par dessus tout. Rien n’était plus atroce pour le chaton.
Constatant avec effroi que son contact affectueux était inefficace, elle lui apporta le cadavre, encore chaud, du rongeur. Les humains aiment les cadeaux. Ça lui fera forcément plaisir.
Raté ! Mélina sembla avoir un haut-le-cœur et recommença à pleurer de plus belle. Peut-être était-elle émue ? Ou était-elle attachée à ce rat ? Était-il un animal domestique, comme Céleste ? Avait-elle commis une terrible erreur en exterminant cette vermine ? Décidément, elle ne comprendrait jamais ! Jouer ! Ça c’était une bonne idée ! Généralement, ça la faisait rire. Les chats ne sont pas des clowns mais avouons-le, ils sont beaucoup moins flippants. Céleste avait d’ailleurs une peur bleue de ce déguisement grotesque. Avec leurs visages blafards et leurs maquillages excentriques, ces monstres de cauchemars lui auraient presque donné envie de câliner un concombre. Beurk ! Un concombre ! Quel félin sain d’esprit pourrait apprécier ce long truc vert malodorant ?
À cette pensée, Céleste réprima un frisson de dégoût. Mieux valait se concentrer sur son objectif principal. Être drôle.
Elle secoua la tête pour chasser ses idées néfastes. Que pourrait-elle faire pour amuser l’enfant ? Plongée dans ses réflexions, elle commença à faire sa douzième toilette de la journée. Rien de mieux qu’un pelage bien lustré après une activité intense. En passant sa patte derrière son oreille, son regard se posa sur le collier suspendu. Bingo ! Un objet brillant qui se balance ! Deux ou trois coups de griffes et le tour sera joué.
En voyant Céleste attaquer le médaillon, Mélina rigola enfin. Voir son chat bondir comme un pantin sur ressorts était inhabituel. En général, les proies du chaton étaient toujours comestibles. Qui aurait pu croire qu’un collier poussiéreux l’intéresserait ? D’ailleurs, n’était-ce pas pour lui que Mélina avait traversé le grenier à la base ? Elle tendit la main vers la chaîne dorée et l’attrapa.
- Qu’est-ce qui se passe ici ? Lança brusquement Lorna en franchissant la trappe. Du rez-de-chaussée, elle avait entendu le vacarme provoqué par la chute des cartons. Elle observa la scène. Les cartons renversés, le rat, le chat, le collier dans la main de Mélina. Le collier ! Son cœur s'accéléra.
- Mais je rêve ! Tu provoques des catastrophes partout où tu passes !
Elle poussa les obstacles sur son chemin et se précipita derrière Mélina. Elle ramassa quelques objets qu’elle fourra rapidement dans le carton le plus proche. Elle arracha le pendentif des doigts de la fillette. Lui aussi fila au fond du carton.
Sans rien dire de plus, elle emporta le tout et quitta la pièce.
Que venait-il de se produire ? Toujours assise près de son vélo, Mélina caressa machinalement les poils soyeux de Céleste. Fermant les yeux, elle tenta d’assembler les pièces du puzzle. Tout s’était passé si vite ! En un éclair, Lorna s’était emparée du médaillon et avait disparue. À bien y réfléchir, elle avait l’air bien plus inquiète qu’en colère. Inquiète ? Non, terrorisée ! La réaction de sa tante n’avait aucun sens ! Elle avait mentionné une « catastrophe ». En quoi l’éboulement était-il si grave ? De quoi avait-elle si peur ? Pourquoi avait-elle emmené ces objets spécifiques ? Que cachait-elle ?
En tout cas, une chose était sûre. À présent, il fallait absolument que Mélina retrouve ce trésor potentiel.
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