Pourtant, Mélina espérait se tromper. S’il jugeait la réaction de Lorna comme étant inappropriée, il pourrait peut-être lui révéler l’emplacement du carton (ou son contenu). Pour cela, elle allait devoir attendre une journée entière. Tant qu’elle n’était pas couchée, Lorna ne pouvait rien raconter à son compagnon. Le lendemain matin, il partirait au travail, reviendrait brièvement pour manger vers 13 h et repartirait en vitesse. Il serait donc impossible pour Mélina de l’interroger. D’ailleurs, comment obtiendrait-elle des réponses honnêtes avec sa tante dans les parages ?

- Tonton ? On pourrait aller se balader en forêt demain ?

Intrigué, il leva la tête de son assiette presque vide. De grosses cernes se démarquaient de son visage. En le voyant ainsi, Mélina aurait dû comprendre que le moment était mal choisi. Lorna, de son côté, se demanda s’il n’avait pas pleuré. Peut-être avait-elle encore une fois été trop brusque ? À bien y réfléchir, elle l’avait peut-être poussé à bout. Oui, c’était un homme doux et gentil. Mais, était-ce une bonne raison pour lui hurler dessus à la première occasion ?

- Je t’y emmènerai demain, proposa Lorna d’une voix douce. Et après, on ira faire les courses toutes les deux. Ton oncle a besoin de se reposer.

À la fois surpris et ravi, Fred esquissa un sourire. Finalement, sous ses couches de dureté inflexible, la femme qu’il aimait était toujours là. De son côté, Mélina ouvrît la bouche pour protester. Pourtant, elle n’y croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Depuis quand sa tante était-elle si gentille ? Le faisait-elle exprès pour l’empêcher de parler à son oncle ? Comment pouvait-elle contourner cette proposition ?

D’une voix timide, Mélina lança :

- En fait, j’espérais parler de l’exploration spatiale.

Lorna faillit avaler de travers et toussa bruyamment en se tapotant la poitrine. Elle prit une gorgée d’eau et regarda son mari avec inquiétude. Le moment qu’elle redoutait tant était-il en train d’arriver ? Il était peut-être temps qu’elle en parle à Fred. Ensemble, ils pourraient sans doute l’empêcher de tout découvrir. Ils pourraient peut-être la sauver. Perdue dans ses pensées, Lorna avait perdu le fil de la conversation. Elle avait vaguement entendu Fred répondre pourtant. Qu’avait-il bien pu dire pour que Mélina se mette à bouder de la sorte ?

La mâchoire serrée, Mélina fixait ses genoux en croisant les bras. Dans sa tête, la voix cassante de son oncle tournait en boucle.

- Je suis fatigué. Pourquoi ne regardes-tu pas dans tes livres comme d’habitude ?

C’était le monde à l’envers ! À croire que ces deux-là avaient subitement échangé leur personnalité ! Repensant au film Freaky Friday qu’elle avait vu la semaine dernière, Mélina l’envisagea brièvement. Ça serait marrant si c’était le cas. Malheureusement, elle savait au fond d’elle que ce n’était qu’un fantasme de petite fille trop rêveuse. Dans la vraie vie, la magie n’était qu’une illusion. Inutile d’espérer. La véritable magie n’existait pas. Que cela lui plaise ou non, il fallait bien qu’elle s’y fasse.

Apparemment, personne ici n’avait l’intention de répondre à ses questions. Tant pis. Si c’était la seule solution, Mélina fouillerait la maison de fond en comble.

Oui mais comment le faire sans que sa tante ne s’en aperçoive ? Depuis le début des vacances d’été, Lorna n’arrêtait pas de surveiller Mélina. Elle ne mettait même plus les pieds dans son atelier. D’après ses dires, on ne lui avait demandé aucune illustration. Évidemment si elle délaissait son site web, ça n’avait rien d’étonnant.

Cependant, vu les nombreuses commandes que recevait sa tante en temps normal, Mélina la soupçonnait d’avoir volontairement mis son activité en stand-by.