6. Avarice
Une douleur sourde le fit trembler. Elle s'insinua d'abord entre ses omoplates, avant d'allumer un incendie qui enflamma son crâne, entraînant une décharge électrique dans l'entièreté de son corps. Il aurait hurlé s'il en avait eu l'instinct. Mais sa première réaction fut d'apposer une main à l'endroit où avait surgi la douleur initiale. Lorsqu'il la ramena devant ses yeux, il s'attendait à y trouver un liquide visqueux, la preuve quelconque d'un problème : la seule chose qui la maculait n'était que la terre incrustée dans les pores ouverts de sa peau.
Il ne comprenait pas ce qu'il avait ressenti, et plus il y réfléchissait, moins cela lui semblait réel. C'était une impression fugace, qui l'avait bousculé avant de s'en aller en emportant avec elle toute trace de sa présence. Quand Jason s'était placé entre eux, il n'avait pas eu le temps de comprendre ce qui se passait. Ils s'étaient ensuite remis à avancer, Lucien marchant dans ses pas, mais l'autre ne lui avait pas dégoisé un seul mot depuis l'incident. L'inflexion grave de la voix de Jason lorsqu'il avait parlé, lui donnait de plus en plus l'impression de lui avoir été adressée. Pourtant Dieu savait sûrement qu'il n'avait rien fait de mal. Et pourtant, il commençait à en douter. Au creux de son ventre, le nœud restait serré, et ses lèvres figées coupaient tout échappatoire aux questions qu'il désirait poser.
Son regard rivé sur le béton, il laissait la distance s'installer. Pourquoi ce geste le faisait-il autant souffrir, il l'ignorait. Il ne l'avait rencontré que quelques heures plus tôt, mais déjà il lui avait semblé qu'ils pourraient s'entendre. Enfin, c'était mieux ainsi. De toute manière, lorsque Jason lui serait venu en aide, il disparaîtrait certainement de son existence, le fuyant au premier moment venu. Cette idée forma un grand vide dans le cœur du garçon. C'était ridicule, et pourtant sincère.
- Tu as quelque chose d'étrange en toi. Je n'aime pas le comportement qu'elle a eu envers toi... Mais je le comprends. Tu attires les gens comme des aimants.
Lorsque Jason se tourna vers le blond à sa dernière phrase, celui-ci sentit une chaleur désagréable s'étendre sur son visage. Un léger tremblement secoua son corps. Il passa sa main dans ses cheveux blonds, détournant les yeux du visage de son ami, qui restait figé. Lucien se demanda s'il attendait sérieusement une réponse, car il n'avait rien à dire à cela. Jason parut prendre conscience de ses propres propos, et de leur exacte teneur.
- Je suis désolé.
- Ne le sois pas. J'aimerais juste comprendre qui je suis, ce que je faisais avant, ce que je dois faire. Et vous êtes tous là à me regarder comme si j'étais différent.
- Tu l'es.
Le regard bleu du jeune homme remonta de quelques centimètres. Il s'attendait à voir Jason lui sourire, dans l'entrain qui l'habitait depuis qu'il avait fait sa rencontre, mais ce n'était pas le cas. Son sérieux était presque effrayant.
- Je ne le suis pas, arrête de le croire.
Sans se départir du calme qui l'habitait, le garçon dépassa son compagnon pour lui faire comprendre qu'ils devaient se remettre en route. Il en avait assez d'être au centre de l'attention, c'était malsain, et maintenant qu'il s'en était rendu compte, il lui était impossible de tourner la tête sans croiser un regard dans sa direction. Pourtant, il n'en ressentait pas d'énervement, juste une immense gêne. Puis à un moment donné, les visages se firent de plus en plus rares, jusqu'à ce qu'il n'en vît plus aucun.
À cet instant, la confusion l'immobilisa. Il lui était impossible de savoir qui tentait de venir en aide à l'autre. Ils marchaient sans destination, tantôt Jason, tantôt lui-même en tête du duo.
Rien n'avait de sens.
La situation en prit encore moins l'instant d'après. Un visage déboula dans la rue déserte où ils se trouvaient. À sa main, un objet qui réfléchissait violemment la lumière attira l'attention du blond. Sans qu'il eût le temps de prononcer le moindre mot, Jason se plaça une fois encore devant lui. Les deux compagnons avaient conscience du danger. Seulement, l'un d'eux le voyait réellement, et l'autre ne faisait que l'imaginer.
- Je veux vos téléphones, et votre fric !
Honnête, le blond répondit qu'il ne possédait rien. Le troisième homme s'avança, menaçant, et l'objet s'anima dans sa main. Jason se crispa en bouclier devant Lucien. Ce fut rapide, et aucun d'eux n'eut le temps de comprendre ce qui se passait.
La destination était atteinte. C'était la fin.
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