8. Man’s land

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Paris, jeudi 23 janvier 1986, 3 heures 45

Le froid mord et dévore la nuit, défigurée par le givre. Après leur conversation nocturne sur les ondes, il n’avait pas eu d’autre choix que de se résigner à ne pas l’attendre à la sortie du studio 102. Leur premier contact téléphonique public n’avait certes pas nourri tous les espoirs de rapprochement qu’il avait projetés dans ses rêves les plus fous, mais il avait permis de briser la glace. Désormais, elle savait qu’il l’aimait, la désirait plus que tout. La frustration n’en était pas moins grande pour autant. Seulement, ce n’était pas un rejet pur et simple, non ! Si elle avait dû écourter cette rencontre virtuelle, c’était sans doute par pudeur et sous pression hiérarchique. Pas parce qu’elle n’avait pas été touchée par sa déclaration.

La nuit s’étire et fait tournoyer des images pornographiques devant le gris de ses yeux. Il s’est arrêté dans le quartier chaud de Pigalle, en contrebas de la butte Montmartre, il a garé sa vieille 204 le long d’un trottoir éclairé par les enseignes multicolores et les néons aussi flashy qu’aguicheurs d’un sex-shop devant lequel tapinent quelques prostituées. Le transistor à piles grésille, la vieille Peugeot n’étant pas équipée d’un autoradio. Mais même parasitée d’interférences, la voix d’Amanda continue de l’accompagner dans sa solitude intérieure. Dans la pénombre de l’habitacle de la modeste berline, il s’allume une clope et la fume, à défaut de pouvoir se masturber pour se soulager. Les putains et les peep-shows coûtent cher, il se contentera de se rincer l’oeil en matant les étals des magasins de luxure. Parfois, certains couples libertains viennent s’y exiber, et parfois, ces mêmes couples invitent les voyeurs esseulés et perdus dans l’érotisme sulfureux des rayonnages frivoles à se joindre à leur joute charnelle. L’homme encapuchonné espère que ce sera le cas quand il pénètrera dans cet antre des plaisirs, qu’il aura pour une fois cette chance d’être au bon endroit, au bon moment...

Quartier de la Goutte-d’Or, un meublé miteux situé au premier étage d’un immeuble vétuste. L’homme aux yeux gris rentre dans son lugubre deux pièces. Il se désape et s’allonge à moitié défroqué sur son plumard. A la lueur d’une petite lampe à poser old style, il s’empare du livre qui trône sur sa table de chevet vintage. Ce n’est pas le sourire évanescent de Marilyn Monroe habillant la couverture du bouquin qui l’intéresse, non, c’est plutôt son verso. En particulier, le visage de l’auteure qui s’y affiche et qu’il caresse de son pouce.

— Amanda… Un jour, tu seras mienne et la nuit nous appartiendra !

***

Bobigny (93), jeudi 23 janvier 1986, 6 heures 30

Dans la cage de verre de la station-service 24 heures sur 24 dans laquelle il officie, le jeune homme aux prunelles grises débute son tiers-temps matinal.

— Salut Damien…

— Salut Laurent !

— Alors, comment s’est passée ta nuit ?

— Tranquille, rien à signaler.

Les deux pompistes se serrent la main pour le passage de relais.

— A demain !

Damien quitte les lieux tandis que son collègue s’installe derrière le comptoir. Ce dernier tire un ouvrage broché de son sac à dos : Éternelle Marilyn, d’Amanda Quest. Jusqu’à il y a peu, il ne s’était intéressé ni à cet unique écrit de l’auteure, ni à l’émission radiophonique nocturne qu’elle animait. Mais l’article du Figaro Magazine sur lequel il était récemment tombé, et la photo qui l’illustrait avaient depuis lors changé la donne. Désormais, il le savait, Amanda Quest et Chris Ever, son énigmatique maîtresse, n’étaient en réalité qu’une seule et même personne, une seule et même femme. Celle qui le hantait dans ses fantasmes les plus osés, les plus interdits. Les plus inavouables… Dès l’instant où il le comprit, tout connaître d’elle devint pour lui une obsession.

— Qui es-tu vraiment, Amanda, ma « petite chatte » si secrète ? Bientôt, je le saurai, ma belle ; bientôt, je t’aurai percée à coeur et mise à nu, complètement. Bientôt...

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