Seul
Le Professeur faisait marche. Jamais je n'avais lu une telle expression sur son visage, je le connaissais depuis longtemps, très, longtemps. À ses côtés, j'ai voyagé à travers les Univers, depuis ce jour bénis, ou sur Terre, dans les années 2020, il m'avait enlevé au sort qui était le mien, celui d'un paria, sur Terre, les gens comme moi n'étaient pas aimés. Mais lui s'en moquait, son visage souriant m'avait aidé bien des fois par le passé. À l'époque, je n'avais que neuf ans, et pourtant, je pouvais déjà la lire, la tristesse de son regard. La colère était rare chez cet homme, mais la tristesse ne le quittait jamais. Je compris plus tard que cet homme portait sur ses épaules le destin de l'Univers, et la tristesse de mondes qui ne sont plus. Et ce jour, serait le plus triste de sa longue vie.
- Kaetus ! Êtes-vous devenu fou ?! Quand Les Premiers sont, ils sont devenus des assoiffés de sang ? Quand, mon peuple a-t-il décidé que la guerre était la solution ?! Expliquez-moi, dit Le Professeur.
- Professeur, vous voilà donc enfin, de retour parmi les vôtres, nous vous attendus, durant des millénaires, ou plus ? Certains d'entre nous ont oublié le visage que vous aviez. Par chance, le temps n'existe pas pour nous, sinon vous ne seriez aujourd'hui rien d'autre qu'une légende... Mais vous avez raison, nous vous devons des explications, après tout, vous êtes Le Professeur. Les Humains sont allés trop loin ! Ils menacent l'équilibre ! Nous avons voulu fermer les yeux sur leurs actions récentes, mais il est maintenant impossible de continuer ainsi ! Vous avez essayé de les guider, de leur inculquer la sagesse, la bonté, ils se sont défiés de vos enseignements, ils mettent le cosmos sens dessus dessous. Avez-vous vu ce qu'ils ont fait sur Antares ?! Les Typaloniens ont été réduits en esclavage ! Vos protégés sont dangereux pour l'équilibre, et si nous ne les arrêtons pas, alors qui le fera ?
Mon espèce était si mauvaise ? Je m'en doutais évidemment, ce n'était pas un mystère, mais à ce point ? J'ai vu la cruauté des hommes, je l'ai connu très jeune. Mais j'ignorais qu'ils iraient si loin.
- Les Hommes sont des conquérants, je le sais mieux que quiconque, et c'est vrai, ils sont problématiques, je pensais qu'ils apprendraient, mais ce n'est pas le cas. Mais jamais, je n'autoriserais à ce que le conflit se règle ainsi, je m'en occupe, laissez-moi le faire, je ne permettrais pas que vous ne preniez les armes. Il y a eu assez de bains de sang dans l'Univers, il n'est pas nécessaire d'en causer un autre. Je connais le danger qu'ils représentent, mais je refuse de voir un autre génocide se dérouler sous mes yeux.
Ils se faisaient face, cet homme que je supposais être un général, et Le Professeur. Ils se dévisageaient, aucun des deux ne fit le moindre geste, je crus voir ces duels de regards entre deux animaux sauvages, comme on en voit dans les documentaires terriens. Deux bêtes, puissantes et anciennes, qui se toisaient, lequel sauterais le premier à la gorge de l'autre ? Si Le Professeur était toujours souriant, il ne m'avait jamais semblé aussi imposant, aussi dangereux. À cet instant précis, moi qui l'avais accompagné durant ses plus dangereux voyages, je ressentais une peur profonde en le regardant. Ses yeux lançaient des éclairs et sa langue était aussi acérée qu'une lame Praetorienne, Le Professeur, avait fait tomber son habit de clown. Il me semblait être un général, un chef de guerre, un meneur, qui était-il ?
Plus je l'observais, plus je me demandais si je connaissais Le Professeur, si je l'avais déjà réellement connu ? Il est vrai qu'il ne parlait jamais de son passé, ou très peux, il ne racontait que des anecdotes sur sa chère maman, ou sur ses voyages. Mais de quoi était faite sa vie ? Même pour moi, c'était un mystère. Chacune de ses paroles semblaient être celles d'un autre homme, il ne se ressemblait pas. Il disait souvent " votre visage vous ressemble, je vous envie ", je pense comprendre un peu mieux ce qu'il disait. Un être aussi complexe ne pouvait pas être autre chose que lui, et pourtant, il était tant de choses à la fois, qu'il ne se ressemblait pas.
- Kaetus, vos hommes, ne quitteront pas cette planète, je l'interdis, je suis Le Professeur, je ne suis pas votre grand-mère. Je fais encore aujourd'hui figure d'autorité sur cette planète, cette guerre est ridicule, elle n'aura pas lieu. Je m'occupe des Hommes, nous ne perdrons pas de soldats pour une telle futilité.
Le fameux Kaetus n'eut pas le temps de répliquer. Le Professeur se défia de lui et le contourna. Son regard devenu froid, fixé sur le plus haut bâtiment à l'horizon, il avait repris sa marche. Lui qui d'habitude courait avec une excitation palpable, aujourd'hui, il marchait, d'un pas ferme, certainement cogitait-il, il savait ce qu'il devait faire, il savait ce qu'il allait faire. Un jour, il m'a raconté sa plus grande erreur, une erreur qu'il fit dans le passé, mais qui était au futur. Alors qu'il voyageait, alors qu'il venait de terminer son dernier tour de l'Univers, il avait visité chaque planète, étudié chaque étoile, et même les autres Univers, les autres bulles comme il les appelaient, même eux n'avaient plus de secret pour lui. La seule chose qu'il ignorait, c'était l'avenir, mais pas n'importe quel avenir, le sien. Il s'était toujours interdit de chercher à le connaître, mais sa soif de connaissance, sa curiosité ne connaît pas de fond. Ce jour-là, il plongea son regard dans le futur, dans son, futur. Il vit tout ce qu'il ferait, toutes les portes qu'il fermerait, il vit qu'il ne pouvait sauver tout le monde, mais qu'il essaierait quand même, il vit qu'il continuait de vivre comme il l'avait décidé par le passé. Il vit les planètes et les étoiles à naître, et finalement, il vit le jour que nous vivons. En ce jour, il savait qu'il connaîtrait une tristesse qu'il n'avait jamais connue auparavant. Malgré toutes les présences du monde, il savait qu'il serait seul.
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