Un cœur des deux côtés
Des cris. Encore des cris. Jamais ils ne cesseront. Chaque soir. Je les entends inlassablement dans ma tête. Ils raisonnent, tournent autour de moi et prennent possession de mes pensées. Je bouche mes oreilles. Rien à faire. Je hurle, mêlant haine et désespoir. Pourquoi me font-ils ça ? Je décide de me lever de mon lit et d’ouvrir la porte. Je m’arrête devant le seuil avec cette musique amplifiée. Toujours plus de cris. Mon cœur se serre. Une boule se forme à l’intérieur de ma gorge. Je ressens la même sensation que lorsque la maîtresse me rend une évaluation. La sensation de ne pas être à la hauteur selon ma mère ; elle me fait peur.
Je secoue négativement la tête pour me remettre les idées en place. J’essaie de respirer délicatement, mais je ne peux m’empêcher de trembler, tandis qu’un long flux chaud et salé caresse mes joues.
Je jette un dernier regard en direction de ma chambre, au final mon cocon, là où je me réfugie quand tout va mal. Comme aujourd’hui. Je passe enfin le seuil de la porte et fais quelques pas en direction des escaliers. Plus je marche, plus la cacophonie empire. Je souffre pour avancer. Lorsque je m’engage sur ces marches moquettées, je distingue cette longue descente presque sans fin. Mes yeux ne cessent de se remplir de larmes pour les rejeter ensuite. Je n’arrive presque plus à respirer. Ma cage thoracique semble aussi tétanisée que moi. Je continue de descendre ces foutues marches. Doucement, prudemment. Je sens le tumulte se rapprocher. Lorsque je pose le pied sur le carrelage blanc et froid, l’adrénaline me saisit. Mes parents sont rouges vifs. Ils me fixent, sans bouger, d’un air désolé, comme s’ils venaient de se rappeler que j’existais. Je suis pétrifié, comme pris en faute. Au moins, les vociférations ont cessé.
Mes lèvres tremblent. Ma mère me demande d’approcher d’une voix la plus douce qui soit. Ils se mettent tous les deux à genoux pour arriver à ma taille. Mon cœur bat la chamade, prêt à exploser. Mon père me prend la main et ma mère pose une paume délicate sur ma joue pour enlever mes larmes. Elle retire mes petites lunettes rondes, les nettoient et les reposent sur mon nez humide. Elle regarde subrepticement mon père, qui acquiesce rapidement. Que veulent-ils me dire ?
— Alors Léo, commence ma mère, il faut qu’on te dise quelque chose. Avec ton papa, on se crie dessus beaucoup trop souvent.
J’ai remarqué… Où veut-elle en venir ?
— Donc, ton père et moi avons décidé de s’arrêter là, finit-elle.
Ne comprenant pas bien ce qu’elle veut dire, je demande d’une voix chevrotante :
— Comment ça ?
Cette fois-ci, c’est mon père qui prend la parole :
— Ce que veut dire ta mère, c’est qu’on va se séparer, Léo.
Je les dévisage, puis évacue. Je plonge mon visage dans mes mains et pleure à chaudes larmes. Un torrent s’empare de moi, me laissant dériver dans un sombre cauchemar. Ma vie ne sera plus jamais pareille désormais, je le sais. J’ai de la chance, parce qu’à six ans et demi on ne s’en rend pas forcément compte.
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