Le joli mois de septembre, où comment se sentir submergée par la vague de la rentrée
Après deux mois de vacances savourées en repensant avec fierté à tout le travail accompli l’année dernière[1], j’ai attaqué la reprise avec un nœud à l’estomac. Depuis plusieurs jours, je me répétais sans cesse : « Et maintenant que j’ai fini mon bouquin, qu’est-ce que je vais faire de ma vie. »
Comme à mon habitude, j’ai posé cette question à l’Univers et j’ai demandé à être guidée. Une semaine s’est écoulée avant que les idées ne se mettent à fuser, m’inondant chaque jour un peu plus. J’ai réfléchi à la manière de diffuser mon message et entrepris de me lancer dans la création d’un blog, toujours en cours de construction. Puis, j’ai pensé qu’il serait bon de communiquer via un autre media et YouTube s’est imposé de lui-même, avec son offre de vidéos tant professionnelles qu’amatrices.
Le hic, c’est que je ne possède aucune compétence en montage et en réalisation de film, même très courts. Néanmoins, avec tous les tutos disponibles, j’ai entrevu la possibilité de me former sur cette plateforme aux vertues fortement pédagogiques. Enfin, bien que j’eusse dit quelques jours avant que je n’écrirais pas un livre sur la boulimie, et encore moins un guide pour aider les gens à s’en sortir, je me suis réveillée un matin en n’ayant plus qu’une obsession : le rédiger. J’ai aussi réfléchi à l’idée de réaliser un podcast, sous formes de petites capsules, longues de 15 à 20 minutes, qui regrouperait dans chaque épisode conseils et anecdotes de la survivante que je suis.
Tous ces projets me tiennent autant à cœur les uns que les autres, vraiment, car je souhaite aider les personnes souffrant de T.C.A. en leur offrant des moyens concrets de quitter leur addiction.
Alors, j’ai relevé mes manches et je me suis lancée à corps perdu dans chacune de ces entreprises, cherchant et trouvant comment faire pour créer un blog gratuit, étudiant et listant les étapes nécessaires à la création d’une chaîne YouTube, m’attelant à la rédaction de mon second livre, « Guérir la boulimie, une histoire sans faim » —le nom est encore à l’essai. Et pour finir, j’ai étudié le déroulement des différentes phases en lien avec la production de podcast.
Vous serez d’accord que cela fait beaucoup d’un coup, surtout quand on ne maîtrise pas vraiment l’outil informatique pour la création de contenus, pourtant, au fond de moi, je sens que je dois explorer toutes les pistes.
Depuis que j’ai commencé mes recherches, chaque jour, je suis prise entre deux feux : l’excitation du développement d’un nouveau projet, mais aussi la peur de ne pas y arriver. En dehors de l’écriture que je maîtrise, le reste, je ne sais pas le faire et cela va me demander du temps pour apprendre à me débrouiller afin de tout concrétiser. J’ai l’impression d’être aux pieds d’une montagne, l’Everest assurément, et je me sens découragée à l’avance, comme si j’allais être incapable d’atteindre mes objectifs, et que je ne serais pas à la hauteur de la mission que je me suis donnée. Ce sentiment d’impuissance, je le ressens dans mon corps, constamment sous tension, crispé et douloureux, ainsi que dans ma tête, dont les pensées embrouillées ne semblent jamais vouloir s’arrêter de tourner, entraînant des migraines. Mon système nerveux, dominé par le stress, m’apparaît quant à lui allergique au repos. Pourtant, je ne peux plus lever le pied, emportée par l’écrasant but que je me suis fixé.
Or, comme me l’a très bien expliqué Stéphanie, ma thérapeute, trop de « stress » nous fait replonger en mode « survie ». Avant, c’était par le biais de la boulimie de nourriture que j’apaisais cette désagréable situation d’urgence. Aujourd’hui, je réalise que mon tempérament excessif ne se manifeste pas qu’à travers la bouffe. Je veux tout et tout de suite. Ma détermination confine à l’entêtement, me laissant entrevoir que ma boulimie alimentaire s’est déplacée vers une boulimie d’activités, certes beaucoup plus utiles et positives, mais tout aussi excessive, donc dangereuse.
Je sais que je ne retomberai pas dans mes anciens travers, il n’en est pas question. Je n’ai même aucune envie d’y retourner. J’ai déjà donné, merci. Vingt-six ans à manger et vomir ont causé suffisamment de dégâts dans ma vie, à commencer par m’avoir volé mon temps.
D’ailleurs, c’est tout le sujet de mon stress aujourd’hui : le manque de temps.
42 ans. Peut-on réaliser sa mission de vie après avoir déjà bouffé la moitié de son existence ?
Chaque matin, je me réveille nauséeuse, pressée par la nécessité de devoir écrire, de devoir réfléchir, de devoir avancer. Et un mois après la rentrée, je n’en peux déjà plus.
Trop, c’est trop.
Quand je lis le soir, avant de me coucher, je pense à tout que j’ai oublié d’écrire dans la journée. Quand je regarde un film, mon cerveau vrille sur l’identité visuelle que je n’ai pas encore créée.
Quand je mange seule ou que je me douche, j’écoute des podcasts pour apprendre plus.
Quand je fais l’amour avec mon homme, mon corps souffre, déconnecté d’un désir qui tarde à arriver, mon esprit étant trop occupé à s’inquiéter de tout ce qu’il me reste encore à faire.
Quand ma fille me parle, je dois fournir un gros effort de concentration pour l’écouter et retenir ce qu’elle me dit. J’ai l’impression de la regarder sans la voir, petit hologramme transparent.
Je ne me sens pas tant submergée par mes activités quotidiennes, que par les pensées qui me mettent constamment la tête sous l’eau, avides de me noyer. Elles affluent sans discontinuer, passant d’un extrême à l’autre, m’ordonnant tantôt de tout abandonner ou de redoubler d’efforts, quitte à y laisser ma santé :
— Tu as perdu trop de temps avec la boulimie. Tu as gâché ta vie. Laisse tomber.
— Il est trop tard, maintenant. Il y a trop à accomplir pour réaliser ton grand projet et plus assez de temps pour tout créer. Arrête de te fatiguer.
— Tu n’y arriveras pas. C’est perdu d’avance. Choisis autre chose de moins compliqué.
— Tu dois bosser davantage pour rattraper le temps perdu. Arrête de te reposer.
— Tu n’as plus le temps, plus le temps, plus le temps pour autre chose que travailler.
Assaillie par un tel discours intérieur, j’ai souvent envie d’abandonner. Je me répète alors que je pourrais tout laisser tomber, me contenter de ce que j’ai réussi à accomplir jusqu’ici, ma sortie de l’addiction et de la prostitution, l’écriture de mon premier livre, et me trouver un petit taf alimentaire tranquille, avec des horaires pépères, sans pression. Je pourrais, évidemment, mais ma petite voix off, celle qui vient de mon âme, me dit que je ne peux pas. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour rien. Je ne me suis pas tant battue pour déclarer forfait et mettre mes rêves de côté.
Même si je crois sincèrement que cette petite voix amie a raison, je dois lutter chaque matin au réveil, et à chaque instant de la journée pour l’écouter, elle, plutôt que mes pensées démoralisantes.
Après un début de mois intense mais enthousiasmant, ces jours-ci ont été très compliqués. En replongeant dans l’écriture, j’ai revu cette ancienne version de moi et j’ai senti mon cœur se serrer. J’ai éprouvé la sensation d’être prise à la gorge, tellement déçue de mes choix merdiques et de mon passé sinistre, tellement coupable de n’avoir pu ou su réagir plus tôt. Si j’avais réussi à me faire soigner plus rapidement, si je pouvais tout recommencer, je n’en serais pas là aujourd’hui, dépassée par mes ambitions, à cran de devoir repartir à zéro, remplie de remords et de regrets.
Avec des « si » on coupe du bois, et je ne suis pas Charles Ingalls.
Nous sommes ici et maintenant et le passé est terminé. Et même s’il ne se passe pas un jour sans que je ne me sente triste ou en colère de « n’avoir rien fait de ma vie », je me force à regarder vers l’avenir. Il n’y a que le futur sur lequel je puisse agir, rien d’autre. Je ne peux pas revenir en arrière, je dois poursuivre ma route en direction de mon rêve, en partant de là où j’en suis, même si c’est trop bas selon mon juge intérieur. Je dois accepter mes « erreurs » d’antan, et aller de l’avant.
Mon projet de vie, la mission que je me suis donnée, me paraît par moments trop grand mon moi, trop lourd à porter pour les épaules d’une seule personne. Pourtant, une part de moi m’assure que je peux le faire, que je peux y arriver, même si l’ampleur de la tâche me semble démesurée. Alors, je me répète inlassablement :
— Je peux y arriver. Qu’importe le temps que ça prendra, je peux y arriver.
— D’ailleurs, je vais y arriver. Rien de ce que j’entreprendrai ne sera vain.
— Je peux me détendre et me reposer, j’ai le temps. J’ai le droit de souffler.
— Je suis aidée, soutenue et encouragée, je ne suis pas seule pour tout affronter.
— Même si je n’avance pas aussi vite que je le voudrais, j’avance, petit à petit.
— Un pas après l’autre, je gravis ma montagne, je monte mon Everest[2].
Quel que soit le défi, si l’on veut se réaliser, se reprogrammer est un processus constant du début à la fin de la vie. C’est un pouvoir que nous détenons depuis notre naissance, qui nous ait fourni avec la notice de fabrication de notre formidable machinerie, mais qui demande des efforts et de la volonté pour être utiliser.
[1] Après un peu plus d’an de travail, j’ai auto-publié mon récit autobiographique, « Happy endings, du silence de la prostitution à l’expression de soi, le parcours atypique d’une masseuse érotique ». Disponible chez Amazon, en versions numérique kindle et brochée.
[2] À ce sujet, permettez-moi de vous conseiller l’excellent dernier documentaire d’Inoxtag, un YouTubeur que je ne connaissais pas jusqu’à ces jours-ci et qui a réalisé un très beau film, tant par sa qualité d’images dépaysantes que par son contenu. Très inspirant et motivant.
Annotations
Versions