Je viens d'un monde mouvant, liquide et chaud où la pesanteur n'existe pas. Je m'y suis laissée flotter au gré du mouvement pendant huit mois. Il fait tout noir en dedans mais une voix douce me rassure souvent. Elle semble venir de loin mais elle est pourtant là, si proche. Elle se noie dans un flot de sons continus, indistincts, mais parfois lorsqu'il m'arrive de me sentir un peu à l'étroit, je jurerais que cette voix tendre et feutrée ne s'adresse qu’à moi. Dans ces moments-là, une densité étrange de l’autre côté du monde semble vouloir explorer les contours de ma présence et cette main se pose sur moi délicatement. Elle m'étreint lentement.

- « Reste encore un peu là toi, au creux de moi. » me dit-elle

Alors, le battement de son cœur, tambour omniprésent, s'emballe et bat la chamade de concert avec le mien. C'est la réminiscence d'un geyser de plaisir et d'amour confondus dans l'infinité de ma vie.

Une nuit, il s'est passé une chose étrange, j’ai fait un cauchemar et alors que je gigotais pour m'extirper de ce traquenard, j’ai senti que tout mon monde basculait. Elle n'arrivait plus à me rassurer, sa respiration s'était accélérée et le liquide qui m'entourait subitement s'échappa de ce nid douillet où rien ne m'était plus familier. Tout était en train de changer. Et je suis dit que c'était le moment d'y aller. Tête en avant, j’ai plongé dans le liquide qui s'échappait à travers un étroit tunnel et je me suis sentie glisser, happée par une force extérieure. Des instruments froids et métalliques m’enserraient le crâne de façon peu sympathique. J’ai pensé que c'était une bien étrange manière de m’accueillir.

Puis, j’ai été éblouie par une lumière blanche, froide et violente au-dessus de moi. Il faisait très froid et je me sentais blafarde sous cet épais manteau cireux. Tout n'était qu'agitation, sang et effroi.

Le temps que mes yeux s'acclimatent, mise au point focale, et d'étranges créatures toutes vêtues de blanc se sont penchées au-dessus de moi. Je ne distinguais que leurs yeux, leurs mains étaient recouvertes d'une peau de plastique, la salle était remplie d'étranges appareils gris et électriques qui émettaient des bruits électroniques constants. Tous s’agitaient et dans cette cacophonie généralisée, je n'entendais plus le bruit du tambour. J’étais terrifiée et la peur me maintenait en apnée. C'est alors que soudain, un homme m’a prise par les pieds et d'un tour de mains m’a renversée à nouveau la tête, de bas en haut, pour me redresser face à lui. J’ai alors plongé dans son regard brillant dans un étrange liquide, et je me suis reconnue dans les siens. Allez savoir pourquoi, je n’ai pu m'empêcher de crier.

Subitement à mon tour, mes yeux ont été submergés par des gouttes d’eau salées. J’étais soulagée quand il m’a déposée dans les bras d'une femme, laissant couler à travers moi un flot continu d'émotions inconnues jusque-là. Sa peau contre la mienne était chaude et douce et j’ai senti le souffle de ses lèvres sur mon crâne. J’ai alors reconnu sa voix tremblante me susurrer des je t'aime d’éternité. Ses seins sentaient bon le lait. Instinctivement, je les reniflais comme un petit animal. Frénétiquement, je finis par m’y agripper, happant des lèvres le nectar, comme pour finir par me convaincre de la tangibilité de son retour à moi. Voici l’histoire de ma première naissance car, oui, je suis née plusieurs fois je crois. La première fois, officiellement, était un jour blanc du mois de Mars, le deux exactement. C’était vers la fin de l’hiver, il neigeait. Ce jour-là, tout était immaculée dans le sang de ma vie, c’était un jeudi, un jour de foire. J’arrivai prématurément cinq semaines avant terme et ma mère suite à cet avènement, s’enfonça dans une dépression post-partum qui dura un an.