KO !
De l'autoédition... Il me tente. Mais tout de même, ce jeune homme travaille pour Gallimard, non ?
– Martin, je suis désolée de vous le dire, mais vous êtes trop modeste pour le coup. Quand Gallimard propose de publier un livre, qui va s'intéresser aux détails du contrat ? Personne ! Votre marque compte dans le milieu, et vaut adoubement de l'auteur. C'est d'ailleurs en partie cela que je paye... si je vous confie mon roman.
– Oui, certes, le nom Gallimard... Mais vous prenez tout de même un gros risque financier.
– Faites-moi confiance pour le limiter avec un contrat bien ficelé. Par exemple, si nous signons pour trois passages à la télé et quatre radios sur des émissions de grande écoute, et que vous faites correctement votre travail en me plaçant effectivement sur ces créneaux, les ventes vont suivre. On ne parle pas de best-seller, hein, mais de rentrer dans les frais. Je calcule mon point mort à huit cents, voire mille exemplaires, c'est raisonnable. C'est pour cela que j'ai besoin de savoir combien vous allez me coûter, pour définir le prix public du livre. En cas de succès imprévu, je peux même vous proposer une prime au-delà d'un certain seuil de ventes. En revanche, si vous n'êtes pas aussi efficace que promis, notre accord prévoit des compensations financières qui vont éponger mon éventuel déficit. Et vous n'avez aucun intérêt à ce que cela se produise, croyez-moi ! C'est gagnant-gagnant, équilibré, sain. Un vrai partenariat où chacun apporte son savoir-faire et se trouve rémunéré en conséquence. Alors, voulez-vous que je vous adresse un exemplaire de mon contrat auteur-éditeur ? Vous le transmettez à votre N+1 et vous me rappelez dès que vous avez les chiffres.
– Je ne sais pas... J'aimerais bien, mais je crois que vous rêvez un peu, quand même.
– Alors, cher Martin, disons que mon rêve sonne comme votre pire cauchemar. La réalité est dure, mais c'est le seul endroit où lire un bon livre, comme disait à peu près Woody Allen. Donc, vous n'allez pas vous réveiller d'un coup en retrouvant un monde confortable où les auteurs n'ont pas le choix et courent tous après l'éditeur qui daignera leur confisquer leurs droits en échange de celui d'espérer gagner des miettes dans une loterie trafiquée. Plus de quatre mille éditeurs, rien qu'en France, je vous le rappelle. De mon point de vue, c'est moi qui suis en position de force. Et tous les écriveurs d'aujourd'hui le savent : plus personne n'accepte l'idée de rémunération au micro-pourcentage sur les ventes. Alors recentrez-vous sur ce qui compte vraiment, votre métier d'éditeur et la valeur que vous pouvez ajouter à mon travail. En attendant je vous laisse : j'ai toute une communauté de tipeurs qui attendent du contenu à lire de ma part. Merci encore, Martin, et à bientôt.
Je raccroche avant qu'il ne me relance.
Je crois avoir réussi à rester calme, le chat n'a même pas été dérangé. Une journée qui commence bien vraiment. J'envoie mon contrat type à Martin, chez Gallimard. Dès que j'ai leur réponse, je les mets en concurrence avec Actes Sud et... et L'Olivier, tiens ! Juste histoire de varier les chartes graphiques. Et puis, j'attends les chiffres. Aucune urgence, la balle est dans leur camp : il n'y a rien de plus patient qu'un manuscrit qui attend ses lecteurs.
Ah, un peu de soleil passe à travers la grisaille, invitation tenace à la balade. Le temps de retranscrire ce coup de fil et de le calibrer comme contrepartie sur Tipeee pour tous mes contributeurs qui seront très intéressés par le détail de notre aimable échange entre partenaires potentiels, et je file me balader en forêt. Ma journée de travail est déjà finie. Merci Martin, vraiment : nous n'avons encore rien signé et grâce à vous j'ai déjà de quoi gagner ma vie. Les éditeurs sont précieux, vraiment.
Allez, le chat : on bouge !
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