CHAPITRE 10 - Petits crimes en famille
21 novembre 2014
— Me revoilà chère madame, avait murmuré le professeur Bernard revenant dans la pièce en clair-obscur. Je n'ai pas été trop long ?
— Ça va... avait répondu Caroline Martin du bout des lèvres. Ça va...
À pas de loups, il avait repris sa place dans le fauteuil de repos puis, après un accord de la tête de la jeune femme, il allait rendosser son costume de lecteur quand une infirmière de nuit avait fait irruption dans la chambre.
— Bonsoir, avait-elle dit à mi-voix. Je viens contrôler que tout va bien.
Visiblement, l'infirmière connaissait bien le professeur Bernard. L'intonation joyeuse mais mesurée, elle lui avait demandé des nouvelles de son épouse, puis interrogé sur ses trois enfants qui avaient dû beaucoup grandir depuis qu'elle les avait croisés dans les couloirs de la clinique. Courtois et rigolards, ils avaient tous les deux parlé de choses et d'autres, de la pluie et du beau-temps et de la nourriture fade de l'établissement. Leur échange avait duré quelques minutes, mais tel un petit vent de fraîcheur, cela avait permis d'alléger l'atmosphère pesant de la pièce. Durant cet interlude, le professeur Bernard et Caroline montraient un visage plus détendu. Les yeux tournés vers l'infirmière, la jeune femme avait même eu un sourire.
Quel soulagement que ce moment de répit !
Une fois seuls tous les deux, le médecin avait lancé un " On y retourne ? " à Caroline qui avait acquiescé.
— Au début... lisait doucement le professeur Bernard, il se vengeait de mon audace. Il a d'abord commencé par m'envoyer des petits piques par ci par là, et à me distiller ses allusions malveillantes sans en avoir l'air. Je laissais couler. Je ne m'y attardais pas plus que ça. Le problème, c'est que les reproches ont augmenté en virulence et en intensité. Et aux remarques désobligeantes, ont suppléé les paroles super blessantes. Son grand jeu était de me lancer des mots assassins. Bang ! Sans prévenir ! Il me les envoyait comme des flèches en plein cœur ! Sous couvert de plaisanterie ou de deuxième degré, il me crachait sa méchanceté avant de tourner les talons. Au fur et à mesure du temps, il est devenu de plus en plus ignoble. Il me répétait que j'étais une incompétente en s'aidant de regards méprisants, de soupirs excédés et de gestes agacés. Il démarrait ses conversations par " Tu devrais "," Pourquoi n’as-tu pas "," Tu aurais dû ", " Tu ferais mieux de "," Il faut que tu ". Pareil à un rouleau compresseur, ses attaques piquantes et répétitives m'ont broyée, laminée et usée. Au même titre que les compliments équivoques, il avait l'humour cruel. Il aimait se parer d'un air dégoûté pour me dire :" Qui aime bien châtie bien " avant de rajouter " Tu t’empâtes ma chérie, tu devrais songer à sortir le chien plus souvent ?". Et alors que ne saisissant pas immédiatement ce qu'il voulait me dire, je faisais l'étonnée, il tournait son index devant sa tempe en murmurant :" Réfléchis, si tu y arrives... Réfléchis bien... ". Devant mon ignorance, il me livrait le fond de sa pensée." T’as pas vu ton ventre ? Tu sais très bien que je n’aime pas les bedaines de baleine ! ". Encore une fois, je ne répliquais pas. Et puis ras-le bol ! J'ai sorti les griffes et quand il détaillait mon anatomie en marmonnant : " T’as pris non ? ", alors je le toisais depuis son menton qui s’engraissait, jusqu’à ses genoux mollassons. Je m'arrêtais sur son estomac qui enflait et lui répondais ironiquement " Sache que moi, je ne me trouve pas si grosse que ça ! " "Et puis dis donc, si moi j'ai pris, toi, t’as sacrément repris ! ". Quand je lui renvoyais ses vérités, il détestait. J'avais droit à son air dédaigneux avec un renvoi de balle du genre : " T'es qu’une merde !" " Une grosse connasse de merde ! ".
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