Chapitre 12 - Esprit rebelle
21 novembre 2014 -
Assoiffé, le lecteur avait posé le journal sur ses cuisses et s'était servi un grand verre d'eau. L'ayant bu d'un trait, il avait fait claquer sa langue sur son palais puis s'était replongé dans la biographie de Caroline Martin.
— J'étais une gentille fille, mais je n'acceptais pas qu'il me blesse impunément. Je continuais donc de lui résister. Et puisque pour lui j'étais la reine des connes, alors j'ai joué les connes un certain temps. Je l'ai nargué en utilisant un maximum de trois mots et une voix de robot pour m'adresser à lui. "Venir, toi, manger" ou bien " Téléphone, toi, parler " "Débile, moi, être". Même si je savais que la note serait salée, je devais encore lui tenir tête. Évidemment, chacune de mes provocations, le faisaient exploser. J'avais droit à des gerbes d'insultes, mais je refusais d'abdiquer. Au fond de moi, je savais qu'en cessant toutes rébellions, je cesserais d'exister à son profit. De temps en temps, par bravade, je ponctuais ses discours despotiques de citations courtes telles que : " L'horreur est humaine " de l'humoriste Coluche, ou bien de " Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! " de Beaumarchais, ou encore de " Qu'il est dur d'haïr ceux qu'on voudrait aimer ", de Voltaire. Ce type d'intervention avait le don de l'énerver. Je payais cash le prix de mon audace et en retour, je recevais des seaux d’injures :" T'es qu'une salope !" " T'es qu'une pute, etc.. ". L'orgueilleux phallocrate me traitait de tous les mots jusqu'à ce que je m'écroule en larmes. Vainqueur, il stoppait ses insultes et me tirait sa révérence. J'étais moralement et physiquement épuisée, mais je luttais pour ne pas céder à ses lois. Ce sociopathe avait aussi l'art de me blesser sans en avoir l’air. C'était exaspérant ! " Oh, tu sais, moi je dis ça, je dis rien ", me glissait-il fréquemment à l'oreille avec une fausse voix doucereuse. Et puis arriva ce qui devait arriver. Les coups, les gifles, les frictions et autres joyeusetés, devinrent mon lot quotidien. Les violences physiques succédèrent aux violences psychologiques.
D'une voix monocorde, Caroline Martin avait raconté les bousculades, les claques, les croche-pieds, les cheveux empoignés brutalement. Elle avait aussi mentionné ce rire diabolique et terrifiant qui accompagnait systématiquement sa violence.
— L'homme était malin... avait-elle précisé en levant les yeux au ciel. Pensez-vous... Pfft... Il ne donnait jamais de coups susceptibles de me laisser des marques... Bien que le triste sir soit un détraqué mental, il contrôlait ses gestes...Pfft... Toutefois... malgré ses calculs et ses précautions, il y eut un jour le coup manqué... En me giflant, sa main a ripé sur ma bouche et m'a éclaté la lèvre supérieure...Pfft... Ah ça ! Il s'est trouvé bien bête cette fois-ci. Il était très ennuyé en voyant le sang dégoutter sur mes vêtements... Il a pensé que j'irais porter plainte avec preuves à l'appui... Pfft... et paniqué, il m'a offert une sarabande de pardons larmoyants, genou à terre... Pfft... Quel hypocrite... Quel sale type... Ouais, un vrai sale type docteur. Mais allez-y... reprenez.
— Parfois, lorsqu'il entrait dans des colères noires, il arrivait que les meubles volent et traversent les pièces. J'avais si peur de cette violence imprévisible et destructive que j'en avais des absences. Pour une broutille, il était capable de soulever la table du repas et de la retourner comme une crêpe. Le déclencheur de cette folie n'était bien souvent que la mauvaise cuisson de mon rôti ou le manque d'assaisonnement de ma salade. Ces coups de folie excessifs et soudains, me terrifiaient. J'en faisais des micro-malaises qui s'achevaient par des pleurs de tension. Il n'avait aucune pitié pour moi. Pas une once d'état d'âme. Jamais aucun geste de tendresse ni de paroles consolantes alors que j'étais au plus mal. Les yeux froids et le visage de marbre, il me regardait sans s'excuser ni me réconforter. J'avais affaire à un mur ! Dans sa folie furieuse, il était capable de mettre à sac toute la maison, mais de se présenter comme si de rien n'était au voisin du dessous inquiet de tout ce ramdam. Posté dans l’entrebâillement de la porte, il lui adressait un sourire niaiseux et lui expliquait calmement : " Oh, ce n'est rien du tout cher monsieur, nous faisons quelques travaux " " Nous ferons plus attention... ". Le sournois ! Éberluée, je regardais ce roublard aux cent visages. Ce fourbe, charmant et poli face à l'étranger quand il avait levé la main sur moi et venait de mettre notre foyer sens dessus dessous. Je n’en croyais pas mes oreilles ! Je ne pouvais admettre son machiavélisme et sa cruauté. Autre chose ! Pierre ne se remettait jamais en question. J’étais toujours la fautive, la mauvaise, la cause de tous les maux. Tout était toujours ma faute, jamais de la sienne. Après les crises, il me rajoutait une bonne couche de culpabilité : " Je t'ai déjà répété mille fois de pas me chercher " " Je t'ai dit et redit de pas me gonfler ! " " Tu sais que ma patience a des limites, mais tu continues jusqu'à me faire péter les plombs ! "." Je t'avais pourtant prévenue ! Etc. "." Prévenue ", c'est ce qu'il prétendait, étant donné qu'il ne s'adressait à moi que par sous-entendus. Cette attitude mi-figue mi-raisin, lui permettait de me dire " Mais non, je ne t'ai jamais dis ça !" " Tu délires complètement ! ". Tant de mauvaise foi, c’en était ahurissant ! Presque risible !
— Le plus souvent, j'avais droit à des " Leçons de morale fleuves " où je ne pouvais en placer une... précisa Caroline... Pfft... " Tu m'as profondément blessé", me disait-il."... Y a que toi pour me mettre dans des états pareils " "...et bla bla bla..."...Pfft... " Je t'aime... bla bla bla " " C'est de ta faute... bla bla bla "
— Bécasse que j'étais ! Il m'a fallu du temps pour décortiquer ses manipulations. Il me rendait coupable de ses actes, il transférait ses fautes sur moi et se donnait l'absolution. C'était bluffant ! Il versait sa larmichette et m'accusait comme il savait le faire. J'étais celle par qui tout arrivait. Sans foi ni loi, sans morale ni conscience, Pierre ne reconnaissait jamais ses torts. Tout était toujours de ma faute ou de la faute des absents. De son point de vue, j'étais susceptible, rabat-joie, impulsive, caractérielle, etc. J'en passe et des meilleurs. Même pris sur le fait, il n'avouait rien. S'il regrettait c'était uniquement par intérêt. Il ne faisait pas que semer le doute en moi, il l'implantait ! Au bout du compte, je m'accusais de tout. De l'avoir énervé. D'avoir allumé le feu. D'être la principale responsable de l'état pitoyable de notre couple. Moi qui non contente de recevoir les coups et les insultes, m'auto-flagellais en me répétant que tout était de ma faute. Moi qui l'approuvais quand il disait que je n'étais pas " Une bonne épouse ", que j'étais " Immature " " Une gamine pourrie gâtée qui ne le méritait pas mais qui méritait des corrections ", que " Je n'étais pas consciente des efforts qu'il faisait pour moi et que j'avais du bol qu'il ne me largue pas ". À tout ce fatras de conneries sorties tout droit de son cerveau dérangé, j'avais effectivement fini par croire. Face à sa belle gueule d'ange ; à la vision de sa moue savamment travaillée et faussement désolée, j'endossais ma culpabilité. J'avais pitié de celui qui jurait par tous les dieux qu'il lui fallait beaucoup de patience pour me supporter et de la volonté pour ne pas me larguer... Parfois, lors de ressauts d'intelligence, l'incohérence de notre relation me sautait au visage. Dans ces moments, je le détestais, je le méprisais, je voulais le quitter et m'enfuir loin de lui. Je voulais mettre de la distance entre moi et sa folie. Quand il sentait le vent tourner à son désavantage, monsieur sortait sa carte " Reconquête ". Genou à terre, il me promettait monts et merveilles, et me promettait de changer. Il me disait que j'étais sa reine, son essentiel, son oxygène. Craignant que je ne le quitte, il usait de prévenances avec moi et me couvrait de bijoux. Pauvre sotte que j'étais ! Une sotte qui gobait ses mensonges bouchées après bouchées. Un autre de ses vices était de me parler d'une pièce éloignée pour que je ne saisisse pas ses paroles. Il le faisait exprès et continuait son cirque jusqu’à ce que je me déplace jusqu'à lui et m'entendre dire en riant : " Non, rien d’important. Juste te rappeler que t’étais toujours aussi conne, au cas où tu l'aurais oublié... " Parfois aussi, il faisait exprès de ne pas articuler correctement pour que je ne comprenne rien. Ça l'amusait grandement. Mais je dois reconnaître que son jeu favori était de me montrer à quel point je l'indifférais. Planqué derrière son journal, hypnotisé devant le téléviseur ou fixé sur son portable, Pierre le sourd-muet m'ignorait royalement alors que j'initiais une conversation. Si j'insistais, il haussait le volume de la télé, chantait à tue-tête un truc débile ou sortait carrément de la pièce. Pour créer la confusion, il me répondait à côté et déviait du sujet initial. Au fil du temps, j'ai ouvert les yeux sur ses humiliations travesties en plaisanteries ; sur ses mensonges répétés s'imposant comme vérité absolue ; sur ses critiques déguisées en conseils ; sur ses brimades et toutes ses saloperies. J'ai vu la noirceur en lui. J'ai eu du mal à l'accepter, mais en admettant m'être trompée sur son compte, j'ai pu entreprendre un travail de deuil de l'être fantasmé et me décharger de mon martyr sur le papier.
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