Chapitre 13

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Mi-novembre, les flocons de neige que j'espérais tant voir chaque année n'arrivaient pas. Les domestiques s'activaient pour redonner un peu de chaleur aux pièces du château, les arbres perdaient peu à peu leurs feuilles dorées, et chaque jour au cimetière dans le vent glacial me coûtait la rare once de joie de vivre en moi. Alors que je sortais par le couloir principal, en tenue pour combattre, j’aperçus un mouvement lointain dans les écuries. Un écuyer avait-il enfin été embauché ? J'avais fort besoin d'équiper mon cheval pour partir vers les frontières sud-ouest où les Lombards s'étaient installés, plus précisément en Espagne. Ces farauds étaient partout, et je ne pouvais me permettre d'attendre une seconde de plus. En arrivant près des écuries, mon étonnement fut grand lorsque j'aperçus Amicie, vêtue d'une longue cape bleue survolant le sol. Elle avait des brins de paille dans ses cheveux tressés, et elle s'activait à toute vitesse afin de déposer du foin dans la mangeoire. Je m'appuyai contre un pilier en croisant les bras pour l'observer paisiblement. Son doux regard entouré de cernes bleuâtres débordait d'affection pour les chevaux dont elle s'occupait. Elle devait être surchargée de travail.

- Eh, lançai-je, comme pour lui faire remarquer ma présence.

Amicie se tourna vivement, ses lèvres demi-closes ayant la forme d'un bouton de rose parfait.

- Sire ! s'exclama-t-elle, les yeux ronds.

Elle exécuta une révérence, sa longue natte descendant le long de son épaule.

- Pourquoi êtes-vous toujours surprise de me voir? demandai-je en m'approchant d'elle.

- Il est à peine six heures du matin. Je ne suis pas en tenue convenable...

Elle portait, sous sa cape, un pantalon ainsi qu'un pull en laine grossièrement tricoté. Elle se balançait nerveusement dans ses bottes, affichant une légère grimace sur son visage. Elle avait l’air d’un jeune palefrenier à l’allure maladroite. Je haussai les épaules en m'approchant du cheval, les sourcils haussés.

- Les annonces dans le journal n'ont attiré personne à ce que je vois ?

- Pas vraiment... monsieur Balthes est parti à Paris aujourd'hui, soupira-t-elle. Il se chargera de le faire, puisque j'ai lamentablement échoué, dit-elle en tirant nerveusement sur sa cape.

- Ce n'est pas vous. C'est à cause de moi. Personne ne me connaît, ici, à quoi bon prendre le risque de venir travailler pour un inconnu ? me moquai-je.

La jeune fille soupira en contournant le cheval sans pour autant rompre le contact qui s'était instauré entre nos yeux.

- Vous savez que c'est faux.

- Ne me dites pas cela pour me faire plaisir. Je n'ai pas bonne réputation, je le sais.

- Vous êtes le roi ! Le roi a toujours bonne réputation.

- Amicie... grondai-je. Je ne suis pas un enfant de quatre ans que vous devez préserver, je sais ce qu'on pense de moi.

Elle s'apprêta à rétorquer, puis se ravisa après quelques secondes de réflexion.

- Très bien. Je resterai franche, dans ce cas. Peut-être que... peut-être que si vous faisiez un peu plus attention à votre peuple...

- C'est-à-dire ? lançai-je, piqué au vif.

- Je... je ne voulais aucunement vous offenser, bafouilla-t-elle. Mais toutes les économies partent pour la guerre qui est à prévoir, seulement, que reste-t-il de la France ? Tous les villages dans lesquels je suis passée à ce jour sont plongés dans la misère. Pensez-vous tout maîtriser ?

Voyant que je ne répondais pas, elle m'envoya un regard désolé puis retourna dans la sellerie en me laissant seul. Je ne m'attendais pas à cela. Bien-sûr que je ne contrôlais rien, je n'avais jamais gouverné de royaume auparavant, les Français s'attendaient-ils réellement à quelqu'un de compétant ? J'étais blessé de savoir qu'aux yeux de l'ancienne aristocrate, j'étais un roi bien décevant au trône. Lorsqu'elle revint avec une selle, une sangle et un filet, je m'empressai de lui prendre le matériel qui devait lui peser lourd pour la soulager de sa charge.

- Merci, murmura-t-elle.

Elle me tourna le dos en soufflant, passa une main sur son front puis me fit face. Elle avait l'air moins gaie que d'habitude, ce qui eut le don de m’inquiéter ; en y réfléchissant, elle me paraissait distante. Je déposai lentement la selle au sol, ennuyé.

- Où comptez-vous aller ? demanda-t-elle en plaçant le tapis de selle sur le dos de l'animal.

- Aux frontières d'Espagne, la menace des Lombards pèse. Ils ont besoin de moi, là bas.

Elle fuit mon regard, et, après avoir longuement inspiré, elle hocha la tête faiblement.

- Cela vous dérange-t-il ?

- Pas le moins du monde, répondit-elle brusquement.

- Je n'en crois pas un mot, marmonnai-je, les cheveux balayés par le vent d'hiver.

Amicie rit doucement, fatiguée.

- Vous avez toujours réponse à tout, Sire. Je n'aime simplement pas cette passion pour la guerre qui est dévastatrice pour vous.

- Serait-ce de la préoccupation que vous avez-là pour moi ?

J'ignorais si le froid était la cause des joues rosies de la jeune fille, mais celles-ci se ponctuèrent drôlement de vives couleurs.

- On peut dire cela, oui.

- Je... je suis étonné. Jamais je n'ai eu d'attention comme celle-ci.

En me voyant aussi dérouté, Amicie fronça les sourcils.

- Peut-être. Mais j'attends de vous que vous rentriez vivant. Sinon...

- Sinon quoi ?

Je me hissai au-dessus du cheval. Amicie se mit sur la pointe des pieds pour se rapprocher de moi, fouillant de son regard mes yeux vides d'émotion.

- Sinon rien. Vous êtes le roi, et je ne peux rien face à vous, dit-elle doucement, sa voix mêlée au sifflement de la brise.

- Bientôt, je vous le promets, dis-je avec une affabilité qui me stupéfiait moi-même. Vous pourrez sans doute quelque chose lorsque vous retrouverez votre statut.

Elle me remercia d'un signe de tête puis recula pour me laisser partir, son regard retrouvant un peu de lueur d’espoir. Je me promis de m'occuper personnellement de son cas au sein du service. Rien n'était facile pour elle, j'en étais conscient ; cependant, elle avait besoin de la meilleure protection possible, mon cœur me hurlait de l'écarter de toute menace imprévisible.

- Je reviens ce soir, la route n'est pas longue, la prévins-je.

Elle me sourit tout en me saluant de la main tandis que je m'élançais dans un galop sans fin vers le lever du soleil. Je me devais de réfléchir à cette discussion avant de préparer les assauts de la future guerre comme je l’entendais.

Amicie... pensai-je.

Ce bout de femme avait une force de caractère qui dépassait la témérité. Elle s’armait de sa franchise naturelle et remuait les âmes au plus profond de leurs abîmes, exactement là où cela faisait mal.

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