3.2 S'aimer
Depuis ce jour, Irène et le jeune homme apprennent à se découvrir. Il lui raconte son enfance où il fut traité comme un animal, sans cesse insulté par les Zêtas chargées de son éducation. Les mots blessants et les phrases assassines qui étaient son quotidien. La soi-disant perfection de femmes cruelles dont il voyait déjà tout petit les défauts. Ses camarades battus sans raison et les souffrances endurées, source de moqueries et de rires féminins.
Le jeune homme fait pleurer Irène en se remémorant les brimades vécues et les aspects quotidiens si tristes de son enfance. La faim qui le tenaillait et la nourriture qu'il devait voler pour satisfaire son ventre toujours affamé. L'enseignement qu'il a reçu est si loin de celui d'Irène que jamais elle n'aurait pu imaginer une telle chose possible. Elle, qui a grandi dans l'amour, découvre un être ayant grandi dans la haine et la colère.
Irène évoque sa maman et l'amour qu'elle a reçu. Sa tantine si cruelle avec les autres et si aimante et bienveillante avec elle. Les largesses offertes sans contrepartie par tantine Gwendoline. Elle dit tout haut toutes les questions qui l'ont assaillie jusqu'aujourd'hui et les imperfections de ce monde qu'elle voit bien sans pouvoir y faire grand chose pour autant. Sa voix devient passionnée quand elle parle de son métier et de ce qu'elle aimerait faire pour changer les mentalités.
Son discours empreint de toute l'affection et la bienveillance de sa maman émeut le jeune homme. À mots couverts, Irène lui apprend ce que c'est que d'être aimé et choyé comme une merveille. Se croire et être la chose la plus importante au monde aux yeux de sa maman et de sa tantine et ce sentiment de fierté et d'amour de soi que cela entraîne. Elle donne un prénom au mâle. Igor découvre le sentiment d'amour qu'il ne croyait être qu'une chimère.
La jeune fille comprend mieux les raisons de la colère de son reproducteur et lui s'aperçoit que sa propriétaire est bien plus douce et tolérante que les femmes qui l'ont élevé. Leur jeune âge leur a permis de vivre de nombreuses choses, mais pas assez pour tout savoir. Leur intelligence permet la discussion et l'échange d'opinion sans violence et surtout la compréhension mutuelle. Doucement, en discutant un peu plus chaque jour, ils se comprennent et finissent par s'apprécier.
Suite au rapport sur le comportement inacceptable de l'Alpha de l'État 34, et aussi des rumeurs de son début de ménopause, celle-ci a été destituée et vient d'être remplacée par une jeune fille de seize ans. Une nouvelle Alpha qui inquiète quelque peu Irène. Les rares fois où elle l'a croisé, Irène a senti un frisson lui parcourir l'échine. Quelque chose de malsain se dégage de la nouvelle Alpha. L'instinct d'Irène lui dicte de ne pas se lier à elle, que c'est dangereux de la fréquenter.
Irène décide de l'éviter au maximum et demande à la nouvelle Suprême protection. La douceur et l'intelligence de la jeune fille convainquent la dirigeante de la prendre totalement à son service et Irène ne croise quasiment plus cette jeune Alpha étrange et colérique. Bien qu'elle apprenne que celle-ci était présente lors de la mort de sa tantine, Irène ne parvient pas à faire preuve de compassion envers elle. La jeune Alpha est trop bizarre et semble malveillante aux yeux d'Irène.
Se confiant sur sa méfiance à l'égard de la nouvelle dirigeante de son État à la Suprême, Irène apprend alors la création de centres de Zêtas endoctrinées, futures soldates dévouées aux Alphas, sur une idée de la mère de la dérangeante jeune Alpha. C'est horrifiée et en pleurs qu'elle explique cela à son reproducteur qui frissonne de peur en imaginant le futur.
Fort heureusement, la Suprême actuelle semble avoir encore un peu de cœur et d'humanité. Irène a ses faveurs et négocie souvent pour limiter les idées farfelues, réductrices, voire castratrices de quelques allumées extrémistes. Il y a fort à faire, les personnes de pouvoir aimant en obtenir toujours plus et penchant facilement dans les solutions faciles et rapides plutôt que dans des réformes de fond en comble.
Bloquant de nombreuses suggestions et militant pour un traitement plus juste et humain des reproducteurs, mais aussi des Zêtas, Irène tente de convaincre l'actuelle Suprême et les Alphas en poste ou en devenir qu'il faut arrêter de brimer la population si on veut une paix durable. Elle essaye de leur inculquer la compassion et leur demande régulièrement de se mettre dans la situation des personnes qu'elles gouvernent.
À sa grande joie, la Suprême et la future Suprême, une adorable fillette de dix ans du nom de Déborah, sont réceptives à ses suppliques. L'enfant boit littéralement les paroles d'Irène et la vénère comme la grande sœur qu'elle rêve d'avoir. Irène réalise que l'enfant n'est pas très bien acceptée par le groupe des jeunes Alphas en formation et cherche de la compagnie.
Aussi souvent qu'elle le peut, Irène permet à la fillette de voir sa maman ou l'emmène avec elle pour des sorties éducatives, prétexte à des engloutissements de glaces ou des câlins fraternels réconfortants pour chacune. Certaines jalouses pourraient croire qu'Irène cherche la pérennité de son poste. En réalité, elle a simplement énormément d'affection pour la fillette aux joues roses.
À chaque occasion, Irène tente de planter les graines de compassion dans le cœur de toutes les femmes qu'elle croise, avec la bienveillance de la Suprême. Quelques Alphas sont particulièrement réticentes, à commencer par la nouvelle génération, les cinq futures Alphas qui ont grandi avec Déborah semblent particulièrement mauvaises .
Irène tremble souvent en entendant les mots durs et les remarques désobligeantes que les fillettes ont à l'encontre des autres. Elles sont si hautaines et mesquines que cela effraie la jeune fille. Elle n'hésite pas à en faire part à la Suprême qui lui répond durement que les demoiselles sont semblables à l'éducation qu'elles ont reçue de la part de Tantine Gwendoline.
Irène se rend compte que sa tantine adorée était une femme cruelle et bien qu'avec elle, sa tantine n'ait été qu'amour et douceur, Irène pleure en apprenant les brimades et le discours de sa tantine chérie. En fouillant dans les affaires de la disparue, elle tombe sur des cours d'Histoires déformés et des discours incitant à mépriser les Zêtas et à déshumaniser les reproducteurs.
Bien sûr, Irène se doutait que Tantine était moins gentille avec les autres, mais de là à être une femme si haineuse, jamais Irène n'aurait envisagé cela. En larmes, elle montre les documents à son reproducteur et sombre durant plus d'un mois dans une dépression liée au deuil qu'elle ne parvient pas à faire.
Perdre sa tantine est une chose. Perdre l'admiration et la tendresse qu'elle éprouvait à son égard en est une autre. Pourtant, les preuves sont là. Tantine Gwendoline est un monstre qui participa aux brimades reçues par les reproducteurs et les Zêtas.
Avec dégoût et horreur, Irène réalise les motivations qui ont poussé un tas de fanatiques à exécuter sa tante chérie. Se recueillant sur la tombe de sa maman pour surmonter son immense chagrin la seule chose qui la réjouit est que sa maman n'ait pas vue cela. Elle aurait été dévastée de voir sa sœur tenir de tels propos, si contraire à la douceur de sa maman.
Dans sa tâche titanesque, Irène peut profiter d'une aide inestimable. Son reproducteur à qui elle a donné un prénom lorsqu'ils sont rien que tous les deux, est d'une grande intelligence et force de persuasion. Il remanie certains de ses discours ou courriers, trouvant des mots justes et percutants ou des exemples crédibles et incontestables. Igor, puisque tel est son prénom désormais, est encore plus diplomate que sa propriétaire.
Leur association pour changer le monde finit par les rapprocher. D'un geste amical qui devient tendre et qui se multiplie au fil des jours, les deux adolescents idéalistes s'affectionnent puis tombent éperdument amoureux. Irène a de nouveau un proche et il vit avec elle.
Igor aide également Irène dans sa traque des meurtriers de sa tante. Bien qu'elle ait compris la raison de cet acte barbare, elle ne le pardonne pas et cherche à retrouver ces personnes pour leur faire subir la justice. De tels assassins ne méritent pas d'être libres. Malheureusement, les pistes s'épuisent les unes après les autres.
Plus ils creusent, plus quelque chose tracasse les deux amoureux. La chronologie des faits n'est pas très cohérente. On peut comprendre que les fillettes aient parlé d'attaque nocturne au lieu de l'après-midi dans leur panique, mais d'autres éléments sont suspects. Un des reproducteurs de Gwendoline s'est suicidé la veille de l'attaque.
Gwendoline est la première à avoir été assassinée, en pleine journée et personne n'a vu ou entendu quoique ce soit sauf les fillettes, trop traumatisées pour avoir un témoignage cohérent. Gwendoline était à l'étage, passablement éméchée. D'après Irène, elle devait cuver pour oublier sa rupture avec sa petite amie. Les individus sont ensuite redescendus pour exterminer les reproducteurs et les Zêtas qui se reposaient ou travaillaient dans leurs pièces respectives.
Pourquoi ont-ils pris le risque de passer devant les chambrées sans rien faire puis sont redescendus ? Pourquoi ne se sont-ils pas acharnés davantage contre la frêle protection de fillettes alors que leur rage a maculé la porte de la salle de bains de sang et a renversé de meubles bien plus lourds que la fine porte ?
Les mots injurieux écrits avec le sang des victimes indiquent une fureur animale qui ne se serait pas éteinte en quelques instants. Les assaillants auraient eu largement le temps de s'en prendre aux fillettes plutôt qu'aux serviteurs. D'autant plus si ils haissaient les Alphas. La police est arrivée sur les lieux plus d'une heure après la mort de Gwendoline, suite à un appel anonyme passé de l'intérieur de la maison.
Irène et Igor pensent que certains éléments leur sont dissimulés ou bien que la Suprême actuelle utilise cette mort pour créer une armée à sa botte. Pourtant, elle semble bienveillante, quoique non-pacifiste. Les deux amoureux sont perplexes et sentent que quelque chose cloche. Irène se demande si l'ancienne petite amie dont elle n'a jamais su le nom n'est pas étrangère à cela.
Après tout, Gwendoline couchant avec ses reproducteurs et parfois ses Zêtas, la jalousie pourrait être un bon mobile comme la folie amoureuse liée à une rupture. Les tourments de l'amour pouvant entraîner sur de pentes glissantes, cette hypothèse est plus que probable, mais invérifiable, les penchants lesbiens de sa tante étant un secret bien gardé qu'Irène ne révélera pas, par égard à la mémoire de sa tante.
À force de réfléchir ensemble, les deux jeunes gens se découvrent tant mentalement que physiquement. Timidement, ils explorent leurs corps respectifs et apprennent ce qu'ils aiment et ce que l'autre souhaite. Les deux jeunes gens découvrirent mille façons de se montrer leur amour. Que ce soit par des mots doux, des petits compliments ou d'attentions au quotidien, ils s'aiment et se le disent. Un regard encourageant, un clin d'œil complice, un baiser rapide si motivant, ils se montrent tactiles. Ils expérimentent ce que leurs instincts leur indiquent ou ce que leurs corps souhaitent, observant la réaction de l'autre et ajustant au besoin.
L'art des préliminaires rend Irène folle. En plus d'être beau, Igor est doué de ses mains et de sa langue. Elle ne se lasse pas de lui comme lui ne se lasse pas d'elle. Leurs corps et leurs esprits ne font plus qu'un. Ils se complètent et s'associent en parfaite harmonie, comme deux moitiés d'un tout. Tant et si bien qu'Irène tombe enceinte l'année de ses dix-huit ans.
Cette nouvelle rendrait fou de joie bon nombre de femmes. Cependant, Irène sait ce que cela implique. Dans quelques mois, Igor lui sera enlevé et donné à une autre femme. Son cœur se déchire entre cet homme qu'elle aime éperdument et le début de vie qui grossit dans son ventre. Elle ne peut se résoudre à perdre Igor et encore moins à avorter. Les hormones ne facilitant pas la clarté d'esprit, Irène pleure à la moindre occasion. C'est Igor qui décide de préserver cette vie, fruit de leur amour qui est de la taille d'un petit-pois pour le moment. Il veut que cette graine d'amour grandisse et s'épanouisse auprès de sa bien-aimée, même si cela implique de partir dans quelques mois.
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