Les retrouvailles
Anita reprit connaissance petit à petit, d'abord, ce fut le froid quelle sentie. Puis la douleur, aux bras, là où des milliers d'égratignures avaient eu le temps de sécher. Aux jambes que sa course folle avait épuisées. Et sa tête, du bout du doigt elle toucha la plaie qu'elle s'était fait au front, le sang avait séché et le saignement s'était arrêté. Son visage était endolori, au niveau de sa mâchoire, elle devinait un bleu, et son œil gauche semblait avoir du mal à se fermer et ouvrir. Elle tenta de se relever mais, sous la douleur aiguë qui lui traversa le crâne, se résolue à rester allonger encore un peu. Le chant des oiseaux lui parvint, comme dirigée par un maestro, les intonations et les rythmes variaient. N'ayant pour le moment rien de mieux à faire elle s'allongea sur le dos observant le ciel dégagé, un unique rayon de soleil traversait la dense végétation. Elle profita du rayon de soleil sur son visage, elle devait probablement la vie à cette chaleur qui lui avait évité de mourir d'hypothermie. Quand la poursuite s'était engagée le ciel avait déjà commencé à s'éclaircir. Elle regarda les nuages défilés, continuer leur courses effrénées, à l'image de sa vie qui coulait sans qu'elle puisse contrôler le temps qui passe. Et se rappela cette nuit, la course poursuite, sa tentative stupide d'alerter quelqu'un, la douleur du coup, mais aussi de sa chute et le corps. Le corps ! Elle se redressa aussi rapidement que sa tête le lui permettait, c'était certainement le choc qui lui avait fait perdre conscience.
L'homme était allongé sur le ventre, le visage tourné dans sa direction, le regard vitreux. Il était vêtu d'un ensemble de lin et de cuir, rendant sa tenue sombre, mais aussi très jolie avec un ensemble de motifs entremêlé on aurait dit des racines sans début ni fin. Elle n'osa le toucher, il était déjà assez étrange qu'elle soit là à observer les détails de la tenue d'un homme mort. L'homme ne semblait pas avoir de signe particulier de ce qu'elle voyait des quelques zones découvertes de son corps et l'idée de le toucher la répugnait. L'homme ne possédait pas la magnifique lame qu'elle avait aperçu, ce n'est donc pas lui qu'elle avait tenté d'assommer avec sa stupide pierre. Ne pouvant plus rien tirer de ce corps, elle se releva entièrement et s'étira pour évaluer les dégâts. Sa cuisse gauche la faisait particulièrement souffrir et son épaule droite paraissait disloquée. C'était sa veine, elle observa le soleil et ne pu supposer seulement que midi n'était pas encore passé, la forêt était trop dense pour qu'elle en soit certaine.
À gauche une montée, à droite une descente qui lui promettait une nuque rompue à la moindre maladresse. La mousse des arbres lui indiquait le nord, elle prit cette direction marchant sur un chemin sauvage que le passage régulier d'animaux avait créé. Ce fut son jour de chance, rapidement elle entendit l'eau, et n'eut qu'à remonter son cours pour retrouver sa route. Elle boitait et sa tête encore douloureuse la lançait, ralentissant grandement sa progression. À ce rythme, elle serait chez elle passé midi, et bien qu'elle soit sûre d'avoir une excellente raison pour son retard, elle ne voulait pas être rouspété par sa mère.
À l'idée que celle-ci soit sans nouvelle et que pour sur l'inquiétude la rendrait insupportable pour 'l'ensemble du village elle accéléra le pas. Toute son énergie était focalisée sur le fait de mettre un pied après l'autre. Remonter la rivière la mettait à découvert et le fait que d'autres hommes se mettent à sa poursuite lui avait effleuré l'esprit. Mais à ce stade, elle ne serait ni en mesure de progresser correctement à travers les bois, et elle n'en aurait pas la force non plus. Si elle devait être attrapée, dans les bois ou au bord de l'eau cela ne ferait aucune différence. Mais alors qu'elle commençait à désespérer d'atteindre la cascade dont le bruit se faisait plus fort au fur et à mesure de sa progression, un homme jailli de la forêt, son cœur manqua un battement.
Mais elle se détendit rapidement, c'était le forgeron du village. Un homme imposant, on avait l'impression que ces bras avaient été arraché à des colosses avant de lui être greffé sur le corps. Il avait des yeux minuscules et une barbe d'une longueur aberrante, pour un forgeron digne de ce nom. Cela lui donnait l'air d'avoir pris un poing en pleine figure et que son visage se soit enfoncé dans son crâne. Ses lèvres étaient pourtant charnues et aurait pu atténuer cet effet. Mais leur couleur sombre presque brune, venait se confondre avec sa barbe, et n'arrangeait finalement pas le portrait de cet homme rosi par les années devant ces fourneaux. Il se précipita vers elle, et elle se laissa tomber dans ces bras, enfin elle était sauvée !
- Anita !! Qu'est-ce qui t'est arrivé ?! LES GARS ON EST LÀ !
Hurla le forgeron à son oreille lui rappelant son mal de tête. Elle tenta de formé des mots, mais rien ne sorti de sa bouche. Maintenant qu'elle se sentait sauvée, c'est comme si son esprit et son corps avait perdu toute volonté de continuer. Elle se sentit repartir et son corps devenir comme une poupée de chiffon.
Quand elle se réveilla, elle se sut instinctivement à la maison. L'odorat est un puissant sens et lui permit en cet instant de sentir l'odeur si chaleureuse de leur maison, un mélange de fleurs et de cuir tanné. Une odeur qui correspondait aux personnes qui vivaient là, sa mère préparant des tisanes pour chaque contrariété de la vie, et elle entassant des quantités de cuir de diverse qualité pour réparer ou créer de l'équipement. Sous son corps la table en bois, celle de la salle à manger. Elle sentait sous ses doigts les petites irrégularités, celle qu'elle avait créé en essayant d'affûter certaine de ces petites dagues. Une idée stupide, qui lui avait valu quelques remontrances de sa mère. Ce souvenir d'enfance la fit sourire et elle ouvrit les yeux. De là où elle se trouvait elle pouvait voir la fenêtre de la cuisine et constater que le soleil était couché depuis un moment. Elle soupira, elle entendait la respiration de sa mère et le poids de son corps sur ces jambes. Si elle remuait, elle la réveillerait. Alors elle resta là sans bouger autant qu'elle put, supportant encore un peu la douleur de l'immobilité. Mais accordant à sa mère un instant de repos, car la connaissant elle avait dû lutter un moment avant de se laisser dormir.
Ni tenant plus elle remua doucement d'abord, ses jambes semblaient un peu ankylosées. Puis elle tenta de se redresser s'aidant de ces coudes pour s'assoir totalement. Sa tête ne la faisait plus souffrir et ses bras avait été complètement bandé. Sa mère se redresse, l'observa le regard hagard, elle paraissait ne pas y croire et lui sauta au cou. Elle sentit rapidement un liquide chaud lui couler le long du coup. Elle se mit à pleurer à son tour, et elles restèrent là à se serrer l'une contre l'autre, appréciant cet instant. Elles avaient toutes les deux consciences qu'elles auraient pu ne jamais se revoir.
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