Abandon
Au départ LLinôrah était très belle, tout comme sa mère, avec un visage fin et des yeux d’enfant joyeux. Puis la haine et la vengeance détruisirent ses traits harmonieux, et la lueur de son regard devint insoutenable, un de ceux qui vous brisent, qui vous déchirent en dedans. Son corps se transforma peu à peu. Sa peau devint grise et ses veines, d’un violet lugubre, ressortaient. Cela était aussi dû à ses étranges habitudes. En effet, elle commençait à initier son peuple à des rituels consistant à boire du myste.
Le myste, cet élément mystérieux aux différents pouvoirs, permettait à quiconque en consommait de changer son apparence ou ses capacités. Les Ellemaëns se voulant très purs, condamnaient cette pratique et dans certaines régions Ellemaënnes, elle était même passible de prison, ou pire encore, d’exil. Les Ellemaëns d’Ini avaient déjà par le passé déjà utilisé du myste pour des expériences scientifiques, ce qui avait creusé encore plus l’écart entre ce peuple et tous les autres. Ces derniers toléraient cette utilisation mais n’en méprisaient pas moins les utilisateurs.
La reine des Fells n’avait pas choisi n’importe myste, elle avait hésité entre plusieurs, les avait testé sur des sous-fifres et si le résultat lui plaisait, elle le goutait elle-même. Son choix se porta sur le myste qui se trouve dans un lieu maudit depuis toujours, celui d’une cité sans âge, d’une cité faite de métal et de pierre, de verre brisé et de carcasses d’appareils étranges. Une ville détruite depuis si longtemps qu’on aurait pu croire que les fantômes qui la hantaient étaient mourants. Les récits disaient que n’importe qui deviendrait fou en restant dans ce lieu. Ce myste très inconstant, changeant, brûlant et très épais, faisant penser à du miel mais grisâtre, sali. Un myste mortel, qu’ils appelèrent par la suite Dium. Les sujets devaient boire cette substance pour prouver qu’ils étaient dignes. Ils ne tuaient pas tout le monde, seulement les plus faibles. Plus ils résistaient à cette boisson mortifère plus elle leur promettait la gloire et le succès et plus ils essayaient. LLinôrah pensait au début que c’était qu’un nouveau poison à leur infliger, puis il y eu des résultats surprenants. Ce myste modifiait les traits de ces Fells. Ils devinrent plus trapus, plus bestiaux, plus pâles et gris. Leurs ongles devenaient griffes, leurs dents crocs et leurs cheveux crins. La bête féroce grandit.
Les Fells prenaient cet évènement comme un signe, ils devenaient plus puissants et cela grâce à leur reine. Certains étaient évidemment réticent à cette idée, pour eux, le hasard les avaient placés là, mais ils étaient mis sous silence par les plus fervents admirateurs de la reine. Certains même créèrent des cultes. Une principale religion apparue, monothéiste et inexorable : le culte de LLinôrah. Elle devint plus que leur reine, elle était leur meneuse, leur prophète, n'importe quel titre lui était donné. Elle était devenue une déesse sur terre.
Son peuple l’adorait autant qu’il la craignait. Mais il mourrait pour elle, se battrait, tuerait pour elle. Seulement, rien de cela ne lui suffisait. Elle ne se trouvait pas assez forte encore. Elle restait une femme, seule et immortelle. Rien ne semblait changer son destin, sa malédiction, rien ne l’achevait. Elle ignorait pourquoi elle ne s'éteignait pas. La mort lui semblait être le repos éternel de l’âme, et d’après les coutumes sempiternelles des Ellemaëns, il y avait un lieu où se réunissaient les défunts pour vivre le reste de l’éternité en paix, mais pour y accéder, la mort devait venir vous chercher d’elle-même, mais même la grande faucheuse ne voulait pas de LLinôrah.
Quand elle ouvrait ses paumes vers le ciel lors des discours devant son peuple, elle contemplait le creux de ses mains, elle y voyait le néant, et cela résumait toute sa vie. Au début ça lui convenait, mais à chaque fois, cela devenait pire et insoutenable. Et sous ses bras levés, son peuple lui apparaissait de plus en plus comme un tas d’insecte grouillant.
L’impitoyable reine n’était plus sûre de rien, avait-elle commis une erreur ? Ce peuple ne pouvait rien lui apporter qui la satisfasse, et elle réalisa qu’elle seule en avait le pouvoir.
Alors elle décida de partir, ce fut un départ rapide, du jour au lendemain la reine avait déserté le trône. Elle n’avait rien pris avec elle, elle n’avait besoin de rien. Elle n’informa personne, et les seuls qui la vit partir, ne se posaient pas de question, elle était libre d’aller et venir. Quand le temps passa et que personne ne l’avait vu depuis longtemps, certains sujets pensaient qu’elle était malade ou mourante, de vieillesse sans doute, d’autres croyaient qu’elle reviendrait bientôt avec de nouvelle chose à leur faire découvrir. Sauf qu’elle ne revenait pas.
Elle disparut totalement laissant ses sujets durant tout un siècle. Pendant ce temps, son royaume occupait cette terre pauvre et à l’air saturé où l’on trouve le myste Dium. Cet endroit était de loin le pire lieu où l’on puisse vivre, mais c’était le seul à n’être convoité par aucun autre peuple.
Les animaux ne venaient pas ici, ou alors ils étaient très différents des animaux que l’on trouvait ailleurs. Tout comme les Fells, ces bêtes étaient agressives et très sauvages, rapides, fortes et mortelles. Même les calmes herbivores de campagne tuaient un homme sur un coup de sang. De plus, leurs viandes étaient amers et semblait déjà faisandé même juste après la mort.
On appela alors cette région La Terre de l'Abandon, un royaume où presque rien ne pousse à part profondément sous terre ou déjà mourant. L’air y était vicié et le sol plein de rouille. Les arbres, statues effrayées, avec leurs branches noires tels de longs doigts émaciés, cherchaient la vie. Il y avait donc de quoi se nourrir, en faible quantité et qualité moindre, mais les Fells s’en accommodèrent.
Cet endroit abandonné de tous était leur nouvelle maison, leur refuge et ils restèrent là par la suite. C’était le premier endroit où ils ne craignaient pas une attaque.
Pendant ce siècle, les autres peuples Ellemaëns pensaient que les Fells avaient tous péri personne ne traversait cette terre, personne ne croisait plus leurs chemins. Ce fut l’accalmie, ils arrêtèrent de se battre, mais pas de s’endurcir. Peu à peu, leur population augmenta, on avait plus de temps pour faire des enfants, et ils ne mourraient pas sur le champ de bataille.
Les Fells conservaient le culte de LLinôrah et ne cessaient que de trouver de nouveaux rituels à faire et des façons de prier en son honneur. L’ennui laissait place à leurs imaginiations. Ils attendaient sa résurrection pensant qu’elle était morte. Ils croyaient même que c’était leur faute, parce qu’ils n’avaient pas assez été bon envers elle. Ils avaient perdu. Alors les sujets de LLinôrah attendaient sa venue pour qu’elle les libère tous de la misère, les promesses des personnes qui avaient pris sa suite sonnaient comme des prophéties aux yeux du peuple.
Mais elle n’était pas morte, elle était plus que vivante, elle était juste dans un autre pays. Dans son errance, elle entendu parler d’un lieu où personne n’était trop curieux pour t’interroger sur ton passé. Elle se rendit alors dans les Montagnes Sacrées là où vivent les Gobbines. Les sages des montagnes l’accueillirent dans leur grande miséricorde. Ils ne surent pas qui elle était et elle se tenait muette. Elle savait que ses paroles la trahiraient, elle se dit que le silence serait son nouveau bouclier contre la haine et les jugements. Et le mutisme l’aidait à s’oublier elle-même.
Elle se demandait pourquoi elle était encore en vie, pourquoi tout le mal qu’elle faisait n’était jamais assez. Elle écoutait les récits des prêtres, leurs contes, leurs conseils pour une vie meilleure. Cela commença agir sur elle, elle se voyait s’adoucir. Le processus ne fut pas rapide, cela prit plus de cinquante ans, bien que pour elle, cinquante ce n’était rien.
Puis elle rencontra un Ellemaën là-bas, qui lui aussi cherchait des réponses. Elle ne le connaissait pas, et il ne la connaissait pas non plus.
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