Chapitre Quatorze : revirement istanbuliote écrit par Anaid Retinperac
Chapitre Quatorze : revirement istanbuliote écrit par Anaid etinperac
Ils allaient bien, oui. Ils avaient eu de la chance de se trouver dans ce grand bazar, libre de toits et de murs, au moment du tremblement de terre. À l’heure actuelle, leur hôtel encore luxueux ce matin même venait de subir de graves dommages. Fissuré en plein cœur, les lustres virevoltant, le personnel affolé, il ressemblait à présent au Titanic en train de sombrer. Les clients ahuris dévalaient à la hâte les escaliers tapissés de velours rouge sans chaussures, sans bagages, avec l’unique envie de sortir de cet antre peut-être en proie à l’éboulement. La musique d’ambiance apaisante avait laissé place à une caisse de résonance sourde d’où retentissaient des éclats de voix angoissés. Autant la richesse de leur chambre les avait bichonnés la nuit dernière, autant elle ne les protégera plus et leurs affaires s’y retrouvaient maintenant prisonnières et orphelines, abandonnées à leur triste sort.
Léonore et Laurent se tenaient serrés l’un contre l’autre, agenouillés dans un coin, main dans la main. La vigueur de cette poigne témoignait de leur souhait commun de vivre. Ils ressentaient ce lien très spécial qui s’était créé entre eux deux depuis ces quelques semaines passées ensemble. Entre pleurs et tremblotements, ils se lovaient amoureusement dans la chaleur de leur étreinte teintée d’attente et de lucidité.
Un choc aussi intense qu’une secousse sismique aurait-il réactivé la mémoire du cœur ? Ou serait-ce plutôt dû à l’énergie de l’amour irradiant entre ces deux êtres ? À moins que cela ne soit le cumul des deux forces, le magnifique et le terrible, unis au service de la réminiscence. Allez savoir.
En tout cas, Léonore se sentait vibrer comme jamais. Des perles de souvenirs semblaient poindre par moment, des sensations diffuses, de vagues évocations, des lieux mystérieux, des visages flous. Émue aux larmes, elle ressentait pleinement ce basculement, ne fût-ce qu’un regain fugace de son passé, qu’une once d’espoir dans cette fuite en avant. Laurent perçut de suite ce nouveau prisme dans son regard tout comme sa présence accrue à ses côtés. Ils se posaient tous les deux la même question : et maintenant ?
Perdus dans le nuage de poussière, assourdis par les cris deci-delà, ils se levèrent pourtant, toujours se serrant et se dirigèrent alors vers le Bosphore, lui qui les avait accueillis si majestueusement la veille. Un camp de fortune s’était improvisé tout près pour soigner les premiers blessés. La vie repartait sur de nouvelles données pour des milliers de personnes, eux deux compris. Sans leur matériel vidéo, leur film documentaire en forme de roadtrip prenait un virage impromptu. Était-il voué à disparaître maintenant que la mémoire de Léonore semblait renaître même faiblement ? Ce voyage allait-il se transformer en un autre projet ?
Face à la mer, les yeux fixés vers l’horizon, Léonore osait rêver d’un futur proche alimenté par des bribes de son passé.
Face à elle, Laurent, le regard posé sur son espoir, se demandait comment sortir de cette impasse dans laquelle le destin les avait menés.
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