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Le jeudi suivant, je retrouvai Florian à l’arrêt du bus, il me fit un sourire avant de monter. Nous restâmes debout, il ne parla pas beaucoup plus que la semaine précédente. Je lui demandai comment se déroulaient ses études, il me répondit :
— Ça va, je devrais réussir assez facilement, mais j’ai quand même pas mal de travail.
— Tu as eu le temps d’apprendre ton texte ?
— Le début. Et toi ?
— Aussi le début, ça m’occupe le soir.
Nous débutâmes la répétition. Olivier s’était arrangé pour que chacun d’entre nous pût participer à un moment ou à un autre, sans tenir compte de l’ordre des scènes. Certains avaient plusieurs petits rôles différents.
À la pause, la présidente nous annonça :
— J’ai une bonne nouvelle : après plusieurs tentatives ces années passées, notre dossier a été sélectionné, nous sommes invités à Béziers.
— Génial ! s’exclama Inès qui jouait le rôle d’Ophélie. C’est quand ?
— Le deuxième week-end de juillet, ne partez pas en vacances à ce moment-là. Je vous enverrai les dates exactes sur WhatsApp.
— Pour quelle manifestation sommes-nous invités ? demandai-je.
— Un festival de théâtre amateur contemporain à la Scène de Bayssan, à Béziers ; c’est en même temps un concours puisqu’un jury désigne la meilleure troupe, mais c’est secondaire, c’est surtout pour nouer des contacts et découvrir d’autres productions.
— Je pense que le choix de la pièce y est pour quelque chose, dit Olivier, avec le théâtre de boulevard nous n’aurions eu aucune chance d’être invités. J’aurais quelque chose à vous demander.
— On t’écoute, fit Lucie.
— Voilà. La fille d’un ami s’intéresse à la mise en scène et aimerait assister aux répétitions, elle serait en quelque sorte mon assistante.
— Tu sais que nous ne pourrons pas la payer, dit André.
— Ne t’inquiète pas, elle viendrait bénévolement. Elle connait Florian, elle est dans la même classe que lui au gymnase.
Celui-ci, qui avait écouté distraitement la conversation jusqu’à présent, eut l’air intéressé.
— Une fille de ma classe ? qui s’intéresse au théâtre ? dit-il. Je ne savais pas, laisse-moi deviner… Anaïs ?
— Exact. Comment as-tu deviné ?
— Une intuition.
— Tu t’entends bien avec elle ?
— Je n’ai pas beaucoup de contacts avec elle, je suis plutôt solitaire.
— En tout cas, fit Olivier, elle semble t’apprécier, mais ne lui dis pas que je te l’ai dit.
— Promis.
Je me demandai si cette Anaïs venait pour le théâtre ou pour les beaux yeux de Florian, Olivier jouait-il les entremetteurs ? Cela me déplut. Je me repris : je ne devais pas être jaloux, les relations que pourrait avoir Florian avec cette fille ne me regardaient pas et je n’avais pas à me mêler de sa vie privée et sentimentale.
Lors du retour en bus, je lui parlai de la scène du combat :
— Il faudra que je m’entraine, dis-je, que je recommence à faire du sport, je n’ai plus 20 ans.
— Moi je n’ai pas encore 20 ans, mais je dois aussi m’entrainer. J’ai décidé de courir tous les samedis matin au bord du lac. Viendrais-tu avec moi ?
— J’aurais de la peine à te suivre.
— On le fera progressivement.
Nous fixâmes la rencontre à neuf heures le samedi suivant au port de Pully, le parcours serait ainsi plus court pour moi. Florian ne courut pas trop vite, ce qui me permit de le suivre jusqu’au siège du CIO où je m’arrêtai, n’en pouvant plus.
— Je suis désolé, me dit-il, c’était trop pour la première fois.
— Rassure-toi, j’ai surveillé mon rythme cardiaque sur ma montre, il est resté dans les normes, mais tu peux continuer sans moi.
— J’en ai assez pour le moment. Je t’offre un café et un croissant, nous les avons bien mérités, il faut toujours une récompense pour se motiver.
— Non, c’est moi qui te les offre.
— Nous n’allons pas nous disputer, ce sera moi les semaines paires et toi les semaines impaires.
Il n’y avait pas de bar tout près, nous retournâmes sur nos pas. En passant devant le théâtre de Vidy, Florian me dit :
— Arrêtons-nous ici, je pense que la Kantina est ouverte.
— La Kantina ?
— Oui, c’est la cantine du théâtre.
Le théâtre de Vidy-Lausanne a été construit pour l’exposition nationale de 1964 par l’architecte Max Bill et devait ensuite être démoli, il a été sauvé et plusieurs autres salles sont venues s’ajouter au bâtiment historique couvert de panneaux en acier inoxydable.
Florian alla chercher les cafés à l’intérieur, avec des grands verres d’eau, puis nous nous assîmes sur la terrasse, il faisait beau et chaud.
— Tu n’étais jamais venu ici ? me demanda-t-il.
— Non, il faudra que je m’intéresse à la vie culturelle, plus animée que dans mon ancienne commune. Tu assistes souvent à des représentations ?
— Rarement, seulement ce qui m’intéresse vraiment. Je n’ai pas pris l’abonnement général. J’ai vu Foucault en Californie, de Lionel Baier.
— Le cinéaste, il me semble ?
— Oui, le cinéaste, il est gay, comme l’était Foucault.
Pourquoi Florian m’avait-il précisé que ce metteur en scène était gay ? Voulait-il me suggérer qu’il l’était aussi ? Je me faisais des idées, je me dis encore une fois que sa vie privée ne me regardait pas et je me demandai pourquoi j’étais en train de regarder son tee-shirt imbibé de sueur. Je lui demandai :
— Que faisait Michel Foucault en Californie ?
— Il donnait des conférences. Deux étudiants gays l’ont invité pour une virée dans la Vallée de la Mort. Ils voulaient lui faire prendre du LSD.
— Ils ont réussi ?
— Oui, cette expérience a eu semble-t-il de l’importance pour les travaux ultérieurs du philosophe.
— Le metteur en scène a-t-il utilisé des projections psychédéliques pour suggérer le trip ?
— Non, je pense qu’il voulait que les spectateurs imaginent eux-mêmes l’expérience, les effets sonores et visuels étaient discrets.
— L’homosexualité des personnages était-elle mise en évidence ?
— Non, ce n’était pas le thème principal de la pièce, Foucault était d’ailleurs joué par une femme pour éviter un casting uniquement masculin.
— Ça ne t’a pas dérangé ?
— Pas du tout.
Florian me donna encore quelques détails sur la pièce, puis il dit, l’air pensif :
— Ce serait mon rêve de jouer dans ce théâtre qui vient d’être rénové.
— Tu pourras certainement le réaliser un jour si tu deviens professionnel, mais pas moi.
— Qui sait ? La vie réserve parfois des surprises.
Sa remarque m’intrigua, je lui demandai :
— Tu penses que je pourrais changer de métier et devenir un saltimbanque ?
— Pourquoi pas ? On peut imaginer toutes les reconversions.
— Ça m’étonnerait, je préfère avoir ma paye à la fin du mois, même si ce n’est pas au boulot que je m’épanouis.
— Bon, puisqu’on rêve, tu pourras peut-être aussi jouer ici en amateur.
— On peut toujours rêver.
J’eus l’impression qu’il en savait plus que moi sur notre troupe, alors que nous avions commencé en même temps. Avait-il déjà parlé à l’assistante ? C’était probable. Ou alors… Une idée me vint à l’esprit, mais ce n’était qu’une supposition.
Nous nous quittâmes, Florian avait finalement décidé de courir encore un peu, je pris le bus pour rentrer chez moi. Je regardai le programme du théâtre de Vidy sur mon iPhone en me disant que j’aurais dû lui proposer de l’accompagner lorsqu’il y irait.
Et je me masturbai avant même de me doucher.
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