14
Florian habitait dans un immeuble moderne, un appartement en duplex aux deuxième et troisième étages, avec de grandes baies vitrées qui offraient une vue imprenable sur le lac. Nous montâmes à pied et nous entrâmes. On entendait de la musique assez forte en haut. Florian ouvrit un placard et en sortit un vase.
— Pour les fleurs, me dit-il, tu peux me les offrir maintenant.
— Tu as vu ?
— Oui, j’ai vu le serveur qui les remettait dans ton sac. C’est la première fois qu’on m’offre des fleurs, je suis touché.
Il me fit la bise pour me remercier. Nous passâmes à la cuisine, mon ami remplit le vase d’eau.
— On doit couper la tige des roses ? me demanda-t-il.
— Oui, en biseau, avec un couteau, mais attention à ne pas te piquer avec les épines.
— Piqures d’amour, ce ne serait pas grave.
Après avoir déballé les fleurs, Florian sortit une bouteille de champagne du frigo.
— Je l’avais mise au frais, à tout hasard. Je connais un auteur de récits érotiques qui en fait boire à ses personnages à chaque dépucelage.
Il mit ensuite quatre flutes et un paquet de flutes sur un plateau. Je pris le vase et nous montâmes à l’étage supérieur, au salon. La lumière était éteinte, le soleil venait de se coucher, je distinguai deux silhouettes enlacées sur le canapé. Mes yeux s’habituèrent à la pénombre, c’étaient deux femmes, les seins nus, je reconnus la sœur de Florian et Anaïs. Elles remarquèrent soudain notre présence et sursautèrent, Christelle mit son bras devant sa poitrine.
— Ne te gêne pas, fit sa compagne, ton frère nous a montré sa bite, il peut bien voir nos seins, cela ne semble pas beaucoup l’intéresser.
— Exact, dit celui-ci, tout comme ma bite ne vous intéresse pas.
— Désolée, fit Christelle, nous ne vous avons pas entendus avec la musique, je pensais que tu rentrerais plus tard de ce souper avec ce mystérieux ami.
— Pas si mystérieux que ça, dit Anaïs, on s’en doutait.
Florian alluma un lampadaire, posa la bouteille et les flutes sur la table base ; je mis le vase à côté d’un autre, qui contenait aussi des roses rouges.
— Les grands esprits se rencontrent, dit Florian, mais vous avez été beaucoup plus rapides que nous. Ce n’est que ce matin que je vous ai mises en contact après le repas de hier soir. Je me demande si maman avait plutôt pensé à toi en invitant Anaïs.
— Possible, répondit Christelle, on lui demandera à son retour. Elle avait fini par supposer que tu étais gay, mais elle n’avait jamais osé te poser la question.
— Dans notre troupe, fit Anaïs, cela faisait des mois qu’on disait derrière votre dos que vous étiez étaient amoureux l’un de l’autre.
— En somme, constata Florian, nous avons été les derniers à le découvrir.
— Je ne sais pas encore si tu es amoureux de moi, fis-je, tu ne m’as pas encore fait ta déclaration.
— Ça vient.
Florian se déshabilla entièrement, jetant théâtralement ses habits au loin, puis s’agenouilla devant moi, les yeux baissés, et déclama :
— Doute que les étoiles soient du feu,
Doute que le soleil se meuve,
Doute de la vérité même,
Ne doute pas que je t’aime.
Ô cher Camille, je suis maladroit dans l’art des rimes, je ne sais pas scander mes soupirs, mais que je t’aime par-dessus tout, ô toi qui vaux plus que tout, n’en doute pas.
Après un moment d’hésitation, je lui tendis la main pour l’aider à se relever, nous nous regardâmes de nos yeux embués, puis je le pris dans mes bras, nos lèvres se rapprochèrent et nous échangeâmes un long baiser. Pendant ce temps, les deux amies chuchotaient :
— Acte II, scène II, dit Anaïs.
— Était-ce prévu dans les didascalies qu’Hamlet doit bander à ce moment-là ? demanda Christelle.
— Je croyais que tu ne regardais pas les bites.
— Celle-ci pourrait peut-être te servir, un jour ou l’autre.
Je sentais en effet le sexe dressé de Florian contre le mien. Il la cacha dans son slip pour déboucher la bouteille de champagne et remplir les flutes, alors que les filles avaient toujours les seins nus. Je me sentais mal à l’aise d’être le seul encore habillé.
— À nos amours ! dit-il. À nos délices !
Nous trinquâmes, puis nous nous assîmes dans des fauteuils. Je dis à Florian :
— Je vais te poser la même question que tu m’as posée tout à l’heure : pourquoi ne m’as-tu pas dit plus vite que tu m’aimais ?
— Je devais d’abord apprendre mon texte, dans la pièce c’est Polonius qui lit ma lettre. Plus sérieusement, je ne t’ai pas aimé la première fois que je t’ai vu dans le bus, cela m’a pris plus de temps, mais, comme toi, avouer que j’aime un homme signifiait aussi assumer que je suis homosexuel. J’ai déjà dû franchir cette première étape.
— Te rappelles-tu à quel moment ça s’est passé ?
— Très bien, c’était à Fribourg, lorsque nous avons vu la pièce Angels in America et que nous avons côtoyé des hommes gays qui parlaient si simplement et si ouvertement de leur homosexualité. J’avais d’autres priorités à ce moment-là, je voulais me concentrer sur le théâtre et sur mes études. Rien ne pressait. Je n’avais pas non plus de signes clairs de ta part qui auraient pu m’indiquer que tu étais gay et que tu m’aimais.
— Tu en as eu par la suite ? demanda Christelle.
— Pas vraiment, jusqu’au jour où Camille a désiré dormir dans la même chambre que moi en France. C’est pour cela que je…
Florian hésita avant de continuer.
— Tu peux me le dire, dit Christelle, on peut se faire des confidences entre frère et sœur, au point où on en est.
— Bah… Je me suis branlé devant lui, pour voir sa réaction. Réaction très positive !
— Ce n’était que la répétition générale pour la scène de la douche, dit Anaïs.
— Sous la douche ? demanda Christelle. Quelle douche ?
— Quelques hommes de la troupe se seraient branlés ensemble sous la douche après la représentation à Béziers, mais ce ne sont que des ragots.
Florian remplit les flutes en vidant la bouteille.
— Il se fait tard, me dit-il ensuite, je pense que tu désires rentrer, tu dois certainement regarder si ton chef ne t’a pas envoyé un truc urgent à faire.
— Mon chef est en vacances et j’ai pris congé demain, à tout hasard, et j’ai débranché mon téléphone professionnel.
— Je suis déçu, je pensais que tu étais plus consciencieux. Oserais-je t’inviter pour la nuit ? La chambre d’ami est prête, j’ai changé les draps.
— Pas dans la tienne ? Tu m’as pourtant dit que ta mère t’a offert une boîte de préservatifs.
— Oui, mais elle a oublié le lubrifiant.
— Pas de souci, j’en ai acheté, à tout hasard.
— Bonne nuit, alors ! fit Christelle.
— Bonne nuit ! fit Florian. Vous avez de la chance, les filles, pas besoin d’accessoires pour vous donner du plaisir.
— Qu’en sais-tu ? On se racontera au petit déjeuner, on compte sur toi pour aller chercher les croissants.
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