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S’il y avait eu quelques rires lorsque Michael avait demandé à Florian de se dénuder et de répéter sa tirade en français, le silence était maintenant revenu. Mon ami s’avança, monta sur le podium, il avait l’air très concentré. Ce fut la dernière fois que je l’entendis jouer Hamlet cette année-là, mais ce fut la meilleure, mon avis n’était cependant plus impartial puisque j’étais devenu son amant. Il fut à nouveau très applaudi et la metteuse en scène réitéra sa proposition de jouer avec elle.
— C’est parce que tu as vu sa queue ? demanda ironiquement Michael. Elle te plait ?
— Et toi, elle te plait ? répondit-elle.
— Je ne permettrais pas de porter un jugement en public, je lui dirai ce soir en privé chez moi puisque je les ai invités. Pour la tirade, c’est lui ou c’est moi qui suis le meilleur ?
— Je ne permettrais pas de porter un jugement en public qui pourrait vexer l’un ou l’autre. Florian, tu me donneras ton adresse, je te répondrai en privé.
Je remarquai qu’elle le tutoyait, elle devait considérer qu’il faisait partie de la famille des comédiens après sa prestation. Plusieurs personnes parlant français nous demandèrent des précisions au sujet du festival de Béziers. Vers minuit, Michael nous proposa de rentrer, nous acceptâmes car les discussions devenaient difficiles à comprendre avec la musique et ne nous concernaient plus. Nous prîmes congé et sortîmes du théâtre après avoir récupéré nos sacs dans la loge. Dieter nous accompagna et monta dans le même tram que nous. Le trajet dura une dizaine de minutes. Michael habitait dans un long bâtiment, déjà ancien, une coopérative d’habitation. Il nous expliqua :
— Nous sommes mal payés, je n’aurais pas les moyens de vivre seul ici sans l’aide de Dieter.
Celui-ci était-il seulement un colocataire ou plus ? Nous n’allions pas tarder à le découvrir. Le logement était petit, sur deux étages, au rez-de-chaussée une cuisine qui servait de salle à manger, un salon et une salle de bain. Une porte-fenêtre donnait sur un petit jardin. Il n’y avait pas de canapé ou de fauteuils, seulement de gros poufs multicolores. Michael nous dit :
— Rassurez-vous, vous aurez d’autres matelas pour dormir à l’étage. Je vous offre encore quelque chose à boire ? Bière ? Vin ? Rouge ou blanc ?
À cette heure, je préférais du vin rouge, les autres boissons m’auraient empêché de dormir. Notre hôte ouvrit donc une bouteille d’excellent pinot noir allemand et fit le service. Malgré la porte-fenêtre ouverte avec une moustiquaire, il faisait encore très chaud. Michael nous dit :
— Nous pourrions nous mettre à l’aise, nous n’avons pas de rideaux, mais les voisins dorment tous à cette heure. Vous pouvez faire la même chose, si cela ne vous gêne pas. Vous nous dites si quelque chose vous dérange.
— Pas de souci, fis-je, vous êtes chez vous.
Ils se déshabillèrent, posèrent leurs habits sur une chaise mais gardèrent leurs sous-vêtements. Dieter avait d’autres tatouages sur le corps, je les trouvai assez beaux ; il avait en outre des piercings aux mamelons. Michael portait son boxer noir.
— C’est toujours le même, dit-il, celui avec lequel j’ai joué chaque représentation d’Hamlet.
— Tu le remets à l’entracte ? demanda Florian. Nous avons vu l’habilleuse le ramasser.
— Je suis obligé, le pantalon est assez léger, on pourrait voir des formes, et la queue partirait dans tous les sens pendant le duel.
Nous nous déshabillâmes aussi, Michael fut étonné du slip blanc de mon ami.
— Parfois on doit en porter dans une pièce, fit-il, c’est assez sexy mais je pensais que c’était ringard.
— Je m’en fiche si je suis ringard, dit Florian, je porte ce qui me fait plaisir.
— Tu as raison. Et toi, Camille, tu étais aussi nu dans votre mise en scène d’Hamlet ?
— Non, répondis-je, il n’y avait pas de raison.
— Je pense qu’ils voudraient te voir à poil, me dit mon ami en français.
— Je ne sais pas, ils ne sont peut-être pas gays, seulement colocs.
— Ça m’étonnerait, je vais leur demander, fit Florian, puis, s’adressant aux Allemands : j’ai n’ai pas caché à Michael que nous sommes gays, pourriez-vous nous dire si vous l’êtes aussi afin d’éviter des malentendus ?
— Bien sûr, répondit Dieter, nous le sommes, cette chaude nuit d’été éveille nos sens, comme dans un songe, mais ne vous sentez pas obligés à quoi que ce soit avec nous, nous pouvons aller dans notre chambre.
J’eus une discussion rapide avec Florian, il dit ensuite :
— Cette nuit d’été aiguise aussi nos sens, mais nous ne sommes pas encore prêts pour des relations sexuelles avec un autre couple, il n’y a que peu de temps que nous sommes ensemble. Ce serait tentant de rester un moment avec vous, sans contacts corporels, chacun de son côté.
— Comme il vous plaira, fit Dieter. Les formalités étant réglées, on ne va pas passer de contrat écrit, on se fait confiance.
Il baissa alors son boxer, dévoilant son pénis qui avait également un piercing au prépuce. Florian baissa le mien en disant :
— Voilà comme personne n’a vu Laërte sur la scène.
Je réalisai une fois de plus que ma vie avait changé, alors qu’avant ma nudité était réservée à ma femme, elle était devenue publique. Je n’étais pas encore totalement habitué, c’était mieux ainsi, cela me procurait un frisson supplémentaire. Florian baissa ensuite son slip blanc en disant à Michael :
— Tu peux me donner ton avis maintenant.
— Je la trouve belle, j’aime bien les bites circoncises, mais pas pour moi. J’aime aussi les tatouages de mon ami mais je n’en ferais en aucun cas sur mon propre corps. Et toutes les bites sont belles, quelle que soit leur apparence.
— Et leur longueur, ajouta Dieter. On peut la voir en érection ?
— Tu es incorrigible, fit Michael, ils n’ont pas l’habitude.
— Il n’y aura pas de contacts corporels si chacun touche sa propre queue, le contrat est respecté.
Nous étions passablement excités par cette situation, nous bandâmes rapidement, mais personne me fit d’autres commentaires, contemplant en silence les organes dressés.
Nous nous assîmes sur les poufs. Dieter alluma le téléviseur, il nous proposa de regarder une compilation de spectacles où les hommes étaient nus sur la scène, il avait trouvé toutes ces vidéos sur internet, sauf les deux premières puisque c’était tout d’abord Michael, vidéo tournée lors d’une répétition, et celle d’un autre Hamlet, à Innsbruck, théâtre où travaillerait la metteuse en scène lors de la saison suivante. Les vidéos étaient assez courtes, puis ce furent des troupes de danseurs, d’une durée plus longue.
Florian prit mon pénis dans sa main pour le caresser doucement. Je tournai la tête, Dieter avait fait de même avec celui de Michael qui bandait toujours dur, comme dans la dernière série de vidéos qui étaient des spectacles encore plus osés. Je reçus ensuite une fellation de mon ami et je lui rendis la pareille. Nous n’osâmes pas aller plus loin, l’autre couple non plus. S’étaient-ils retenus à cause ne notre présence ? Je ne le sus jamais.
Nous montâmes ensuite l’étage, nos matelas étaient dans une chambre qui servait également d’atelier à Dieter, il avait une passion : il fabriquait des modèles réduits, pas de trains et d’avion, c’étaient des mondes imaginaires, univers de science-fiction savamment éclairés. Nous nous endormîmes rapidement, malgré l’inconfort de nos « lits », épuisés par cette longue journée.
Voilà, il est temps pour moi d’interrompre ce récit de ma rencontre avec Florian qui est encore récente. Je le reprendrai peut-être un jour pour vous raconter la suite de notre vie commune, pour autant qu’elle soit intéressante. Comme je n’ai pas de boule de cristal, je ne peux pas vous dire si nous nous marierons, vivrons heureux et aurons beaucoup d’enfants.
FIN
Voilà, c’était probablement le dernier récit que j’ai publié dans l’Atelier des Auteurs, pour deux raisons :
D’une part mes récits passent presque inaperçus, à part quelques lectrices et lecteurs fidèles que je remercie. Je n’ai ni l’envie ni le temps de faire de la pub en lisant, corrigeant et commentant les récits des autres pour me faire connaitre, ce qui semble être le mode de fonctionnement de ce site. Je préfère écrire.
D’autre part, j’ai relu les règles après la réception d’un courriel et vu que les contenus « obscènes, pornographiques et/ou contraires aux bonnes mœurs » ne son pas (ou plus ?) acceptés. Comment définir si mes récits ont ces qualités (ou ces défauts, selon le point de vue) ? C'est totalement subjectif.
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