Chapitre 16 - Malveillance
L'agitation battait son plein dans la capitale. Partout dans les ruelles, la foule se pressait pour se rendre dans les magasins ou tout simplement pour voir les étals. Jaelith pouvait entre les gens hurler et vanter les mérites de leurs marchandises. Ici et là, on négociait les prix des riches étoffes en provenance du sud, on achetait des fruits et légumes locaux. Une ambiance qui était la même tous les jours dans les grandes rues de la cité. Jaelith se laissa alors porter par les mouvements de la masse de personnes assemblée ici, les observant.
Une odeur de pain vint lui chatouiller les narines et elle regretta immédiatement d'avoir laissé ses affaires à l'auberge. Elle était toujours en armure et aurait préféré passer une tenue plus sobre. Mais si elle retournait à la Mésange Bleue, il y avait de grandes chances pour qu'elle tombe sur Elrynd. Et ce dernier lui passerait un savon concernant sa conduite devant le roi.
Jaelith soupira. Comment pouvait-on en vouloir autant à des créatures aussi merveilleuses que les dragons ? L'attitude du roi la veille était en total désaccord avec ce qu'il avait dit aujourd'hui. Il aurait pu tuer Feiyl s'il avait voulu, elle en était sûre et certaine. Alors, pourquoi ?
— Je ne comprends rien à cet homme !
Elle avait pensé à voix haute, a son grand étonnement, puis regarda aux alentours. Elle n'était plus dans la grande rue pleine de vie, mais dans l'une des petites ruelles sombres et vides de la cité. Elle se demanda depuis combien de temps elle déambulait là, et à son grand désarroi, comprit qu'elle s'était perdue. Elle entreprit alors d'avancer jusqu'à ce qu'elle rencontre quelqu'un qui serait susceptible de lui indiquer le chemin de l'auberge. Deux rues plus loin, elle croisa deux hommes qui discutaient à voix basse et la dévisageait. Elle se rappela alors qu'elle était en armure, et que les femmes paladins n'étaient pas monnaie courante. La jeune femme s'approcha et les salua poliment.
— Excusez-moi, je me suis perdue. Est-ce que vous pourriez m'indiquer le chemin de l'auberge...
— Mais c'est qu'elle est plutôt charmante cette fille !
Jaelith recula. Les deux hommes venaient de sortir de longs couteaux de sous leurs manteaux. Ils la regardaient avec leurs grands yeux, comme des chasseurs qui allaient dévorer le gibier pris au piège. Le premier chargea. Elle l'évita facilement et dégaina son épée, lui donnant un coup de la garde dans le bas du dos pour ne pas le tuer. Le second siffla. Trois autres hommes firent leur apparition dans la ruelle. La jeune femme se retourna, paralysée par la panique. Elle était seule et ne pouvait compter que sur son épée. Il n'était pas question de faire appel à la lumière. Elle ne la maitrisait pas assez pour ça.
Ils se jetèrent sur elle tous ensembles et la désarmèrent facilement. Jaelith voulait bouger, mais elle n'arrivait pas à faire un pas tant la peur lui avait glacé le sang. Ils s'approchaient, un sourire aux lèvres. Elle ferma les yeux. Elle pensait qu'elle allait sombrer en larme, là, tout de suite. La bande s'approchait dangereusement. Non, il ne fallait pas. Elle ne devait pas. Elle ne pleurerait pas.
L'un des hommes lui maintenait ferment les poignets derrière le dos. Elle tenta de se libérer mais reçut en récompense un coup de poing dans l'estomac qui lui coupa la respiration pendant un instant. Il n'y avait pas été de main morte et la jeune femme sentit les forces l'abandonner et manqua de se laisser tomber au sol.
Jaelith entendit le bruit d'une lame qu'on sort de son fourreau mais ne savait pas d'où il venait. Puis une voix familière se fit entendre.
— Je ne sais pas ce que vous lui voulez, mais je vous conseille de la laisser tranquille.
La jeune femme releva la tête. C'était lui. Le hasard, semblait-il, avait voulu que Freyki se trouvait là, face à elle. Ce dernier lança un regard rempli de haine vers les malfrats. La lame du roi brilla sous les rayons du soleil qui n'avait pas encore atteint son zénith.
— Majesté...
Ce n'était qu'un murmure sur le bout des lèvres de la demie elfe. Elle aimerait hurler, lui dire de partir, mais aucun son ne sortit de sa bouche. L'homme qui la tenait la poussa violement au sol. Ils avaient fondus sur Freyki comme des loups sur une proie.
Jaelith était comme hypnotisée par le ballet de mort qui se déroulait face à elle. Freyki n'était pas amateur, loin de là. Il portait peu de coups, mais à chaque fois qu'il touchait sa cible, cette dernière tombait sans espoir de se relever. Lorsque le dernier homme tomba, le roi rangea sa lame et s'approcha de la jeune femme qui se trouvait au sol. Il s'agenouilla près de Jaelith et demanda d'une voix douce :
— Est-ce que tout va bien ma dame ?
Elle voulait lui répondre, le remercier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle se releva difficilement et manqua de retomber à terre. Le roi la rattrapa par le bras. Jaelith sentit ses jambes tremblantes qui la maintenaient difficilement. Elle avait envie de pleurer, de hurler. Elle avait encore mal... La jeune femme s'accrocha à la tunique de Freyki, crispée, la respiration saccadée.
Elle sentit alors la main de cet homme se poser doucement sur son dos pour l'attirer à lui. Il murmura.
— Personne ne vous blâmera si vous pleurez...
Alors elle éclata en sanglots dans ses bras. Elle pleura pendant quelques minutes, puis les larmes se tarirent, sa respiration se calma pour reprendre un souffle normal. Elle respira un grand coup et leva la tête vers son sauveur.
— Est-ce que ça va mieux ?
— Oui...
Freyki prit la jeune femme par la main et cette dernière le suivit dans les ruelles jusqu'à ce retrouver enfin dans la grande rue commerçante qu'elle avait quitté. Elle n'osa pas le regarder dans les yeux tendit qu'elle prononça ces paroles :
— Je suppose que je dois vous remercier pour ce que vous avez fait...
Il parut surpris.
— Vous n'êtes pas obliger de me remercier. Quel homme ne serait pas intervenu pour vous venir en aide ?
— Vous m'avez suivi depuis que je suis partie du donjon ?
Il se gratta le menton, cherchant sans doute une excuse valable. Jaelith ne le laissa pas chercher plus longtemps.
— Pourquoi ?
— Pour être honnête, je ne sais pas vraiment pourquoi il m'est venu à l'esprit cette idée de vous suivre.
Surprise par une réponse aussi étrange, la jeune femme ne pu réprimer un rire. Ils restèrent ainsi quelques instants, près de la foule qui marchait dans la grande rue, insouciante.
— Je pense qu'il vaut mieux pour moi de retourner à l'auberge.
— Pourquoi ça ? Quelqu'un vous attend là-bas ma dame ?
— Dans un sens, oui. Mon capitaine ne manquera pas de me faire un sermon sur la manière dont j'ai osé prendre la parole ce matin devant vous...
— A ce propos... Je voulais m'excuser de la manière dont je vous ai parlé pendant la réunion. Je pense que je me suis un peu trop emporté.
Elle n'osa pas lui répondre qu'il ne s'était pas « une peu » emporté, mais qu'il avait été une véritable furie. Freyki continua :
— Est-ce que ça vous dirait que je vous fasse visiter la ville ? Ça vous permettrait d'éviter de retrouver votre capitaine trop rapidement et de vous perdre la prochaine fois...
— Vous n'avez pas de choses plus importantes à faire plutôt que de vous occuper d'une femme comme moi ?
— Pas vraiment. Tout du moins, pas pour le moment.
Il repensa à cette histoire d'attaques de dragons et ses sourcils se froncèrent. D'ici quelques temps, il n'aurait même plus le temps de sortir du donjon.
***
La cité de Goldrynn était immense. Marchant à travers les rues commerçantes, Freyki montra à la jeune femme les recoins intéressants de cet endroit qu'elle ne connaissait pas. Ils s'arrêtèrent quelques instants devant la chapelle de la lumière au centre de la ville. Jaelith écarquillait les yeux d'éblouissement. Jamais elle n'avait un endroit aussi beau et aussi imprégné par la lumière. La petite église de l'académie des paladins semblait bien terne à côté de celle-ci.
De plus, la chapelle de lumière était situé sur le seul endroit surélevé de la ville, ce qui faisait qu'il y avait une vue imprenable sur le paysage. La jeune femme reconnu le port par lequel elle était arrivée la veille, le quartier commerçant qu'elle avait traversé, le donjon qui s'élevait plus haut que le reste des habitations.
Un vent frais soufflait et Jaelith repoussa les cheveux rebelles en arrière, un énorme sourire sur le visage. Sourire qui s'estompa doucement lorsqu'elle vit une petite partie de la cité qui avait subi les affres du temps et semblait noircie par la suie. Elle le désigna du doigt et demanda.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé là-bas ?
Le roi porta son regard sur l'endroit qu'elle lui montrait et son regard se rempli de tristesses.
— C'est tout ce qui reste de l'ancien quartier des marchands. Tout a brûlé.
— Un accident ?
— Des dragons.
Un long silence s'était installé entre eux. Devant l'état de mutisme qu'il avait provoqué, Freyki décida d'expliquer ce qui s'était passé en détails.
— C'est arrivé il y a des années. Quand les dragons noirs nous ont attaqués. Toute la ville était dans cet état après la bataille. On a mit beaucoup de temps à tout remettre en état comme vous pouvez le constater.
— Des dragons noirs...
Elle repensa à son rêve. Des dragons noirs planant sur la cité en flammes... Comme par le passé...
— Tout va bien ma dame ?
— Oui...
Il venait de la faire sortir de ses pensées. Jaelith porta à nouveau son regard sur le paysage que lui offrait la cité, puis pensa qu'elle devait retourner à l'auberge, au moins pour rassurer Elrynd. Elle s'inclina face au roi.
— Merci pour cette visite majesté. Mais il faut vraiment que je retourne à l'auberge.
— Je comprends. Je n'aimerais pas être à votre place quand votre capitaine vous passera un savon.
Il lui lança un sourire qu'elle lui rendit avant de prendre congé et de disparaitre dans les rues de la citée.
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