Chapitre 19 - Les déserteurs
Pendant les jours qui suivirent, Jaelith passait le plus clair de son temps à la chapelle de la Lumière. Elle appréciait la sagesse du père Nilsas, et ce dernier ne voyait pas d'un mauvais œil le petit compagnon de la demoiselle. Au contraire, il avait dit à Elrynd, quand elle était alitée, que l'amitié que se portaient Jaelith et Feiyl était peut-être le début de grands changements.
Quoi qu'il en soit, la journée était bien avancée quand Elrynd vint déranger la jeune femme au milieu de sa lecture. Jaelith se trouvait dans la petite bibliothèque de la chapelle. Cette dernière n'avait rien à voir en terme de taille avec celle de l'académie des paladins, mais recelait quelques livres qu'elle n'avait pas encore lus.
— Jaelith.
A l'évocation de son nom, la jeune femme releva la tête vers son interlocuteur.
— Capitaine ? Il se passe quelque chose ?
— Nous sommes attendus. Prépare-toi, nous partons pour Bergen.
— Bergen ? C'est la ville qui a été attaqué par un dragon ? Je croyais qu'il y avait déjà des hommes là-bas pour s'occuper de ce problème ?
Elrynd se gratta le menton, pensif.
— Je n'ai pas de précisions. J'ai juste eu des ordres. Toi et moi, nous allons là-bas.
— Seuls ?
— Non... Le roi a décidé d'emmener avec lui un détachement d'hommes.
Le paladin déglutit. Il pensa alors qu'elle serait la seule femme du voyage et s'inquiétait, comme d'habitude. Jaelith referma son livre et le replaça dans les rayons de la bibliothèque. Elle tourna la tête vers Feiyl.
— Je vais voir d'abord si ça ne dérange pas le père Nilsas de s'occuper de Feiyl le temps que nous remplissions cette mission.
— Fais comme tu veux, mais nous devons être aux portes de la cité dans une heure !
— J'y serais capitaine.
***
Un groupe d'hommes à cheval se trouvait à l'entrée de Goldrynn. Leurs armures portaient les couleurs de la citée, bleues et blanches. Elrynd et Jaelith sortaient du lot, avec leurs simples armures de fer. Ils attendaient en rang et dans le calme, l'arrivée de leur roi. Ce dernier ne tarda pas à venir, vêtu lui aussi d'une armure, identique à celle de ses hommes. Il salua rapidement ses soldats et se plaça devant eux. Sa voix puissante résonna.
— J'ai reçu de bien tristes nouvelle du général Lutz. Bergen est tombée face à un dragon noir. Nous allons nous rendre là-bas et lui rendre la monnaie de sa pièce !
Chaque personne présente acclama le roi dans un énorme brouhaha qui se calma au bout de quelques minutes. Montés sur leurs chevaux, bien en rang, les soldats suivirent leur souverain.
Bergen ne se trouvait qu'à deux heures de route de la capitale. Jaelith suivait le cortège, tête basse. On allait à nouveau la forcer à se battre avec un dragon...
— Quelque chose ne vas pas Jae' ?
— Tout va bien mon capitaine.
Elle avait répondu sèchement, et Elrynd comprit qu'il ne fallait pas aller plus loin. Il se doutait que quelque chose n'allait pas. Et il se doutait aussi de ce que c'était. Jaelith préféra s'éloigner de son capitaine et fit prendre à son cheval une allure plus rapide. Elle pensa qu'elle était enfin tranquille. Lorsqu'elle tourna la tête vers sa gauche, elle aperçut Freyki, qui se tenait droit comme un I sur son cheval. Elle allait ralentir l'allure afin de ne pas être vue, mais c'était trop tard.
— Pourquoi faites-vous cette tête d'enterrement ma dame ?
— Vous le savez aussi bien que moi. Vous connaissez ma position au sujet des dragons.
— Certes, mais qu'est-ce qui vous dis que nous allons affronter un véritable dragon ?
— Mais tout à l'heure, vous avez dit...
— C'est ce que disait le message. Mais imaginez que nous tombions sur un dragon comme celui que nous avons vu tous les deux dans cette cave souterraine ? Est-ce que vous auriez autant de scrupules à vous battre contre cette créature ?
Elle soupira. Finalement, elle ne savait même pas quel genre de créature elle allait devoir affronter.
***
Le camp du général Lutz se trouvait à trois cents mètres environs des ruines encore fumantes de Bergen. Ce dernier, ainsi que ses hommes, dont le nombre avait largement diminué depuis leur départ de la capitale, saluèrent leur souverain. Freyki posa pied à terre et engagea sans détour la conversation avec son général.
— Que s'est-il passé ? Où est le reste de vos hommes ?
— La ville était déjà saccagée lorsque nous sommes arrivés mon roi. Un immense dragon noir volait aux alentours. Il a tué la moitié de mes hommes d'un seul souffle de flammes avant de repartir ! Par la suite, certains de mes soldats les moins scrupuleux ont... Désertés, pour piller les décombres de la ville. C'est un véritable manquement à la discipline et même pire ! Nous avons tentés d'utiliser la force pour les arrêter, mais la mort de mes autres hommes m'a arrêté dans cette entreprise.
— Eh bien, je crois que nous sommes arrivés à temps. Nous allons punir ces traîtres comme ils le méritent.
Un sourire carnassier était apparu sur le visage du roi, et Jaelith ne manqua pas de le remarquer. Un frisson parcourut son corps. Elle comprenait maintenant pour il était surnommé le roi loup. Freyki imposa une stratégie simple, mais efficace : ils allaient séparer les hommes en deux groupes et prendre la ville en tenaille.
— Capitaine Kervalen, vous assisterez le général Lutz.
Les deux hommes acquiescèrent silencieusement avant de partir avec leur groupe faire un large détour pour se placer derrière la ville.
— Jaelith, vous allez rester à mes côtés.
— Vous êtes sûr d'avoir besoin de moi ?
Le jeune homme tourna la tête vers elle.
— Même si je n'avais pas besoin de vous, je vous préférerais à mes côtés pendant la bataille.
Les joues de Jaelith rosirent. Son cœur s'était mis à battre à cent à l'heure et se demanda s'il ne se moquait pas d'elle. Elle ne se posa pas plus la question, car ils allaient entrer dans la ville, dont les flammes léchaient encore certaines maisons.
***
Freyki ordonna à ses hommes de se séparer en petits groupe et de quadriller Bergen. Lui-même resta aux côtés de Jaelith et de trois autres hommes. Ils parlaient peu entre eux, ne disant que le strict nécessaires. Le bruit des flammes crépitant était la seule chose que l'on pouvait entendre. Une horrible odeur de mort et de brûlé monta aux narines de la jeune femme qui observait les ruines que lui offrait ce qui avait été la ville de Bergen. Des corps carbonisés se trouvaient un peu partout, figées dans les positions de surprises qu'ils avaient avant que le souffle du dragon ne les entoure sans aucune chance de survie. Jaelith sentit sa respiration s'accélérer de plus en plus. Sa vue se bouillait, et des larmes de colère et de désespoir manquaient de couler le long de ses joues. Le dragon qui avait fait ce carnage n'avait fait que s'amuser. Il avait fait souffrir les habitants de la ville avant de les achever. Certains corps avaient été déchirés en deux avant d'être carbonisés. Ses mains se refermèrent sur la garde de son arme qu'elle serra si fort que l'on voyait ses os blanchis à travers sa peau pâle.
Son ouïe, plus développée que celle des humains, intercepta des bruits, comme si l'ont frottait des vêtements. Sans attendre les ordres, elle se précipita à l'intérieur d'une maison dont le toit avait brûlé. Elle ignora les cris que Freyki lui lança derrière elle.
— Jaelith ! Où est ce que vous allez ?
Non, elle n'entendait que ce bruit, ce frottement. Elle espérait au plus profond d'elle-même qu'il s'agisse d'un survivant. La demie elfe se glissa dans les décombres avec une facilité déconcertante, pour atterrir dans ce qui devait être une grande salle à manger. Sur le sol de la pièce se trouve plusieurs corps sans vie. Une famille dont les derniers instants avaient dû être douloureux. S'ils n'avaient pas de blessures dues au dragon, il y avait plusieurs entailles encore ouvertes dont coulait un sang épais et encore chaud. Les yeux azurs de la jeune femme étaient rivés sur les trois hommes qui fouillaient les cadavres, dans l'espoir de récupérer quelques maigres butins. Habillés de leurs armures bleues et blanches, c'étaient surement les déserteurs dont le général Lutz avait parlé. Ils ne l'avaient pas vu arriver.
Le sang de Jaelith n'avait fait qu'un tour. Elle fonça vers le premier homme qu'elle décapita sans sommation. Les deux autres avaient cessés leurs fouilles, surpris par la mort de leur camarade, puis avaient sorti leurs épées. Elle ne leur laissa pas le temps de réagir. Le second reçu son épée en pleine poitrine. Elle l'avait transpercé comme si ce n'était qu'un simple fétu de paille, et il tomba sur le sol, se vidant de son sang. D'un rapide coup d'épée, elle coupa net le bras du troisième qui tenait son arme. Ce dernier recula en hurlant.
— Jaelith !
Freyki venait d'entrer dans la salle. Il observa rapidement la scène qui se déroulait devant lui et arrêta de son épée celle de Jaelith qui allait décapiter le dernier déserteur.
— Ca suffit Jaelith ! Calmez-vous !
Elle semblait enfin reprendre ses esprits, mais la colère ne l'avait pas quitté. Elle hurla.
— Ils ont massacrés les survivants ! Ils ne méritent pas de vivre !
— Je sais...
Le visage du roi se tourna vers le troisième homme qui tenait son bras coupé en pleurant de douleur. Son regard croisa alors à nouveau celui de la jeune femme, toujours aussi furieux, mais avec, pourtant, un fond de désespoir.
— Ils les ont tués... Ils les ont tués...
Jaelith répétait ces paroles comme si ça pouvait lui permettre d'évacuer toute la rage qu'elle ressentait en cet instant. Freyki la prit par les épaules et tenta de la calmer.
— Jaelith... C'est trop tard pour eux.
— Mais si nous étions arrivés plus tôt, nous aurions pu les sauver !
— Ce n'est pas certain...
La jeune femme soupira. Il avait raison, parfaitement raison. Même si elle était intervenue plus tôt, rien ne lui disait que tout ce serait bien passé. Il y avait même des chances pour que ça ait été encore pire. Jaelith se laissa tomber à genoux, et frappa le sol de ses poings. Si seulement elle avait été plus forte...
Freyki fit signe aux trois chevaliers qui les accompagnaient de s'occuper du déserteur qui restait. Il pensa que ce dernier avait eu de la chance qu'il soit intervenu. La férocité dont la jeune femme avait fait preuve concernant les autres lui arracha un frisson. Jamais il n'aurait pensé voir ce genre de comportement de sa part. Le roi posa son regard sur la demie elfe qui était toujours en train de frapper la terre de ses poings. Il ne fit rien pour l'arrêter, car il savait que c'était le seul moyen pour elle d'évacuer la rage qu'elle portait en elle.
Le déserteur fut emmené hors de la salle. Ils n'étaient plus que deux.
— Vous n'avez jamais participé à aucune véritable bataille n'est-ce pas ?
Jaelith releva la tête vers son interlocuteur.
— Une véritable bataille ?
— C'est la première fois que vous tuez des humains ?
Elle acquiesça, tout en regardant ses mains tremblantes et couvertes de sang.
— Et vous, qu'est-ce que vous ressentez à chaque fois que vous tuez vos semblable, mon roi ?
Il semblait surprit qu'elle lui pose cette question.
— Ce que je ressens... De la colère, comme vous. De la colère contre ceux à qui j'ôte la vie, et de la colère contre moi-même de ne pas trouver d'autres solutions que celle-ci...
— Vous pensez que j'ai eu tort ?
— C'est à dire ?
— Tort d'avoir tué ces deux déserteurs.
Freyki se pencha vers la jeune fille et la regarda dans le blanc des yeux.
— Si j'avais été à votre place, j'aurais fait la même chose Jaelith. Il y a des personnes qui ne méritent pas de vivre sur cette terre. Ces monstres en faisaient partit.
La jeune femme ne savait pas s'il disait ça simplement pour lui remonter le moral ou s'il le pensait réellement. Le roi lui tendit la main pour l'aider à se relever et elle accepta bien volontiers.
— La guerre, commença-t-il, n'est pas quelque chose d'amusant, loin de là. Je serais un menteur si je disais que je n'aimais pas me battre. La guerre, c'est autre chose. Des milliers de vies sont gâchées à cause d'elle. Et j'ai bien peur qu'une guerre n'éclate très prochainement.
Tout en disant cela, il repensa au culte des ombres. Il ne savait pas combien de personnes ce groupe impliquait-il. Et si plusieurs de ces membres invoquaient des monstres, alors les pertes seraient innombrables, au vu du peu de personnes sachant contrôler la lumière.
Le son d'un cor se fit entendre au loin, à la grande surprise de Jaelith. Devant l'expression de son visage, Freyki la rassura.
— C'est le signal de rassemblement. Apparemment, il est temps de sortir de cet endroit et de retourner au camp.
Il l'attrapa par le bras et l'entraina vers la sortie de cet endroit.
Dehors, d'autres chevaliers prenaient le chemin du camp. Parmi eux il y avait beaucoup de déserteurs qui avaient été attrapés sans opposer résistance. Marchant toujours aux côtés de Freyki, Jaelith lui demanda :
— Qu'est-ce que vous allez faire des déserteurs ?
— Les cachots étaient vides, ils seront bien vite remplis. Je pourrais aussi les tuer, ce serait un bon exemple pour ceux qui auraient comme idée de déserter... Qu'en pensez-vous Jaelith ?
— Quel plaisir les humains prennent-ils à faire souffrir et à tuer leurs semblable ?
— Vous dire aucun serait un mensonge. Et vous, avez-vous pris plaisir à tuer ces deux hommes ?
— Je... Je ne sais pas.
Elle était honnête. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle avait ressenti sur le coup. Elle savait juste qu'elle regrettait amèrement à présent d'avoir réagi de la sorte et ôter la vie à ces hommes.
— Vous ne savez pas ? Les tuer ne vous a pas calmé ?
— Si, sur le coup. Mais après...
— Vous ne devriez pas être aussi sentimentale ma dame. Un jour, cet état d'esprit vous jouera des tours.
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