Chapitre 24 - Le dragon noir
Jaelith, proche du lieu de combat, s'était arrêté sur une colline surplombant la ville. Elle observait la bataille sanglante et dégaina son arme, cherchant son roi parmi la foule furieuse. C'est alors qu'elle l'aperçut, véritable furie tuant tout ce qui se présentait sur son passage. A le voir ainsi, elle sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Comment pouvait-il ôter si facilement la vie d'autres êtres humains ? Elle repensa à ceux qu'elle avait elle-même tué. Avaient-ils une famille ? Etaient-ils attendus dans leur foyer ? Avait-elle fait des orphelins ?
Elle secoua la tête. Ce n'était pas le moment de penser à ça. Il fallait qu'elle aille à ses côté pour se battre. Il fallait qu'elle le protège, non, qu'elle les protège tous si jamais l'une de ces créatures des ténèbres apparaissait.
Freyki combattait à nouveau deux adversaires à la fois. La jeune femme descendit de monture et fonça dans la foule, évitant habillement les coups portés de tous les côté pour se rendre auprès de son souverain. L'épée du roi traversa son premier ennemi et le second allait le toucher.
Dans un bruit métallique, l'épée de Jaelith cogna sur celle du membre du culte des ombres qui recula, surprit. Le roi loup fondit sur sa proie, ne lui laissant aucune chance de survie. La tête vola dans les airs avant de retomber lourdement sur le sol et de rouler, laissant derrière elle une trainée de sang.
Sans attendre un instant de plus, Freyki para les coups d'un autre adversaire, puis, tout en se battant, hurla à l'intention de Jaelith :
— Je croyais vous avoir dit de vous reposer !
— Et vous pensiez vraiment que je vous obéirais tout en sachant que vous affrontiez ces adorateurs de l'ombre ?
Elle para les coups de son ennemi avant de foncer sur son côté gauche et de le blesser. La jeune femme se releva rapidement, et voyant que son souverain en avait fini avec son ennemi, elle se plaça à ses côtés. Ils étaient à présent dos à dos, ce qui ne les empêchait pas de continuer à se battre. Au contraire, chacun savait que l'autre le protégeait, et même si il ne lui dirait pas, Freyki appréciait de la savoir à ses côtés en cet instant. Il demanda, haletant :
— Qui vous a dit où nous étions ?
— C'est mon capitaine. Il semblait affolé de savoir que vous étiez parti sans moi.
— Quel idiot ! Rappelez-moi que si nous nous en sortons vivant, il faudra que j'ai une discussion avec lui.
Une ombre immense passa au-dessus des combattants, et certains poussèrent des cris de surprise et de peur en levant la tête. Les derniers membres du culte tombèrent facilement, beaucoup profitant de la surprise générale pour éliminer définitivement leurs adversaires. Jaelith et Freyki levèrent la tête, une fois que leurs adversaires furent tombés.
Les yeux de la jeune femme s'agrandirent de frayeur en voyant la taille du dragon qui volait au-dessus d'eux. Un dragon noir, immense, imposant.Ce dernier s'arrêta en l'air, observant la zone de combat. Il prit alors une grande bouffée d'air. Jaelith hurla :
— Fuyez ! Fuyez tous !
Elle attrapa le bras du roi loup et ensemble, ils coururent se cacher derrière un pan de mur. Le souffle brûlant de la créature balaya tous ceux qui n'avaient pas eu le temps de se protéger. C'est-à-dire une bonne partie des personnes présentes. L'immense dragon noir se posa alors, observant les alentour. Il savait qu'il n'avait pas tué tout le monde et cherchait les survivants du regard. D'une voix profonde et rauque, il s'adressa à ces derniers en ces termes.
— Pas la peine de vous cacher. Je finirais bien par vous trouver...
Il avançait lentement dans les ruines, regardant partout. Un des soldats fut rapidement découvert, et sans attendre, il l'avait broyé entre ses dents avant de le laisser retomber lourdement sur le sol.Jaelith tremblait de peur. Instinctivement, elle se colla contre le roi loup. Ce dernier tentait de contenir sa rage.
— Maudit dragon ! C'est surement lui qui a détruit Bergen.
Il allait sortir de leur cachette, mais Jaelith le retint.
— Non ! N'y allez pas !
— De toute façon, il finira par nous trouver. Alors autant sortir maintenant.
— Non, non et non ! C'est le meilleur moyen de vous faire tuer !
— Et alors, qu'est-ce que ça changera ?
Les yeux de la jeune femme se fondirent dans les siens, et elle put voir à cet instant une immense tristesse. Elle secoua la tête.
— Pourquoi est-ce que vous vous souciez aussi peu de votre propre vie majesté ?
Freyki n'avait pas répondu et avait détourné son regard du sien. Dehors, le dragon noir s'approchait de plus en plus. A chacun de ses pas, le sol tremblait. Et les tremblements se faisaient de plus en plus forts. Jaelith se leva.
— Puisque vous ne voulez pas me répondre...
Elle sortit alors de sa cachette sous le regard médusé de son souverain, et, agrippant fermement son épée, elle se plaça face au dragon noir. La jeune femme tremblait de tous ses membres face à l'immense créature. Cette dernière l'observa quelques instants avant d'émettre un son qui ressemblait à un rire.
— Pauvre petite créature. Les humains sont tellement peu sûrs de leur force qu'ils envoient même leurs femelles pour se battre !
Jaelith déglutit. Elle tremblait tellement qu'elle ne savait même pas si elle réussirait à tenir son épée jusqu'au bout. Rassemblant son courage, et voyant que le dragon n'attaquait pas, elle demanda.
— Pourquoi est-ce que tu as fait ce carnage à Bergen ? Pourquoi avoir tué des innocents ?
Le dragon noir avança, elle recula de quelques pas.
— Tu n'as pas envie de prendre la fuite ? Tu préfères me poser des questions inutiles, humaine ? Je pourrais te broyer comme je l'ai fait avec d'autres.
Freyki arriva à cet instant et se plaça devant Jaelith, arme à la main. Il hurla à cette dernière.
— Vous êtes complètement folle ma parole ! Et maintenant, vous avez une idée ?
Le dragon noir parut vexé d'avoir été interrompu et balaya le roi loup d'un revers de patte. Ce dernier retomba lourdement sur le sol quelques mètres plus loin, et la jeune femme poussa un cri de terreur. Elle tenta de la rejoindre, mais le dragon l'en empêcha.
— Pas si vite petite humaine. Tu veux savoir alors ? Savoir pourquoi je tue les humains et pourquoi j'y prends autant de plaisir ?
Tremblante, elle acquiesça. L'immense créature se pencha vers elle et murmura doucement.
— Je les tue parce qu'ils m'ont privé de beaucoup de choses... Une vengeance personnelle si tu préfères...
Le roi loup se releva, légèrement sonné. Lorsqu'il vit la gueule du dragon noir à seulement quelques mètres de Jaelith, son sang ne fit qu'un tour. Courant droit sur la créature, Il fut à nouveau envoyer à terre, par un coup de queue cette fois-ci. L'imposant reptile gloussa.
— On m'avait dit que tu viendrais, Roi Loup. Mais je ne me doutais pas que tu étais si prévisible et si... Faible.
Il avait insisté sur le dernier mot en prenant un air dégouté.
Elle regarda le corps étendu de son souverain qui luttait pour se relever. Elle sentit alors son cœur bondir dans sa poitrine. Elle leva son épée et lança un regard plein de haine vers l'immense créature qui secoua la tête.
— Tu ne veux pas te laisser tuer sans résistance petite humaine ?
— Jamais. Je préfère me battre et tenter de t'arrêter plutôt que de me laisser mourir lâchement !
Les coups d'épées qu'elle donnait ne servaient à rien, et elle le savait pertinemment. Ils éraflèrent à peine les écailles couleur ébène, et il ne fallut qu'un coup de patte pour l'envoyer rouler sur le sol.
Jaelith sentit alors ses forces l'abandonner. Elle avait envie de fermer les yeux, de se laisser aller là. Peut-être que la mort n'était pas si difficile à accepter après tout ? Partir aussi était une solution de facilité, l'abandon était tellement plus simple que la lutte. Elle pouvait se laisser aller, tout simplement, disparaitre.
— Debout !
Une petite voix l'appelait.
— Debout !
Quelqu'un l'appelait. Quelqu'un qui ne voulait pas la laisse mourir là. Elle l'entendait brièvement mais n'en n'avait cure. Elle allait se laisser mourir là.
— Non ! Je ne veux pas ! Debout !
Elle sentit alors qu'on tirait sur son bras droit. Quelqu'un essayait de la relever.
— Debout !
Jaelith ouvrit les yeux et se trouva face à un petit dragonnet aux écailles couleur azur. Elle leva doucement la tête vers la petite créature.
— Feiyl, comment...
L'immense dragon noir se mit à rugir de rage.
— Fiche le camp d'ici dragonnet ! Laisse-moi tuer ces humains !
Feiyl faisait face à son congénère, et de sa petite voix, hurla.
— Non ! Je ne partirais pas ! Si je suis là, c'est pour protéger Jaelith ! Et si Jaelith protège les humains, alors je les protégerais aussi !
L'immense créature gloussa à nouveau.
— Protéger les humains ? Tu veux rire ? Ils tuent les dragons pour n'importe quel motif ! Mon clan à quasiment disparu du pays à cause d'eux !
— Je me fiche bien de ce que tu peux raconter. Moi je suis Jaelith, c'est tout.
— Si elle te demande de tuer des dragons, tu le feras ?
— Si ce sont des dragons comme toi, alors oui !
Feiyl poussa un petit rugissement vers le dragon noir. Ce dernier secoua la tête.
— Tu veux te battre contre moi, dragonnet ?
— Si ça peut la sauver, alors je n'hésiterais pas !
Jaelith se releva doucement, encore sous le choc. Elle posa sa main sur le dos de son petit compagnon.
— Feiyl, il est trop fort pour toi. Il est trop fort pour nous tous !
— Mais je veux t'aider !
La jeune femme posa son regard sur Freyki. Elrynd se trouvait aux côtés de ce dernier et l'aidait à se relever.
Le combat s'engagea instantanément.
Le dragon noir fonça sur les deux hommes, ignorant délibérément la jeune femme et le dragonnet. Ce dernier vola rapidement auprès de ces deux compagnons pour faire face et cracha une gerbe de flamme à la gueule de son adversaire qui hurla de rage. Ce dernier balaya ceux qui se trouvaient au sol d'un coup de patte, puis s'attaqua à la petite créature volante en tentant de l'attraper entre ses mâchoires. Heureusement pour lui, Feiyl était rapide. Il fatigua son ennemi ainsi pendant quelques minutes, puis se dernier fonça droit sur Jaelith et sans que cette dernière ne puisse faire quoi que ce soit, la plaqua au sol, l'écrasant lentement sous son énorme patte. Le sang de ses plaies ouvertes chatouillait les narines du roi loup. Il hurla, épée en main, tout en fonçant sur l'immense dragon noir.
— Viens ici ! Viens te battre contre moi si tu l'ose !
Dans un cri de colère, le dragon se retourna vers Freyki, oubliant un instant la jeune femme à terre. Le roi se tourna rapidement vers le capitaine qui se trouvait à ses côtés.
— Occupez-vous de la soigner.
— Mais j'en suis incapable !
— Vous êtes paladin non ?
— Oui, mais...
Le dragon noir préféra prendre son souffle plutôt que d'abandonner sa victime. Un souffle de flamme balaya l'endroit où se trouvaient les deux hommes, manquant de les carboniser de peu. Feiyl voletait au-dessus de la créature aussi noire que les ténèbres. Cette dernière faisait lentement souffrir sa victime, et Jaelith hurla lorsqu'elle sentit la patte du dragon noir sur elle. Elrynd maudissait la lumière à cet instant. Si seulement elle était encore en lui, il pourrait faire quelque chose. Si seulement... Feiyl voletait devant le dragon noir, lançant des gerbes de flammes sur son visage, le forçant à laisser la jeune femme qui se tordait de douleur sur le sol. Freyki secoua violement le capitaine.
— Vous êtes paladin à ce que je sache ! Pourquoi est-ce que vous êtes incapable de la soigner ?
— La lumière... M'a abandonné.
Le roi loup relâcha Elrynd et partit rejoindre la jeune femme souffrante. Il s'agenouilla prêt d'elle et demanda.
— Où est ce que...
— Je ne sens plus mes jambes.
— Ce monstre a dû vous les briser.
Le roi leva la tête vers le dragon qui échappait aux assauts de Feiyl. Ce dernier avait fini par se prendre un coup et tomba au sol, non loin de Jaelith et de son roi. La jeune femme tenta de ramper vers la petite créature en sanglotant.
— Feiyl !
De son côté, Elrynd observait la scène tout en se maudissant intérieurement. Cela faisait plusieurs minutes qu'il appelait la lumière, mais cette dernière ne lui répondait pas. Pas un signe, rien. Juste un vide immense.
— Pitié...
Il murmura ce mot comme une incantation. Le dragon se trouvait au-dessus des autres, il allait souffler et les brûlé vifs si le capitaine ne faisait rien.
— Pitié...
Jaelith avait rejoint Feiyl qu'elle avait pris dans ses bras en pleurant. Freyki s'était levé et s'était positionné face au dragon. Il tenait son épée en tremblant. L'homme à la cicatrice savait que c'était la fin pour eux. Mais il ne laisserait pas la mort les emporter aussi facilement. Il ferait barrage de son corps et ferait en sorte de gagner un sursis pour la jeune femme qui se trouvait derrière lui et son petit compagnon.
— Pitié...
Elrynd sentit alors une douce chaleur l'envahir. La lumière lui répondait enfin. Il se tourna vers ses compagnons et tendit ses mains vers eux. Il fallait qu'il fasse vite, car le souffle de feu allait sortir d'un moment à l'autre. Le capitaine murmura.
— Lumière, donne-moi ta force.
Un dôme protecteur lumineux se dressa autour des personnes présentes, et les flammes brûlantes ne purent les traverser. Le dragon noir hurla de rage et voyant qu'il n'arriverait à rien, prit son envol. Il regarda une dernière fois les humains qui se trouvaient là et fit entendre sa puissante voix :
— Varen Draze était seul aujourd'hui, mais la prochaine fois, je ne serais pas aussi indulgent envers vous !
L'immense dragon noir prit son envol et sa masse s'éloigna à l'horizon. C'est seulement à cet instant qu'Elrynd leva le sortilège qui les protégeait et se laissa tomber à genoux au sol. Haletant, il lança un regard vers ses compagnons. Freyki était à nouveau pencher sur la jeune fille qui pleurait toutes les larmes de son corps. Le roi tentait de la rassurer :
— Feiyl va bien, il est juste un peu sonné. C'est pour vous que je m'inquiète un peu plus.
— Je vais bien, mais...
— Vous n'allez pas bien. Vos jambes sont dans un état lamentable et nous n'avons pas de prêtre pour vous soigner. Il va falloir que vous supportiez la douleur jusqu'à ce que nous arrivions à la capitale, ma dame.
Le capitaine se releva doucement et s'approcha d'eux avant de s'effondrer, haletant.
— Capitaine, vous avez trop forcé sur l'utilisation de la lumière..."
Elle semblait inquiète, ce qui fit sourire Elrynd.
— Je croyais que tu ne voulais plus m'adresser la parole Jae' ?
— Si je pouvais me relever, je vous donnerai une bonne gifle !
Elrynd tenta de contrôler son rire, en vain. Le souverain se releva et s'adressa à ses compagnons.
— Je vais chercher des survivants aux alentours. Ce maudit dragon n'a pas pu tuer tout le monde. Je suppose que vous dire de ne pas bouger d'ici serait amusant, vous l'état dans lequel vous êtes tous.
Un léger sourire illumina le visage de l'homme à la cicatrice qui s'éloigna afin de trouver ceux qu'il cherchait.
***
Le retour à la capitale fut laborieux. De tous ceux qu'il avait retrouvés, le roi constata que la plupart des survivants étaient blessés. A peine arrivé à Goldrynn, tous furent prit en main par les prêtres et la chapelle de lumière fut reconvertie en une grande infirmerie. Des murs de draps accrochés à la va vite séparaient les blessés.
Les blessures du roi, du capitaine et du dragonnet n'étaient pas très grave contrairement à celles de la demie elfe. Cette dernière, à peine installée dans un lit de fortune, s'était endormie, épuisée.
Si le père Nilsas n'avait eu aucun mal à soigner les jambes de Jaelith, ce n'était pas la même chose concernant les plaies encore sanglantes qui la faisait souffrir.
— Il aurait fallu me l'amener plus tôt pour ces blessures ouvertes. Quelle idée de partir vous battre sans prêtres à vos côtés majesté !
— C'était une erreur, effectivement. Mais ça n'arrivera plus mon père.
— J'espère bien. Encore une chance que vous lui ayez bandé ses blessures.
— Elle s'en sortira ?
— Oui, sans aucune séquelle si elle reste tranquille et se repose convenablement.
— Je doute fort qu'elle reste au fond de son lit sans rien faire.
— J'en doute aussi mon roi.
L'homme à la cicatrice posa tendrement sa main sur le visage de la jeune endormie, lui caressant doucement la joue. Il repensa à cet instant où elle faisait face, seule, à ce dragon noir. Il l'avait trouvé magnifique et lui avait rappelé un lointain souvenir. Le père Nilsas se rendit auprès d'un autre blessé, laissant seul dans ce qui leur servait de pièce, le roi et la femme paladin. Le roi loup se pencha sur la blessée et ses doigts glissèrent dans les longs cheveux dorés qu'il ne se lassait jamais de toucher.
— Jaelith...
Il aimait prononcer son nom. Il aimait l'entendre. A chaque fois qu'il l'entendait, il sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine, il avait l'impression de se sentir vivre à nouveau. Freyki se doutait bien que les sentiments qu'il portait à la jeune femme était bien plus qu'une profonde amitié. Beaucoup plus.
— Jaelith...
Il approcha son visage du sien et l'observait. Elle était encore plus pâle que d'habitude. Les doigts de Freyki quittèrent les cheveux soyeux de l'endormie pour se poser à nouveau sur sa joue. Jaelith remua légèrement, mais ne se réveilla pas. Doucement, il posa tendrement ses lèvres sur les sienne pendant quelques minutes qui lui parurent bien courtes. Elle n'avait pas bougé. Elle ne s'était pas réveillée. Freyki se releva à contre cœur, abandonnant les douces lèvres de celle qu'il aimait.
Le roi loup en était sûr et certain, il la voulait.
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