Chapitre 34 - Séparation
Jaelith ouvrit lentement les yeux. Sa tête lui tournait encore. Elle fut soulagée de voir que son corps bougeait selon sa volonté et se releva.
— Tu te sens mieux ?
Elle reconnut immédiatement la voix de Freyki. Ce dernier était assis près d'elle, sur une des chaises qu'il avait posées près du lit. De la fenêtre, la jeune femme pu voir que le soleil était bien haut dans le ciel. Cela devait faire quelques heures qu'elle dormait.
— Oui... C'était horrible.
Elle repensa à ce qui s'était passé. Elle ne comprenait toujours pas comment on avait pu prendre possession de son corps sans qu'elle ne le sache. Son regard se posa sur celui du roi loup. Le visage de ce dernier semblait décomposé et il détourna presqu'immédiatement ses yeux de ceux de la jeune femme. Elle demanda d'une voix tremblante :
— Quelque chose ne va pas ?
Il secoua la tête et soupira.
— Jaelith, je crois... Je crois que nous devons prendre nos distances tous les deux.
Les paroles du général Drake résonnaient encore dans sa tête. S'il ne le faisait pas maintenant, elle serait en danger. Il fallait au moins qu'il s'éloigne d'elle jusqu'à ce que Varen Draze tombe. Elle écarquilla les yeux.
— Prendre nos distances ? Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi...
Il ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase.
— Pour ta sécurité. Pour te protéger.
Jaelith sentit monter en elle la colère et le désespoir. La colère, parce que jusque-là, elle avait tout fait pour ne pas se faire aimer de cet homme, alors qu'elle l'adorait. C'est lui qui avait fait le premier pas, qui l'avait poussée jusque dans ses derniers retranchements. Elle était tombée dans ses bras parce qu'il l'y avait poussé. Le désespoir, parce qu'elle l'aimait à en mourir. Elle baissa la tête.
— C'est trop facile...
Les yeux remplis de larmes, elle se leva du lit et se planta devant son souverain.
— C'est trop facile de me demander de m'éloigner de toi.
— Tu crois sans doute que ça m'amuse de te voir loin de moi ?
Elle secoua la tête et sentit que les larmes commençaient à couler le long de ses joues.
— Il faut croire que oui... J'ai tout fait pour ne pas tomber amoureuse... Parce que je me doutais bien que ça se passerait ainsi.
— Jaelith...
Elle lui semblait si vulnérable. Pourtant, il l'avait plusieurs fois vu se battre. Il savait qu'elle était bien plus forte que la plupart des personnes de cette cité. Mais il ne voulait pas la perdre. Il ne voulait pas qu'elle risque sa vie pour lui. Et s'il lui arriverait quelque chose par sa faute alors il ne s'en remettrait jamais. La jeune femme était véritablement en colère.
— Pourquoi avoir joué ainsi avec mes sentiments ?
Il la regardait tristement. Pourquoi ne comprenait-elle pas ? Comment fallait-il lui dire pour qu'elle comprenne ?
— Est-ce que je n'étais qu'un jouet pour passer le temps ? Est-ce que tout ce que tu m'as dit n'était que des mensonges ? Est-ce que tu m'as au moins aimée ?
Freyki s'énerva. Comment pouvait-elle douter un seul instant de son amour ? Après tout ce qu'ils avaient vécu ensemble, comment pouvait-elle douter de lui ? Le regard du roi loup s'était durcit lorsqu'il plongea dans celui de la jeune femme en larmes. Et lorsqu'il commença à prononcer ces paroles, il les regretta immédiatement.
— Oui, tu as raison Jaelith. Tu n'étais qu'un passe-temps ! Maintenant fiche le camp et ne reviens pas !
Jaelith, les yeux grands ouverts, déformés par la tristesse, se posèrent une fois de plus sur le visage de Freyki, que la colère avait déformé. Elle se retourna sans lui adresser la parole et sortit de la salle où ils se trouvaient, pleurant toute les larmes de son corps.
Freyki frappa le mur de ses poings nus en hurlant de rage. Comment avait-il pu être aussi idiot ? Comment avait-il pu lui dire ces mots blessant ? Se retournant, il prit la chaise et la fracassa contre le mur. Il fit de même avec tout ce qui se trouvait dans sa chambre et rapidement, ce fut le chaos. Lorsqu'il se calma enfin, le souffle court, il ne murmurait qu'une seule chose. Le nom de cette fille aux cheveux dorés qu'il aimait de tout son cœur et qu'il avait blessé.
***
— C'est injuste. C'est injuste.
Elle pleurait. Comment avait-elle pu être assez idiote pour lui offrir son cœur. C'était un roi, et elle... Elle n'était rien du tout. Juste une idiote qui avait cru qu'elle pouvait l'aimer. Ses pas l'amenèrent rapidement au cimetière, le seul endroit où elle serait tranquille pour pleurer toutes les larmes de son corps. Elle s'agenouilla près de la tombe de sa mère et pleura. Jaelith se demandait souvent ce que cette dernière aurait pu penser de cette relation. L'aurait-elle encouragée ? Ou au contraire, l'aurait-elle fait redescendre sur terre en lui rappelant sa condition de femme guerrière ? Elle ne savait pas et ne le saurait jamais.
La prédiction qu'on lui avait faite parlait d'un cœur brisé. Peut-être était-ce le sien, tout simplement... La jeune femme laissait libre court à sa peine lorsqu'elle entendit des bruits de pas derrière elle. Si c'était Freyki qui revenait pour s'excuser, il passerait un mauvais quart d'heure. Mais ce n'était pas lui.
— Ça n'a pas l'air d'aller dame Paladin.
C'était le général Drake. Elle essuya rapidement les larmes qui coulaient le long de ses joues et fit mine de sourire.
— Ce n'est rien d'important.
— Vous en êtes sûre ? On dirait que quelqu'un vous a brisé le cœur.
Jaelith soupira. Il avait raison. Arhan s'approcha d'elle et elle le regarda droit dans les yeux. Sur le coup, rien ne se produisit. Puis lentement, une douleur s'intensifia dans la tête de Jaelith.
Son corps fut pris de convulsions. Le général la regardait sans bouger, et elle ne comprenait pas pourquoi il ne lui venait pas en aide. La demie elfe se recroquevilla sur elle-même pour tenter d'arrêter les spasmes, mais n'y parvint pas. Son corps tremblait de plus en plus rapidement. Face à elle, le dragon la regardait se tortiller au sol, un large sourire aux lèvres. La douleur dans la tête de Jaelith était insoutenable. Elle n'en pouvait plus. C'était horrible. Puis soudain, plus rien, le noir total... Arhan Drake observa quelques instants le corps inconscient de la jeune femme puis siffla. Plusieurs personnes encapuchonnées arrivèrent près de lui, attendant les ordres. Très rapidement, il leurs dit :
— Amenez là à mon frère. En toute discrétion. Elle dormira pendant trois jours, pas plus. Dépêchez-vous.
Jaelith fut emportée sous les yeux du dragon qui jubilait : son plan s'était déroulé à merveille du début à la fin. Varen serait content du cadeau qu'il allait lui rapporter.
***
Le roi loup regarda les reflets que projetait le miroir brisé. Il se trouva lamentable à cet instant. Il aurait dû l'appeler, la retenir et s'excuser de toutes les horreurs qu'il avait dit. Mais c'était trop tard à présent, le mal était fait. Il se sentait minable d'avoir été aussi odieux avec elle. Il l'avait regardé partir, alors qu'au fond de lui, une voix lui criait de la retenir, de la rattraper, de lui expliquer qu'il leurs faudrait du temps pour accepter cette idée d'être séparés, du temps pour s'y faire, tout simplement, et s'excuser. Freyki avait mal au cœur. Il se dégoutait lui-même et ressentait un immense vide à cet instant. Il hurla.
— Jaelith !
Ce cri de désespoir avait jaillit du plus profond de son être. Il se laissa tomber à genoux sur le sol glacé et continua de murmurer son nom du bout des lèvres.
— Jaelith...
Il resta là, la tête dans les mains, incapable de bouger, ayant sans cesse dans sa tête son nom qui résonnait. Il l'avait perdue.
La porte de la chambre s'ouvrit lentement.
— Je suis venu voir comment allait la dame paladin, mais il me semble qu'il s'est passé beaucoup de choses pendant mon absence.
C'était le père Nilsas. Son souverain se releva, et le prêtre eut du mal à se frayer un chemin parmi les meubles brisés pour le rejoindre.
— Que s'est-il passé mon roi ?
Qu'est-ce que Freyki allait pouvoir lui répondre ? Qu'il avait eu un comportement ignoble avec la jeune femme ? Qu'elle était partie et qu'il ne savait pas si elle reviendrait ?
— Mon père... Je crois que je viens de faire la pire erreur de ma vie...
Rapidement, et devant la détresse de son roi, le père Nilsas avait pris les devants et demanda à tous ceux qui connaissaient de près ou de loin la jeune femme aux cheveux d'or de la rechercher à travers la cité.
Feiyl s'inquiétait doublement. D'une part, il ne savait pas du tout où avait bien pu passer Jaelith. D'autre part, le moral de Freyki était catastrophique. Se sentant inutile à la participation aux recherches, il décida de rester auprès du souverain dont la tristesse était de plus en plus apparente au fur et à mesure que les heures passaient.
Pendant trois jours complets, des dizaines de personnes sillonnaient la cité dans l'espoir de retrouver la dame Paladin. En vain.
***
Jaelith ouvrit doucement les yeux. Une chaleur étouffante la prit à la gorge. Elle se souvenait vaguement de certaines choses. Après sa dispute, elle s'était rendue au cimetière et... Plus rien. Le trou noir.
La jeune femme se trouvait dans une grande salle, dont les murs de pierres dégageaient une forte chaleur. Elle releva la tête et regarda devant elle. Il y avait quelques tabourets et chaises en pierre, de petites tailles. Elle ne savait pas où elle était, et la seule chose dont elle était sûre et certaine, c'est qu'elle avait les poings solidement liés dans son dos.
— Que vais-je bien pouvoir faire de toi...
La jeune femme se retourna pour savoir d'où provenait cette voix rauque qui lui semblait étrangement familière, pour découvrir un homme à la longue chevelure noire, aux yeux dorés. Il était grand, plus que Freyki. Jaelith continuait de le dévisager sans dire quoi que ce soit, muette de terreur. Car la puissance de cet homme, elle pouvait la ressentir au plus profond d'elle-même. Il s'agenouilla pour la regarder de plus près, et murmura :
— J'ai cru comprendre que tu avais volé le cœur du roi loup, rien que ça...
— Je n'ai rien volé du tout. Il...
Elle prit son souffle. Il ne fallait pas qu'elle pleure en repensant à lui. Pas maintenant.
— ... Il me déteste.
— Mon frère se serait donc trompé. Je n'ai donc aucune raison de te garder en vie.
Jaelith sentait que sa fin était proche. Elle allait mourir. Elle allait quitter le monde des vivants sans avoir pu dire à Freyki à quel point elle l'adorait. A quel point elle l'aimait. L'homme s'approcha d'elle, doucement. Il approcha son visage du sien, leurs nez se touchaient presque.
— A moins que ce ne soit qu'une pitoyable excuse pour le protéger.
Elle allait répondre, mais il lui coupa la parole.
— Sais-tu qui je suis ?
La jeune femme secoua la tête.
— Le nom de Varen Draze ne te dit rien ?
Elle recula autant qu'elle put malgré le mur brûlant derrière elle. Comment n'avait-elle pas fait le rapprochement plus tôt ? C'était le terrible dragon noir qui avait détruit Bergen et qui les avaient attaqués dans les ruines de Kergrov ! Et il se trouvait face à elle, sous une forme humaine. Jaelith avait déjà vu cela par le passé. Elle savait que les dragons pouvaient se fondre parmi les humains de cette manière afin de ne pas attirer leur attention. Varen attrapa les poignets de la jeune femme et lui retira les liens. Dans un autre contexte, elle l'aurait sûrement remercié, mais là... D'une voix tremblante, elle demanda :
— Qu'est-ce que vous lui voulez, au roi loup ?
Un sourire carnassier sur le visage, le dragon noir répondit :
— Ce que je lui veux ? Je veux qu'il souffre comme j'ai souffert par le passé à cause de ces misérables humains !
Le regard doré était remplit de haine. Jaelith déglutit. Il était effrayant. Si elle le pouvait, elle hurlerait de terreur à cet instant. Mais la terreur qu'elle ressentait face à lui était telle qu'elle ne bougea pas d'un pouce. Il continua :
— Je pourrais te tuer et lui rendre ton cadavre... Qu'est-ce que tu en penses petite humaine ?
— Humaine ? Vous êtes bien aveugle.
Elle lui avait jeté les mots au visage. La terreur avait rapidement laissé place à la colère dans le cœur du paladin. Varen parut surpris dans un premier temps puis la dévisagea à nouveau.
— Une elfe... Intéressant. Vraiment intéressant...
Jaelith lui lança un regard noir qui ne l'impressionna pas plus que ça. Retrouvant son courage, elle osa lever la main sur cet ignoble individu. Sans aucun problème, il l'arrêta et la regarda droit dans les yeux.
— Certains appelleraient ça du courage, moi j'appelle ça de la folie. Tu as si peu de considération pour ta propre vie ?
Il lui maintenait le poignet avec une force qu'elle ne connaissait pas. Jaelith ne lui répondit même pas. Ils restèrent dans cette position quelques instants, puis contre toute attente, il la relâcha.
— Tu es libre de te promener où bon te semble. Mais ne pense pas un seul instant à t'enfuir petite humaine.
— Je ne suis pas une humaine. Je suis Jaelith.
Il la regarda quelques instants avant de quitter la salle où elle se trouvait. Varen Draze aurait bien des projets pour la jeune femme.
***
Elrynd Kervalen, capitaine des paladins de Silverlake, revenait enfin à Goldrynn après une absence de quelques jours. Ils avaient de bonnes nouvelles avec lui : les attaques de dragons dans le nord du pays s'étaient relativement calmées. Les hommes du roi seraient de retour dans quelques jours, accompagnés de bon nombre de paladins et de prêtres. Ensembles, ils n'auraient aucun mal à faire face au terrifiant dragon noir qu'il avait vu à Kergrov.
Du haut de sa monture, le jeune homme saluait les soldats en patrouille qu'il avait eu l'occasion, pour certains, de voir à l'œuvre sur un champ de bataille. Rien ne semblait avoir changé depuis son départ, et c'est là qu'il se trompait lourdement. Lorsqu'il arriva au donjon, il fut surpris de voir que personne ne s'y trouvait. Rapidement, il interrogea les quelques soldats qui se trouvaient là.
— Il s'est passé quelque chose de grave ces derniers jours ?
— Et bien, pour tout vous dire, la dame paladin a disparu, et les recherches dans la cité n'ont rien donnés. Il y a des rumeurs qui disent que le roi serait indisposé depuis. On ne l'a pas encore revu. Le général Drake nous a dit de ne pas nous inquiéter, que ça ne serait que passager, mais... Personnellement, je trouve tout cela bien étrange...
Jaelith avait disparu. La colère monta rapidement à l'intérieur du paladin. Il se doutait qu'elle nourrissait des sentiments à l'égard du souverain. Il avait même menacé ce dernier de mort si jamais il lui arriverait quoi que ce soit. Sans attendre un instant de plus, il décida d'aller voir le roi loup. Elrynd serra contre lui son épée. Il n'hésiterait pas à s'en servir.
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