Il est où le bonheur ?

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J'ai toujours songé que demain serait mieux qu'aujourd'hui. Mais la vérité est que jamais il n'y a eu de mieux. Je souriais, rassurais mon entourage. Faisais mon bon travail de maman et d'épouse, de maîtresse, de citoyenne. Mais la vérité était là et dure à entendre. Le bonheur stagnait mais jamais il n'y en avait plus que la veille. La vie est un cycle qui se répète indéfiniment. Et je venais à me dire que la vie n'avait pas de sens, qu'elle ne valait pas forcément le coup d'être vécue pour la simple et bonne raison que le bonheur n'existait pas vraiment.

Comment, âgée d'à peine trente ans, un mari et deux enfants, un métier de passion, pouvions-nous nous retrouver ainsi? Aussi blasée de la vie ?

Me regardant à travers le miroir, je crois encore entrapercevoir la jeune fille pleine d'ambition qui pouvait soulever des montagnes au nom de la liberté, au nom de l'égalité. Des petites rides venaient déjà les enterrer à tout jamais. Des cheveux grisaillants ternissaient une beauté déjà trop aléatoire, presque transparente, presque illusoire.

Je ne m'étais jamais trouvée jolie. Pourtant Dieu sait combien j'aimais admirer mes propres portraits. Je n'étais pas belle à l'instant T mais je l'étais hier, sans m'en rendre compte. De gros cernes venaient assombrir mon regard. Il n'était plus question de les cacher. J'étais épuisée par des nuits raccourcis, par les besoins d'autruis, par le bruit des voisins et les ronflements de mon mari.

Je poussais un long soupir plein d'ennui. Mon visage était comme tout : banale et ennuyeux. Je ne savais même plus me vêtir avec originalité. C'était tous les jours les mêmes tuniques pour ne pas paraître trop dévergondée, ou trop alléchantes pour les personnes de mauvais goût.

J'entendais le père de mes enfants les gronder d'avoir jeter la pâte à modeler sur le sol, et leurs pleurs lui répondant.

-J'arrive ! lançai-je agacée d'être interrompue

Mais pour faire quoi ? Donner le sein au petit dernier ? Attendre que le temps passait encore une fois ? Assise en tailleur sur le canapé, faisant la madonne distributrice de bisous ? Patientant que leur père soit parti travailler et attendre qu'il rentre, épuisée et ne m'adressant qu'un vague baiser sur mes lèvres sèches et crispées?

Enceinte, j'imaginais de grandes choses pour mes enfants. Qu'ils fassent de grandes découvertes qui changeraient le monde, qu'ils écriraient des romans et se battraient contre des inégalités. Qu'ils soient médecins, architectes, avocats, profs, ou même présidents de la République. Qu'ils soient heureux.

Je leur avais donné la vie pour qu'ils soient heureux.

Ma mère m'avait porté neuf longs mois et je me consolais en me disant qu'elle aussi devait avoir eu des desseins identiques à mon égard.

Ainsi donc, je serai celle que ma mère avait fantasmé. Il ne me restait plus qu'à trouver le bonheur. Mais où? Comment pouvait-on croire qu'une mère de famille passait son temps à s'ennuyer de tout ce qu'elle faisait ?

Ce mot s'appelle la routine. Ca s'installe sans prendre garde. C'est mâlin et malicieux, ça fait des ravages. C'est aussi mortel qu'un cancer et on ne sait pas si on sait en sortir indemne.

-MAMAAAAAAAN, pleura ma fille en entrant dans la salle de bain. Papa il est méchant avec moi ! Il veut pas que je joue à la modelée avec lui !

Plongée dans mes pensées, je ne l'entendais qu'à peine. J'installais mon poncho correctement et pris la porte :

-Ecoute chéri, je m'en vais. Je reviens ce soir, tant pis pour ton travail. Dis leur que tu es malade ou une histoire comme ça. J'en ai vraiment besoin.

Les yeux de mon mari devinrent globuleux :

-Tu plaisantes ?

-Absolument pas.

Avant de changer d'avis, je claquais la porte derrière moi. Tant pis si je n'avais pas son accord, il en allait de ma survie.

Je pris la voiture et conduisit droit devant moi. Je n'avais pas d'endroit où aller. Juste un besoin de prendre l'air, d'arrêter le temps, de prendre le temps de penser, d'être là pour moi-même.

Sans grande surprise, je me rendis au pied du terril, où il y avait la plage artificielle de Rieulay. C'était un endroit que j'appréciais grandement. Il me rappelait mes premières fois avec mon mari. C'était là que j'avais découvert son corps dans une étreinte qui n'avait jamais cessé, là où j'étais tombée amoureuse de nouveau, là où j'avais aimé voir le papa qu'il était. Là où je pouvais laisser ma fille transvaser dans son seau et prendre le temps de lire mon livre et sortir de l'ordinaire pour vivre l'extraordinaire.

Cet endroit était d'une beauté infini. Le lac s'étendait à perte de vue, l'eau était d'un bleu foncé magnifique qui n'avait rien à envier au noir gadoueux qui se formait lorsqu'on se risquait à se baigner. Des cygnes nageaient sur la petite île, les feuilles chantaient au gré du vent. C'était un jardin parmi tant d'autres mais c'était le mien.

Toute ma vie, j'avais fait ce qu'il fallait faire. J'avais toujours obéi à la maîtresse sans surpasser quiconque. Je ne m'étais jamais battue avec quiconque. J'avais toujours obéi à mes parents, baissant la tête sans me plaindre. Je m'étais mariée comme on l'attendait de moi puis j'avais porté des enfants. J'étais devenue professeure et j'aidais les plus jeunes pour leur vie future.

J'avais toujours fait ce qu'il fallait faire. Mais j'en avais marre. Marre car ce n'était pas là que je trouvais mon bonheur. Je me fânais telle la belle fleur que j'étais. Mais je ne voulais plus être une fleur. Je ne voulais ni être le beau lys, ni la belle petite violette. Il était fini ce temps-là.

Je ne voulais pas me laisser faner et remplacer sans rien dire. Alors maintenant que j'avais passé mon temps à être sage et comme il le fallait sans y trouver le bonheur, je ferai le contraire.

J'aimerais le mal qui m'habite. Et je le ferai vivre.

Je serai le mal.

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