2.1
Agathe Zeublouze, la bien-nommée. La Fée Marjolaine d'un soir, la walkyrie d'une chevauchée épique, commencée au chalumeau et terminée dans le stupre et la luxure, ici même, à sa porte !
- Tiens... la morue, commence Raymond d'un ton plein de mauvaises promesses. Qu'est-ce tu viens rouler tes abattis dans le coin ? Tu sais que tu risques la big pénalité dans le prose pour oser te présenter ici sans être invitée ?
- Bonsoir, Ray-Ray. Merci, moi aussi, ça me fait plaisir de te revoir, tu sais ? tente-t-elle en regardant par terre, les mains dans le dos.
- J'pensais qu't'étais barrée loin d'ici, genre six pieds sous terre. Tu s'rais pas r'venue pour m'laisser un faire-part en avant-première, des fois ? persifle le vieux. Si tu veux des fleurs, y a du chiendent plein mon jardin ; t'as qu'à t'servir !
- En fait, je pensais qu'on aurait pu passer quelques instants en toute intimité, toi et moi. Comme au bon vieux temps...
- Faudra repasser une autre fois, ma grosse. Ce soir, je peux pas ; j'ai pizza avec des potes.
Illico, la vieille se dit qu'elle peut espérer. Après tout, il vient de lui proposer de venir un autre jour, non ? Alors, elle imagine qu'en insistant un peu, elle arrivera à ses fins.
- C'est toujours comme ça avec les gonzesses : des vampires ! marmonne Raymond, même s'il se rassure parce qu'un vampire ne peut entrer quelque part qu'avec l'invitation de son hôte, dit-on.
Il soigne donc sa diction pour lui intimer de se retirer :
- Casse-toi, la vieille. Ce sera mieux pour ce qui reste de ta charpente, ajoute-t-il en jetant un oeil ironique sur sa jambe.
Vaincue avant même de combattre, Agathe fait mine de repartir, mais Raymond constate qu'elle vient de jeter un regard derrière lui. Conardus et René se sont levés sans faire de bruit, et l'ont suivi pareil. Maintenant, ils reluquent l'antiquité qui fait l'aumône à la porte. L'alien, bras croisés, gonfle un peu le torse, histoire de se rendre plus impressionnant. René renifle, méfiant.
- Hééé... mais qui donc est cette belle mousmée, camarade ? fait Conardus avec un sourire plus large que celui des dents de sa mère. Tu nous avais pas dit qu'on aurait droit à une escort girl !
- Ce truc-là ne me dit rien qui vaille, bave René. Vaudrait mieux refermer tout de suite la lourde et attendre l'ouverture chez Finfin... M'enfin, je dis ça...
- Oui, je crois que tu devrais retourner à tes bondieuseries et laisser faire les maîtres de la nuit, objecte l'alien en passant devant Raymond pour mieux mater Agathe.
Comme il mesure deux bons mètres, il est obligé de se baisser pour observer en détail la chose. Visiblement comblé par ce qu'il découvre, Agathe déduit dard-dard que sa chance de trouver un abri pour la nuit passe par la libido de cet inconnu. Aussi prend-elle la pose pour l'aguicher.
Pas bien difficile pour une ex-maquerelle qui avait vendu du pain de fesse pendant plus d'un demi-siècle : elle cambre un peu les reins, rassemble la laiterie qui lui pend du poitrail et sourit de ses plus belles dents. Enfin, celles qu'il lui reste... Et ça marche d'enfer ! Conardus se sent pousser... des ailes. Il attrape Agathe par une aile, justement, et repousse doucement Raymond qui, estomaqué, laisse faire. Elle passe devant lui sans le regarder pour ne pas risquer de le réveiller. On sait jamais, se dit-elle. Avec ce vieux con, tout vire toujours à la catastrophe. René s'écarte à son tour, non sans grommeler quelques commentaires un peu machistes.
L'alien la drive tout droit vers la table, lui offre une chaise. Il se sent tout chose, le baroudeur ! Agathe rit sous cape, mais en prenant soin de ne rien laisser paraître, bien sûr. Un silence un peu crispé s'installe. Raymond, un peu pétrifié, se retourne enfin.
D'un geste aveugle, il claque la porte de la maison.
Agathe triomphe en silence...
Elle vient de trouver une baraque où pioncer à l'abri de l'orage.
A suivre...
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