5.1
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Le mage regarde l'horizon. Peut-être que, de la sorte, il peut plus aisément secouer la poussière de ses souvenirs ensablés ? Après quelques secondes de silence, il reprend :
- Au jour de sa naissance c'était, paraît-il, un magnifique bambin : joues roses, mains potelées, ventre rond et pieds menus. Autour de lui, ses parents resplendissaient de bonheur. Comme il n'avaient pas d'amis à prévenir, ils ont invité quelques animaux d'une ferme voisine. C'était pratique et utile pour rendre un peu de chaleur, tu vois ? Bon, l'âne avait la chiasse et le mouton sentait la laine mal séchée, mais dans l'ensemble, les bestiauds étaient ravis de pouvoir se serrer près d'un feu de bois en sachant qu'ils ne finiraient pas carbonisés dedans.
- Je te propose de passer sur les premières années du jeune homme, si tu veux bien. Disons qu'on pourrait oublier les vingt-cinq premières années, tu vois le genre ?
- Mon ami, ça m'arrange bien, tu veux dire ! Tout ce que j'aurais pu t'en dire, de toute manière, n'aurait pas été tout à fait digne de confiance.
- Dans l'info, seule compte la dernière minute, apprends ça, mon pote !
- Alors, pour les récentes nouvelles du Maître, je peux affirmer sans me tromper qu'il a arpenté tout le pays, de long en large, et même en travers. S'il s'est fait pas mal d'amis, il compte aussi bon nombre d'ennemis qui rêvent de lui peler la couenne à la première occase.
- Des ennemis ? Je croyais qu'il n'avait que quelques romains contre lui, et encore !
- Ben non ! Tu penses bien que tous les bourgeois, les aristos et autres nababs tremblent à l'idée de perdre tous leurs privilèges !
- Comment pourraient-ils les perdre ?
- Et s'ils refusaient de marcher dans la direction qu'ils imposent ? S'ils refusaient de payer leurs impôts, ou encore qu'ils refusent de travailler pour eux ?
- Ben... ils crèveraient en quelques jours. Tout simplement.
Balthazar est choqué de la réponse, mais il ne peut s'empêcher de penser que l'autre n'a pas tort.
- Bref, le Maître raconte la bonne parole à qui veut l'entendre. Pour ça, il organise des réunions, un peu n'importe où, et il raconte comme quoi qu'il est venu sur l'injonction de son père, un haut gradé, peut-être le plus d'ailleurs, dans l'aéropage des divinités du ciel.
- Dieu, quoi ?
- C'est ça ! Je me rappelais plus de son nom, à celui-là, excuse !
- Pas grave. De toute manière, personne l'a jamais vu. Bon, tu me dis enfin à quoi il ressemble, ton pote bonimenteur ?
- Ah ! C'est vrai... J'ai un peu tendance à m'égarer dans mes propos.
- Comme dans tes voyages ! T'as pas eu de chance au tirage, toi !
- Peu importe. Il est grand, mince, le visage triangulaire, les joues un peu creuses, la barbe drue, les yeux dox, les cheveux longs, le nez fin, et...
- Une figure de mode, hein ? rigole Raymond qui n'en attendait pas moins.
- Encore mieux que ça ! Autour de sa silhouette, une aura dorée irradie. Et c'est bath à voir ! Surtout le soir, ça rend mieux !
- Et il parle de quoi, puisque c'est un grand bavard, si je comprends bien ?
- Il dit des choses compliquées que peu de personnes comprennent, en fait, répond piteusement la mage. C'est plein de symboles, d'images et de trucs de ce genre. En clair, seuls quelques afficionados qui lui lâchent pas les semelles sont à peu près capables d'entraver tout ce qu'il bonnit.
- Un homme politique, en somme ?
- Non, ceux-là sont seulement des malades et des menteurs. Le Maître, lui, fait des choses extraordinaires ! Il guérit ceux qui ne voient plus, qui n'entendent plus. Il a même réveillé un mort ! Un mec qui s'appelait Lazare, un chef de gare de chameaux.
- Pas possib', rétorque Raymond qui se marre en silence.
- Si fait ! Et plein d'autres choses encore ! Tiens, si tu veux savoir, sache qu'un jour...
Mais il est interrompu par un cri. C'est René qui, en éclaireur, l'a poussé. Il est bien à deux cents mètres du groupe de voyageurs, mais le vent l'a aidé. Et il gesticule comme un mec qui marcherait sur des braises.
- On a de la visite ! hurle-t-il à s'en froisser les poumons.
- Encore ? maugré Raymond.
A suivre...
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